En 2019, l’opposition vénézuélienne a connu son meilleur mois de février depuis des années. En peu de temps, le président de l’Assemblée nationale, Juan Guaidó, a gravi l’Olympe d’une politique vénézuélienne affaiblie avec son (auto)proclamation comme président «en charge». Ce mois-là, il a fait la une des journaux les plus importants du monde. Mais cinq mois plus tard, après les événements liés à «l’aide humanitaire» et à la tentative de soulèvement militaire, les perspectives semblent très éloignées de l’optimisme de l’époque. L’espoir d’un renversement facile et rapide du régime de Nicolás Maduro semble s’être noyé, une fois de plus, dans une mer de dérapages politiques, avec un soutien international actif, mais non moins erratique. Comment la énième tentative de chasser le chavisme du pouvoir a-t-elle pu s’étioler?
Une année 2019 prometteuse pour une opposition affaiblie
Le 10 janvier 2019, a eu lieu l’acte de proclamation de Maduro pour un second mandat présidentiel, conformément aux résultats des élections anticipées du 20 mai 2018, qualifiées par l’opposition de frauduleuses, principalement en raison du fait que le gouvernement a empêché l’enregistrement de candidats ayant une certaine chance de victoire. Seuls les candidats qui ont montré un faible potentiel électoral dans les bureaux de vote ont été autorisés à y participer. C’est peut-être la raison pour laquelle la participation aux élections n’a atteint que le 46 %; c’était la plus forte abstention aux élections présidentielles de l’histoire récente. Les groupes de pouvoir n’ont pas voulu négocier avec le candidat que le gouvernement a laissé s’inscrire, Henry Falcón, et ont abandonné la lutte électorale sans aucune proposition alternative à l’horizon. Pour cette raison, l’opposition a qualifié Maduro «d’usurpateur» et a dénoncé qu’à partir du 10 janvier 2019, le Venezuela se trouvait sous une présidence illégitime, que le monde ne pouvait pas reconnaître.
Au cœur du plan de non-reconnaissance du gouvernement, l’opposition s’est réarmée autour de la dénonciation de l’usurpation et, en même temps, du vide de pouvoir dans le pays. Ainsi, elle a commencé à répandre la nécessité de nommer Guaidó, qui était alors à peine connu, comme président de la nation. Pour cela, l’opposition a brandi l’article 233 de la Constitution, qui établit les critères à suivre en cas de «fautes absolues» du président. En réalité, ceux-ci s’appliquent en cas de mort, démission, ou renvoi décrété par la Cour Supérieure de Justice (TSJ), incapacité physique ou mentale permanente. Dans ces cas, si l’absence survient avant l’entrée en fonction du président, le président de l’Assemblée nationale doit prendre ses fonctions. Si cela se produit plus tard, le vice-président doit le faire, avec pour mission de convoquer des élections dans les 30 prochains jours, comme cela s’est effectivement produit lorsque Hugo Chávez est mort le 5 mars 2013.
Usant de l’article 233 et d’une interprétation très particulière, l’opposition a déterminé qu’il y avait une sorte d’usurpation et de «manque absolu», en même temps, à la présidence du pays. Par conséquent, elle a également soutenu, avec un laxisme extrême, que la prise de fonctions était illégitime et, par conséquent, qu’elle n’avait pas eu lieu. La «légitimité» de Guaidó en découlait. Bien que personne n’ait très bien compris cette exégèse de la Constitution, il y a eu un énorme tumulte dans les rangs de l’opposition. Cette allégresse a reçu une série de soutiens médiatiques de la part de l’aile la plus conservatrice de la droite américaine et une impulsion fervente du président Donald Trump. Il en est résulté un serment prêté sur une place, après une marche massive le 23 janvier, date emblématique de la démocratie vénézuélienne en raison de la fin de la dictature de Marcos Perez Jiménez (au pouvoir de 1953 à 1958). Bien que la figure du «président en charge» n’existe pas dans la Constitution, Trump et une série de gouvernements se sont empressés de la reconnaître officiellement et avec un enthousiasme renouvelé.
A partir de ce moment, bon nombre d’«unes» de journaux internationaux ont applaudi et entouré le jeune «président». L’équipe de Guaidó a développé un mantra translucide et d’une grande simplicité: 1° cessation de l’usurpation; 2° gouvernement de transition; et 3° des élections libres. Une formule faite de neuf mots et d’une grande clarté. Le gouvernement américain a menacé le chavisme de représailles s’il osait «toucher» Guaidó. L’expression «toutes les options sont sur la table» est devenue virale, en relation avec la possibilité d’une invasion militaire américaine à la manière du jour J, ou, alternativement, comme une opération chirurgicale dans le style de l’invasion du Panama. La possibilité d’une invasion, qui ne sera jamais sans effusion de sang, est devenue de plus en plus populaire parmi de nombreux opposants sans que l’on réfléchisse aux conséquences d’une éventuelle action militaire. M. Guaidó a insisté sur le fait que personne ne craint une guerre civile et que l’option d’intervention n’était pas exclue.
Un cheval de Troie sans roues
Dans la «communauté internationale», des rivières d’encre coulaient pour tenter d’expliquer quelque chose d’aussi simple que le mystère de la Trinité. Les analystes les plus célèbres ont tenté, comme saint Augustin sur le sable de la plage, d’expliquer comment Guaidó était président de la République et de l’Assemblée nationale, ce qu’étaient les notions d’usurpation et d’«absence absolue» qui, en cas d’exister, forçaient à la convocation d’élections présidentielles en février 2019. Au milieu de ces discussions, les gens sont devenus impatients, car la voie d’une sortie vertigineuse de Maduro – alimentée de manière irresponsable par les rêveries de la Maison Blanche et par des Vénézuéliens en exil partisans de l’intervention armée – semblait se perdre dans une rhétorique aussi combative que stérile.
L’ignorance de Trump et de la «communauté internationale» de la spécificité du cas vénézuélien est monumentale. Ils semblent se contenter de lire les rapports intéressés des politiciens de l’opposition qui réclament de grosses sommes d’argent et offrent en retour des prévisions trop optimistes. Les analyses qui transforment à tort le gigantesque désastre économique en faiblesse politique ont conduit Trump à penser à une victoire facile et rapide sur le chavisme et à éluder le fait que le gouvernement apprend à résister professionnellement depuis 20 ans et qu’il bénéficie d’un solide soutien politique, économique et militaire de la Chine, la Russie, l’Iran, Cuba et la Turquie. La férocité médiatique de la «communauté internationale» est inversement proportionnelle à sa connaissance de la situation concrète au Venezuela.
Dès la mi-février 2019, l’enthousiasme était déjà en baisse. Les objectifs semblaient loin d’avoir été atteints et l’opposition n’a pas trouvé de voie claire. L’idée de transformer l’aide humanitaire nécessaire en une sorte de débarquement de Normandie contre l’usurpation est née de cette vision erronée. Ils ont songé à mettre des soldats dissidents dans des camions humanitaires, des armes cachées dans des boîtes de nourriture, ou à faire passer de force des camions pour que des milliers de personnes puissent monter à bord et sauver ainsi la population du joug «communiste». Au plan international, l’opération a été vendue comme une nouvelle chute du mur de Berlin, sous l’impulsion de présidents comme Sebastián Piñera (Chili), Iván Duque (Colombie) et Mario Abdo (Paraguay), qui sont apparus à Cúcuta, du côté colombien de la frontière, pensant qu’ils allaient assister à la fin glorieuse de la répression.
Ce mirage s’est avéré très bancal lorsque des organisations humanitaires, comme la Croix-Rouge, se sont éloignées du projet en le dénonçant: l’aide humanitaire ne peut être utilisée comme un levier pour renverser un gouvernement; elle devait plutôt avoir le consentement du gouvernement tout comme sa coopération pour pouvoir entrer dans le pays. Penser que l’entrée de quatre ou cinq camions chargés de marchandises de toutes sortes et accompagnés de jeunes avec des cocktails Molotov et des lance-pierres entraînerait la «fin de l’usurpation»était d’une naïveté étonnante. Les lieux d’entrée de l’aide humanitaire se situaient à plus de 20 heures de la capitale, même à une vitesse respectable. Croire que cet exploit provoquerait une désertion massive de soldats qui se placeraient sous les ordres de la «Liberté» était encore moins sûr, quelle que soit la somme d’argent proposée qui, plus tard, n’a pas été honorée.
Comme prévu, l’opération a été un échec retentissant. Les camions ne sont pas entrés et les masses qui devaient se sacrifier pour permettre l’entrée de l’aide ne sont pas apparues. Dans ce contexte, l’opposition a tenté d’exploiter l’incident de l’incendie d’un des camions. Des centaines de médias ont affirmé que la «police de Maduro» avait incendié des camions. Guaidó, le conseiller américain John Bolton et le sénateur de Floride Marco Rubio sont venus critiquer cet acte de malveillance. Mais des semaines plus tard, une brève enquête menée par des journalistes du New York Times a démenti cette information. Dans la vidéo qu’ils ont publiée, il est apparu comment, par accident, un jeune homme avait jeté la mèche d’un cocktail Molotov sur les boîtes transportées par le camion causant ainsi l’incendie.
Impasse
A partir de janvier 2019, il a été proposé que des sanctions économiques de plus en plus sévères et des marches massives suffiraient à renverser un gouvernement civil-militaire qui s’appuie sur un grand travail de renseignements et sur un contrôle social bien huilé. Dans d’autres écrits, nous avons parlé de la triade du clientélisme populaire qui donne au gouvernement une sorte de «biopouvoir» par lequel la population la plus pauvre dépend de plus en plus du gouvernement pour assurer sa reproduction biologique. Contrairement à ce que l’on croit, les sanctions économiques ne font que cimenter ce lien et donner au gouvernement une excuse pour se défaire de sa responsabilité dans la crise la plus forte que le pays ait connue dans son histoire. Bien que les premières sanctions financières aient commencé en août 2017, il est facile pour le gouvernement et la «gauche lumpen progressiste» d’expliquer les mauvais résultats économiques par les sanctions imposées.
Les manifestations de mars ont été fortement influencées par l’effondrement du système électrique national. Dans de nombreuses régions, l’électricité a été coupée pendant plusieurs jours d’affilée. Bien que l’eau, l’électricité, le gaz et l’essence fassent régulièrement défaut depuis des années dans les régions éloignées de la capitale, le fait que Caracas ait été sans électricité ni eau pendant trois à cinq jours est un fait sans précédent. Cela a contribué à ralentir un peu plus le déjà faible écho qu’avaient ceux qui encourageaient l’invasion et a fait penser à la population qu’elle pourrait effectivement se retrouver dans une situation encore pire. Les protestations se sont apaisées et l’exode des Vénézuéliens s’est fortement accentué.
Le mois d’avril a vu une continuation de la léthargie politique de l’opposition. Les grèves générales ou par secteur d’activité (comme en 2001, 2002 et 2003) étaient loin de pouvoir être organisées. Les grandes entreprises sont décidément en faillite et survivent très difficilement. Sans parler du niveau très élevé du travail informel dans l’économie ou du nombre élevé de fonctionnaires qui feraient rapidement échouer une proposition de grève. Les principales chambres patronales le savaient, immédiatement, elles ont déclaré qu’elles ne fermeraient pas leurs entreprises et qu’il était suicidaire de s’aventurer dans un lock-out dans de telles conditions.
Le soulèvement militaire du 30 avril
Le 1er mai avait été annoncé comme une autre journée de marches. D’un côté, la marche du «président ouvrier», pendant le mandat duquel le salaire réel a diminué de 92% et qui a le culot d’annoncer sur un ton festif une augmentation du salaire mensuel de 6 à 12 dollars; et de l’autre, celle de Guaidó, qui a adopté le «Plan Pays», une proposition économique d’un gouvernement qui ne veut rien savoir de la participation des travailleurs. Au vu des dernières manifestations, on pouvait prévoir qu’il n’y aurait pas beaucoup de monde du côté de l’opposition (qui use habituellement d’un discours anticommuniste) pour célébrer la Journée Internationale des Travailleurs. L’équipe de Guaidó n’est pas favorable à de fortes augmentations du salaire minimum. José Guerra, économiste et responsable du «Plan Pays», propose un salaire de 20 dollars par mois, puis 30 dollars à moyen terme, difficile ainsi de relayer les demandes économiques les plus élémentaires d’une base sociale bien appauvrie.
Pour ces raisons, et apparemment d’autres qui auraient trait à des éléments de conspiration, la tentative de soulèvement dans le cadre de «l’Opération Liberté» a été avancée au 30 avril, dans le plus grand secret. On sait que plusieurs dirigeants de Voluntad Popular (VP), le parti de Guaidó, n’étaient pas au courant de ce plan. La fin de l’assignation à domicile de Leopoldo López, le chef du parti, présageait quelque chose de très important. Mais quelques heures plus tard, des centaines d’adeptes ont été déçus à leur arrivée à la base aérienne de La Carlota, en voyant de leurs propres yeux que Guaidó et les quelques soldats insurgés n’avaient pas réussi à prendre la base. Il est devenu évident que les soldats impliqués dans la tentative putschiste étaient peu nombreux, pas armés et qu’en fin de compte, seulement quelques centaines de personnes y ont participé de manière désordonnée et en ignorant totalement ce qui se passait réellement. Il est curieux que VP n’ait pas cherché à s’allier à d’autres partis politiques pour mener son plan. Ainsi, en fin d’après-midi, les promoteurs de la tentative sont allés se réfugier dans les ambassades du Chili, du Brésil et d’Espagne. Il n’y a pas eu de combat, aucun exploit. Le fiasco de ce plan a nui encore davantage au projet de changement politique de l’opposition.
Un mois de juin plein d’embûches
Les dernières marches ont été peu nombreuses, c’est pourquoi Guaidó s’est concentré sur des visites à des petites villes et à des meetings dans des lieux exigus. La dernière tactique est appelée «maison par maison» et, bien qu’elle ait été adoptée par quelques chefs de partis tels que Primero Justicia (PJ), l’impact est très faible et le soutien populaire actif semble être rare, malgré le fait que la plupart des sondages reflètent que Guaidó rassemble des intentions de vote très significatives de 40% (selon Datanálisis) lors d’une éventuelle élection.
Une autre question qui a également miné (encore plus) l’appui au projet de Guaidó a été le paiement généreux de 70 millions de dollars d’intérêts liés à l’obligation PDVSA 2020 par une Assemblée nationale qui n’était pas d’accord avec ce paiement en 2016. L’argument avancé par l’Assemblée était qu’il était ainsi possible de conserver entre les mains du «gouvernement» vénézuélien de Guaidó des actifs aux Etats-Unis. Mais il est contradictoire que ceux qui ont payé les intérêts obligataires aient dit que cet argent «n’est pas suffisant» pour Citgo (Citgo Petroleum Corporation), car si le pays est en crise et qu’il est urgent de disposer des 20 millions de dollars d’aide humanitaire, il est paradoxal que ces 70 millions soient dépensés. La question centrale est que Guaidó n’a rien fait publiquement pour obtenir un décret exécutif de Trump ou une résolution des Nations Unies (ONU) déclarant les actifs du Venezuela insaisissables, ce qui éviterait le danger de confiscation pour non-paiement. Une manœuvre semblable a été appliquée à la veille de l’invasion génocidaire de l’Irak avec le décret exécutif 13303 et la résolution 1483 du Conseil de sécurité des Nations Unies.
En outre, des plaintes ont été déposées concernant le manque de transparence dans la gestion de l’aide humanitaire. L’affaire Cúcuta a été dévastatrice pour l’opposition. L’aide humanitaire pour laquelle les gens ont dû risquer leur vie à la frontière a été gérée d’une manière très semblable à celle utilisée par le gouvernement pour gérer l’économie, avec opacité et malhonnêteté. Luis Almagro lui-même, secrétaire général de l’Organisation des États Américains (OEA), a demandé une enquête urgente sur ce qui semble être un détournement de fonds flagrant. L’enquête menée par Panam Post, une publication étatsunienne anti-chaviste, montre qu’il y a eu un grave détournement de l’aide humanitaire. L’argent destiné à payer les quelque 300 soldats qui ont déserté (avec leurs familles) à cette époque et se sont rendus à Cúcuta a été en grande partie volé. C’est ce qui ressort de la manière dont ils ont été expulsés des hôtels et des plaintes déposées par les militaires pour violation des promesses de rémunération que Guaidó leur avait faites.
On estime qu’en avril, il y avait déjà plus de 1200 fonctionnaires qui avaient déserté pour rejoindre Guaidó et étaient en Colombie. Le complot de corruption a éclaboussé directement le «président en charge», qui a décidé de remplacer Gaby Arellano et José Olivares, députés exilés depuis des mois en Colombie et qui ont un certain poids au Venezuela, par Rossana Barrera (belle-sœur de Sergio Vergara, bras droit de Guaidó) et Kevin Rojas, deux militants de Voluntad Popular. Mme Barrera a été accusée de détournement de fonds lorsqu’elle a présenté à son nom les factures d’hôtel payées par le gouvernement colombien et par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Ensuite, elle aurait multiplié par deux le nombre réel de déserteurs et organisé un dîner pour collecter des fonds par le biais d’un faux courrier de «l’ambassade» vénézuélienne (de Guaidó) en Colombie. On parle de près de 100’000 dollars détournés. Ils pourraient n’être que la pointe de l’iceberg d’un complot de corruption dévoilé par les services de renseignement colombiens. Pire encore, près de 60 % de l’aide alimentaire a été endommagée. Il est inhabituel que, sur une frontière aussi poreuse, il n’ait pas été fait le moindre effort pour distribuer cette nourriture.
Ce qui est plus difficile à digérer, est le fait que l’opposition appuie l’application des sanctions économiques américaines. Grâce à ces sanctions, près de 6 milliards de dollars sont détenus à l’étranger, des devises qui pourraient être utilisées pour obtenir des médicaments et de la nourriture. C’est environ 300 fois le total de «l’aide humanitaire». Il est vrai que l’administration d’une partie de cet argent par le régime de Maduro pourrait être détournée vers l’achat d’armes, le paiement de dettes ou la corruption. Mais des alternatives de gestion multi-participative de ces ressources pourraient être appliquées, impliquant des organisations internationales telles que Caritas ou la Croix-Rouge avec l’ONU, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) et des Vénézuéliens désignés par les deux parties en conflit, pour essayer d’atténuer les effets de la crise économique générée par la gestion économique de chavisme et aggravée par des sanctions économiques draconiennes.
A noter également le phénomène de «rebond économique» qui peut se produire au cours du deuxième trimestre. Le premier trimestre 2019 étant probablement le pire de l’histoire économique du pays, notamment en raison de pannes de courant prolongées et d’une grande instabilité politique, le deuxième trimestre pourrait être le premier à afficher des chiffres positifs en cinq ans, grâce à un rebond des services énergétiques, mais aussi grâce à une ouverture économique progressive, même si lente et très tardive. Par exemple, la libre fluctuation de la monnaie a permis d’ajuster les prix en éliminant les contrôles de facto de l’Etat (ce qui a fait que l’on trouve un peu plus facilement certains produits dans les magasins) avec aussi l’approbation de la libre circulation du dollar, utilisé comme monnaie de paiement. En outre, la Banque Centrale du Venezuela a laissé aux fonds interbancaires la responsabilité de fixer le taux de change, qui devrait résulter de l’offre et la demande de devises étrangères sur ce marché. Tout cela pourrait affaiblir la thèse de l’opposition selon laquelle une aggravation permanente de la situation économique rendrait inévitable l’explosion sociale qu’elle attend depuis des années.
Oslo: un dialogue honteux
Les pourparlers d’Oslo durent depuis plus d’un an avec les membres du chavisme modéré et avec certains membres de l’opposition plus encline au dialogue. La nouveauté est l’inclusion récente de l’anti- chavisme le plus belliqueux. En effet, Guaidó et celle qui le représente dans les médias, María Corina Machado, dénoncent le dialogue depuis des années, en disant que ce ne sera jamais la sortie de la «dictature». Pour eux, la seule négociation possible est d’imaginer quelle serait la cellule de Guantánamo où seraient enfermés Maduro et les siens. Cette obstination ne laisse aucune issue à l’opposition, car une éventuelle invasion a été constamment écartée par le faucon Elliott Abrams, conseiller de Trump sur le Venezuela. Il a non seulement dit qu’il n’y aurait pas de bombardements, mais aussi que la voie doit être démocratique. Il a même déclaré que le chavisme doit retourner à l’Assemblée nationale et qu’une transition pacifique doit être construite entre tous.
Dans les faits, l’opposition n’a rien pour forcer le chavisme à se rendre, pas plus qu’elle n’a un soutien populaire solide et organisé pour exercer une pression politique interne. Les sanctions seraient la seule arme qui puisse affaiblir le gouvernement, mais ce n’est guère suffisant pour entamer sa volonté de rester éternellement au pouvoir et de le concentrer d’une manière absolutiste. La question clé est que les sanctions sont imposées par les Etats-Unis et que la négociation la plus directe se ferait entre les fonctionnaires de Trump et de Maduro et que l’opposition n’aurait, finalement, qu’un poids très relatif. En outre, la Chine, la Russie, la Turquie et Cuba sont derrière Maduro. Ce dernier pays a été accusé d’avoir élaboré la position chaviste à Oslo et d’avoir tenté de forcer une transition dans laquelle l’actuel ministre de la Défense, Vladimir Padrino López, prendrait la tête d’un gouvernement de transition qui garantirait la continuité politique du chavisme et l’aide énergétique à Cuba. Après la transition, les élections se dérouleraient avec un nouveau Conseil National Electoral. Tout cela n’est encore que spéculation, mais ce qui est certain, est que les négociateurs norvégiens ont une relation étroite avec les Cubains, puisqu’ils faisaient partie de l’accord conclu à La Havane entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et l’Etat colombien.
Récemment, une nouvelle aventure de coup d’Etat militaire a été dévoilée. Dans l’après-midi du 26 juin, le gouvernement a déclaré, sur un ton moqueur, qu’il avait maté une autre tentative de soulèvement militaire. Plus de 30 soldats ont été arrêts, ils seront accusés de «trahison à la patrie», une accusation proclamée haut et fort par les juges chavistes. Selon les porte-parole officiels, des membres des partis Volonté Populaire (VP) et Justice d’Abord (PJ) sont impliqués dans l’affaire. Comme il se produit régulièrement, chaque soulèvement est contrôlé à une vitesse incroyable, ce qui démoralise encore davantage une fraction de l’opposition qui parie clairement sur le mauvais cheval et qui perd toujours facilement.
Quelques jours après la mutinerie, Maduro a déclaré que le principal conspirateur était le général Manuel Cristopher Figuera, ancien directeur du Service Bolivarien de Renseignement National (Sebin) qui, selon lui, a été coopté par la CIA et qui a ensuite laissé ses troupes seules lors du soulèvement. C’est Figueras qui a libéré Leopoldo López la veille du coup d’Etat. A la suite de cet «exploit», les Etats-Unis ont révoqué la sanction qui lui avait été imposée et ont déclaré qu’il était «un exemple à suivre». Selon Maduro, le responsable militaire du coup d’Etat raté était un agent infiltré qui travaillait pour la CIA, ce qui pourrait être une invention ou montrer encore qu’il existe des fissures au sein du pouvoir militaire et du renseignement qui soutient le gouvernement et qui exerce son pouvoir par l’intermédiaire des militaires chargés de gérer les ministères et les entreprises clés (tels que Petróleos de Venezuela, PDVSA). L’annulation du traditionnel défilé militaire du 24 juin, jour de la bataille de Carabobo en 1821 et date clé de l’indépendance, a allumé tous les clignotants chez les spécialistes militaires. La réalisation, à sa place, d’une très modeste parade militaire a fait penser à plus d’un à des complots de palais qui semblent un peu éloignés de la réalité d’un gouvernement de plus en plus militarisé.
L’opposition la plus modérée mise sur le dialogue. Le fait est qu’elle n’a pas de soutien financier et qu’elle ne peut pas s’adresser plus facilement à la population. Pour cette raison, elle est médiatiquement écrasée par l’appareil de communication de ceux qui rêvent d’une invasion. Un pari belliciste qui vend la chute de Maduro comme imminente est très utile pour demander de l’argent à l’étranger, c’est un mensonge avalé volontiers par l’anticommunisme international, qui vend la farce d’un Venezuela en ruines à cause du socialisme devenu réalité. La continuité de la crise leur permet d’exploiter la propagande antisocialiste et de profiter de l’émigration de millions de personnes qui fuient désespérément les difficultés de la vie quotidienne et l’absence de perspectives.
Tant qu’une fraction d’extrême droite continuera de prôner des voies virulentes et de menacer de balayer ses adversaires avec des razzias, les résultats seront de plus en plus négatifs pour l’opposition démocratique et pacifique, puisque chaque tentative de coup d’État est matée et elle entraîne une répression accrue. L’augmentation de la pauvreté provoquée par les sanctions est un puissant stimulant pour l’émigration, ce qui est tout à fait dans l’intérêt du régime, car elle facilite son contrôle social. Avec moins d’habitants, il y a moins de pression sur les services publics fortement subventionnés, moins de protestations, plus de transferts de fonds et les ressources financières distribuées sur une base clientéliste sont plus rentables. Une bonne affaire.
La gauche critique est toujours invitée pour la forme. Pendant ce temps, la gauche «lumpen progressiste» continue à faire de l’argent et à tirer des juteux profits politiques grâce à sa solidarité avec Maduro. Ils attaquent justement et avec raison les menaces d’invasion militaire et les sanctions économiques, mais ils taisent les causes réelles de la crise économique féroce dont le gouvernement et ses alliés de la bourgeoisie importatrice et bancaire sont exclusivement responsables. Ils minimisent la souffrance de millions de personnes et la stagnation économique au nom d’un abstrait anti-impérialisme qui ferme les yeux sur les actions de destruction des ressources naturelles menées par les entreprises multinationales des pays alliés au régime. L’écocide qui se déroule actuellement dans l’Arc Minier de l’Orénoque n’est qu’un exemple de cette situation. (Article publié sur le site de Nueva Sociedad, juillet-août 2019; traduction par Ruben Navarro pour A l’Encontre)
Manuel Sutherland est économiste et directeur du Centro de Investigación y Formación Obrera (CIFO), Caracas.
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