Le 30 juin, plus de 100’000 personnes sont descendues dans la rue dans quelque 750 villes et villages de tous les Etats du pays. Elles protestaient contre la séparation des enfants immigrés de leurs parents demandeurs d’asile ainsi que pour dénoncer la politique de «tolérance zéro» de l’administration Trump qui a rendu possible cette pratique cruelle.
Ces manifestations ont été appelées à peine deux semaines plus tôt. Nul doute qu’avec plus de temps, un plus grand nombre de personnes seraient descendues dans la rue.
Un grand nombre de ces actions ont été rapportées dans les nouvelles locales et CNN a couvert en direct les manifestations à Washington D.C. et à New York, mais les principaux médias n’ont pas donné une idée de l’ampleur des actions à l’échelle nationale. Le New York Timess’est contenté d’un article sommaire publié en page 19.
Dans la capitale nationale, les organisateurs ont estimé la foule à 30’000 personnes, ce qui me semble correct d’après la couverture des évènements par CNN.
Les journalistes états-uniens du Socialist Workeront couvert des manifestations dans d’autres villes. Leurs estimations étaient les suivantes: 75’000 personnes à Los Angeles; 50’000 personnes – dans une chaleur de 100 degrés Fahrenheit (38 degrés Celsius) – à Chicago; des dizaines de milliers à New York; des dizaines de milliers à San Francisco et un nombre similaire à San Jose; 15’000 à Boston; 10’000 à Seattle; 10’000 à Minneapolis; 8’000 à Austin, Texas; des milliers à Philadelphie; 2’000 à Burlington, Vermont; 2’000 à Pittsburgh; 1′ 500 à Columbus, Ohio; 1’000 à Springfield, Massachusetts; 1’000 à San Diego; plusieurs milliers à Olympia, Washington; 1’000 à La Nouvelle-Orléans; 1’000 à Rochester, New York; 800 à Madison, Wisconsin; 700 à Charlottesville, Virginie et 500 à New London, Connecticut. A Athènes, Ohio, 120 personnes ont manifesté le 29 juin. Sans compter, bien sûr, les plus de 700 autres villes où il n’y avait pas de reporters du Socialist Worker.
D’après les rapports de Democracy Now![chaîne de télévision «critique»] et du Socialist Worker, s’il y a bien eu des appels à voter pour les démocrates en novembre prochain, la tonalité dominante parmi les manifestants portait clairement sur la nécessité immédiate de réunir les enfants avec leurs familles. Nombreux sont ceux qui affirmaient vouloir tendre la main aux parents et aux enfants emprisonnés pour leur faire savoir qu’ils n’étaient pas seuls.
Comme lors des précédentes actions anti-Trump, plusieurs générations étaient représentées, elles étaient multiraciales et elles ont réuni des gens qui n’avaient jamais protesté auparavant aux côtés d’organisateurs et d’«agitateurs chevronnés». L’esprit de ces actions était visible sur les pancartes, dont la plupart étaient faites à la main, portant des messages émouvants exprimant l’horreur face aux prisons abritant des enfants et des nourrissons – rejet exprimé par tous les manifestants – ainsi que des revendications allant plus loin. Beaucoup de manifestants ont relevé que tout le système d’immigration devait être refondu pour prendre en compte des exigences d’humanité à l’égard des immigrants. Cette revendication était résumée dans l’un des slogans les plus répandus: «Abolish ICE» [Immigration and Customs Enforcement] faisant référence à l’agence d’immigration et des douanes, fer de lance dans la campagne de terreur engagée par Trump contre les immigrants. Certaines revendications allaient dans le sens de mettre fin à toutes les déportations et d’accorder la citoyenneté aux 11 millions de travailleurs sans papiers qui triment aux Etats-Unis.
A Los Angeles, un des orateurs était le maire Eric Garcetti, qui prétend défendre les droits des sans-papiers, mais qui a soutenu la collaboration de la police avec l’ICE. Au début de son discours, les membres des Democratic Socialists of America (DSA) et de l’International Socialist Organization (ISO) ont commencé à scander «Abolish ICE!» et «Eric Garcetti, c’est pas cool! Cesse de collaborer avec l’ICE!». D’autres personnes dans la foule les ont rejoints et ont hué le maire, qui a dû abréger son discours.
Dans la ville de New York, il y avait une grande foule qui scandait: «Trump, escucha – estamos en la lucha!» [Trump, écoute – nous sommes en lutte !]» et «Plus d’enfants dans une cage! Nous sommes ici pour montrer notre rage!».
Il y avait beaucoup d’immigrants latinos – avec ou sans papiers – parmi les manifestants. L’une d’entre eux était Cynthia Alonso, membre de Brown Issues, un groupe militant jeune qui fonde une nouvelle section à la California State University de LosAngeles. Lors de la manifestation de Los Angeles, elle explique: «De nombreux immigrants ne souhaitent pas quitter leur foyer, mais sontcontraints d’émigrer en raison de l’action des Etats-Unis au Mexique, en Amérique centrale et dans le reste du monde.»
Elle aborde un point clé, à savoir que la violence qui fait fuir nombre de ces demandeurs d’asile est le résultat des politiques et des interventions impérialistes états-uniennes, en particulier au Mexique, au Guatemala, au Salvador et au Honduras. (Sa référence à la situation internationale est également importante, car la crise de l’immigration est alimentée, entre autres, par les politiques impérialistes états-uniennes – y compris les guerres – mais cet aspect devra être traité dans un autre article.)
Lors de la manifestation de Washington, Democracy Now! a interviewé María Teresa López, du Guatemala, qui a souligné le fait que la violence qui traverse son pays remonte au moins aux années 1950. Elle a expliqué: «Le coup d’Etatde 1954, monté par le gouvernement contre le gouvernement démocratique de Jacobo Árbenz, marque le début de l’intrusion des Etats-Unis au sein du gouvernement guatémaltèque. Je n’avais que trois ans à l’époque. Puis, dans les années 1960, quand la situation devenait difficile, il n’y avait pas de travail pour les gens. Il y avait des enlèvements, et personne ne savait pourquoi. Dans les années 1970, les gens ont commencé à s’organiser pour se défendre. L’armée occupait une grande partie du territoire où vivaient les familles mayas. Puis, vers la fin des années 1970, en lien avec le fait que du pétrole a été trouvé dans ces terres, il y a eu le massacre de Panzós [Panzós était un petit village où l’armée a tué environ 106 paysans]. Ce fut le premier massacre. C’est ainsi que nous avons vécu 36 ans de guerre [de l’armée contre le peuple].»
«Dans les années 1980, quand je suis arrivée aux Etats-Unis, j’ai dû parler à tout le monde des massacres, des enlèvements forcés, de l’empoisonnement de l’eau, de la politique de la terre brûlée – autrement dit, du meurtre des gens, de leur bétail et de leurs récoltes. Soit des crimes commis par le dictateur [installé par les Etats-Unis, au pouvoir entre 1982 et 1983] Ríos Montte. Les gouvernements vont et viennent, mais la situation du Guatemala n’a fait qu’empirer.» [Sur le coup d’Etat contre Jacobo Arbenz, on peut se reporter au film remarquable fait par Andreas Hössli en 1995: Devils Don’t Dream – Nachforschungen über Jacobo Arbenz Guzmán]
La mal nommée «guerre contre la drogue» a entraîné une croissance des cartels de la drogue, charriant son lot de violence des gangs, aux Etats-Unis, mais aussi au Mexique, au Guatemala, au Salvador et au Honduras. Ce qui a contribué à augmenter considérablement le nombre de situations désespérées, poussant les gens de ces pays à demander l’asile. Leurs gouvernements ont tous été soumis aux Etats-Unis (il faudra voir quel impact aura sur cette situation l’élection de Lopez Obrador au Mexique ).
Lorsque le gouvernement un peu progressiste de Manuel Zeyala a été élu au Honduras, il a été renversé par un coup d’Etat militaire organisé par l’administration Obama en 2009. La secrétaire d’Etat de l’époque, Hillary Clinton, était la personne de référence. Elle s’est rendue au Honduras peu de temps avant le coup d’Etat pour «consulter» les haut gradés. Zeyala a été arrêté et emmené à la base militaire états-unienne installée dans le pays, dans l’attente d’instructions sur le sort qui lui serait réservé. On leur a dit de ne pas le tuer, mais de l’exiler au Costa Rica.
Clinton a ensuite aidé les militaires à organiser des «élections» qui ont abouti, malgré des protestations de masse, à un gouvernement répressif. Elle a ensuite permis à Zeyala de revenir dans le pays, mais seulement en tant que citoyen privé, et elle a fait l’éloge du nouveau gouvernement, une position qu’elle a maintenue jusqu’à aujourd’hui. Le Honduras s’est rapidement transformé en une dictature qui a écrasé les mouvements populaires et ouvriers indépendants, tout en s’installant dans un partenariat avec les cartels de la drogue, transformant le Honduras en un narco-Etat. La violence des gangs s’est intensifiée au point que le pays est considéré comme l’une des capitales mondiales de l’assassinat.
Puis, l’année dernière, le gouvernement a tenu des élections et a permis à une opposition soutenue par Zeyala de se présenter. Lorsque la commission électorale a commencé à signaler que l’opposition était en train de gagner, le décompte a tout à coup été stoppé en raison de «problèmes informatiques». Lorsque le décompte a repris, le gouvernement a été déclaré vainqueur, ce qui a déclenché de nouvelles protestations.
J’ai deux amies, des sœurs qui viennent du Salvador, l’une sans papiers et l’autre qui est devenue citoyenne américaine. Elles m’ont parlé de la situation dans leur pays. Comme au Honduras, les jeunes hommes et les garçons y sont menacés de mort s’ils ne rejoignent pas les gangs. Les sœurs étaient bouleversées par la séparation des enfants de leurs parents. L’une, catholique pratiquante, tenait sa main sur le cœur et me disait, presque en larmes, que cela lui «faisait très mal».
L’administration Trump a maintenant statué que le fait de fuir la violence des gangs ne sera plus reconnu comme une raison valable pour recevoir le droit d’asile.
Les manifestations du 30 juin ont été le point culminant de la lutte jusqu’à ce jour, mais la résistance se poursuivra jusqu’au renversement de la «tolérance zéro». (Article envoyé par l’auteur en date du 5 juillet 2018, traduction A l’Encontre)
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