La fin du «grand chelem». Changer de paradigme
Pino Sergi
Le vote sur la LACI a «tourné mal». Il s’agit d’une défaite et d’un coup dur pour tous les salarié·e·s. Un tel résultat, pourtant, était en grande partie prévisible. Nous l’avions indiqué dans les pages de Solidarietà (bimensuel du MPS au Tessin). Nous étions parvenus à cette conclusion en mettant en lumière les éléments de faiblesse propres au bilan fait par les organisations syndicales au lendemain de la victoire du référendum du 7 mars 2010 sur la LPP (2e pilier).
C’était une victoire qualifiée «d’historique» dans le climat peu sain d’euphorie que traduisaient les commentaires après le résultat. Il en allait de même de la campagne référendaire sur la LACI construite en s’appuyant sur cette vision de la «victoire» du 7 mars passé. Nous avions souligné que ces analyses ne saisissaient pas la situation socio-politique réelle. Dès lors, sans un changement des modalités choisies pour mener une campagne référendaire et surtout un changement dans la façon de construire une opposition sociale en Suisse, la votation du 26 septembre sur la LACI était vouée à une défaite certaine. Il en fut ainsi. Et c’est une triple défaite.
35% participent au vote
Seulement un tiers des personnes disposant du droit de vote (donc, aucun des travailleurs et travailleuses immigrés ne disposant pas d’un passeport suisse) a exprimé un choix démocratique formel à l’occasion de cette votation. Mais une chose est certaine. Y compris en prenant appui sur les analyses effectuées à l’occasion des votations passées. La grande majorité des salarié·e·s actifs et leur famille – c’est-à-dire celles et ceux pour qui le chômage a été et est quelque chose de concret, et peut le devenir – ont considéré qu’ils ne devaient pas se prononcer sur ce sujet. Peut-être, au sein de cette majorité, la question ne s’est même pas imposée à leur réflexion. C’est donc une claire défaite politique pour ceux qui avaient placé ce référendum dans une perspective bien définie selon eux. Comme toujours, ils pensent que cette voie est la plus efficace pour bloquer quelque projet régressif que ce soit dans le domaine social.
Le fort taux d’abstention enregistré, de manière assez similaire dans toute la Suisse, démontre à quel point la relance d’une participation socio-politique des salarié·e·s ne passe pas nécessairement – ou principalement – par une politique de rendez-vous institutionnels (référendum ou initiative).
Cela est confirmé y compris dans les cantons où la 4e révision de la LACI a été rejetée et dans lesquels une participation n’a pourtant pas été beaucoup plus brillante que dans les cantons où a dominé le «oui».
Il suffit de se rappeler, par exemple, que le canton du Jura, canton où le taux de «non» a été le plus élevé, la participation a été inférieure à la moyenne nationale: soit 34,7% contre 35,5% au plan de l’entièreté de la Suisse. La même chose vaut pour le Tessin. Les cantons où le taux de participation a été supérieur, ce dernier s’est toutefois situé autour du seuil de 40%.
Le «grand chelem» est déjà terminé
Lors de l’annonce du lancement du référendum contre la 4e révision de la LACI, le 19 mars passé, l’Union syndicale suisse (USS) – galvanisée par la victoire obtenue quelques jours auparavant à l’occasion du référendum victorieux contre la diminution du taux de conversion du 2e pilier – voyait ainsi les futurs développements: «L’Union syndicale suisse (USS) a combattu avec succès l’offensive contre les caisses de pension. Elle défendra de même les prestations de l’assurance chômage au moyen du référendum. Cela contre les profiteurs. Pour ce qui concerne l’assurance chômage, l’USS se prononcera en faveur d’une sécurité sociale contre les profiteurs» (traduit à partir du texte italien). Cette vision a été partagée par beaucoup qui ont misé sur l’utilisation des qualificatifs jugeant comme «historique» la victoire du 7 mars.
Il est aisé d’avoir en mémoire les déclarations des haut-parleurs d’Unia – parmi lesquels son président Andi Rieger – et du PSS, en particulier son président Christian Levrat, déjà, par le passé, candidat, battu, à la préfecture du district de Gruyère dans le canton de Fribourg.
La direction d’Unia – au même titre que la direction du syndicat chrétien Syna – dans sa réaction à chaud définissait le tournant «historique» propre à la victoire du 7 mars comme révélant la possibilité de modifier substantiellement les rapports entre salarié·e·s (et les forces qui avaient soutenu cette bataille référendaire spécifique) et le patronat (soutenu alors par les forces politiques bourgeoises). Cette victoire «historique» ressortait des divers commentaires qui indiquaient combien la votation obtenue dans ce domaine de ladite sécurité sociale bloquait l’offensive patronale. Ce n’était que le premier pas vers d’autres victoires à l’occasion d’autres référendums au moyen desquels aurait été bloquée l’offensive antisociale en Suisse.
Quand le président du PSS – et aussi les analystes plus subtils de la dite victoire historique – voyait cette première étape, il soulignait aussi qu’elle pourrait étayer la position de son parti et cela au travers d’autres référendums et initiatives. En quelque sorte, c’était la première victoire d’un «grand chelem» pour utiliser un langage tennistique. C’est-à-dire allait commencer une série de victoires sur des questions sociales fondamentales, ouvrant de la sorte la voie à un succès au plan électoral en 2011. Les référendums ne seraient que des étapes en direction de ce déferlement électoral, une thématique reprise par différents présidents du PSS depuis 30 ans, avec plus ou moins d’intelligence.
Or, nous sommes maintenant à la première étape de cette politique de cran d’arrêt. Et il ne serait pas opportun de commencer à penser qu’il faille préparer un référendum contre la 11e révision de l’AVS au prétexte d’une revanche. Surtout si ce référendum est lancé avec la même méthode et la même orientation que celui qui vient d’être perdu.
Les «mérites» et les «fautes»
Ce résultat, qui sur le fond n’est pas nouveau, devrait stimuler une réflexion sérieuse sur la validité de chaque stratégie qui voit dans la politique articulée sur les référendums et les initiatives populaires comme étant les instruments les plus adéquats pour contrer les projets patronaux.
En particulier, ce résultat devrait faire réfléchir ceux qui attribuaient le résultat du 7 mars à leurs mérites spécifiques. Une fois encore, la direction d’Unia n’avait aucun doute (et n’a certainement aucun doute) sur ses propres talents et capacités dans l’action victorieuse menée alors. Ainsi, on pouvait lire sur le site national d’Unia, le soir du 7 mars 2010: «L’énorme investissement des membres d’Unia a été déterminant. Plus d’un millier de membres d’Unia ont activement participé à la campagne de votation… Leur mobilisation a été décisive» (traduit à partir du texte italien).
Si on devait utiliser des raisonnements analogues, on pourrait se poser la question suivante: est-ce peut-être le manque d’investissement «décisif» pour gagner ce référendum, de la part d’Unia ou d’une autre composante, que l’on peut considérer comme «fondamental» et «décisif» ?
Posée de cette manière, la discussion apparaît absurde, même s’il n’y a pas de doute que, cette fois, la mobilisation syndicale a été fortement inférieure aux besoins et à l’engagement manifesté à l’occasion de votations antérieures.
Mais c’est certainement l’angle sous lequel la campagne a été menée qui a été le principal facteur de l’échec du référendum. Cela a trait aussi bien au contenu qu’aux formes de la campagne.
Du point de vue du contenu, la campagne a été substantiellement mal centrée par rapport à deux dimensions: celle de l’inacceptabilité sociale de la contre-réforme (existait l’idée qu’on allait trop loin du point de vue social tout en acceptant qu’il faille remettre de l’ordre dans les comptes de l’assurance chômage) ; et celle de l’injustice fiscale (impôts) que contenait la 4e révision qui ne faisait pas payer assez à ceux qui obtenaient des revenus extrêmement élevés. Ce dernier thème, en particulier en Suisse alémanique, a de fait transformé une discussion sur le chômage en un débat sur la politique fiscale, vouée à coup sûr à l’échec.
La question fondamentale de cette révision, la pression à la «remise au travail» (ladite politique d’activation des chômeurs développée par l’OCDE) à tout prix – en particulier au prix (salaire) le plus bas possible – des salarié·e·s, et avant tout des jeunes, a été totalement marginalisée dans la propagande officielle en faveur du «non». Au même titre où a été absente l’idée que, à travers cette 4e révision de la LACI, on favorisait la mise en place d’une nouvelle étape du dumping salarial et social en Suisse.
De même, en considérant les formes adoptées dans la conduite de la campagne, une grande responsabilité repose sur les épaules des appareils syndicaux. Par exemple, à l’opposé de ce qui fut fait dans la campagne sur le 2e pilier, on a renoncé à construire des comités qui organiseraient activement la campagne, comités ouverts à toutes les forces, en particulier à celles les plus actives sur le terrain. On a préféré construire une opération au sommet (le front rouge-vert – ou rose-vert – avec l’appui des alliés syndicaux). On a cherché ainsi à opposer une campagne de type fondamentale médiatique (affiches, publicités, lettres aux journaux, etc.) à la campagne organisée par le front bourgeois. La campagne du front rose-vert, par évidence, ne pouvait faire la différence, vu la disparité dans les moyens matériels à disposition.
La «démocratie directe»: au service des travailleuses et des travailleurs ?
L’opposition faite grâce au moyen d’instruments institutionnels offerts par ladite démocratie semi-directe (initiative et référendum) est devenue désormais quasi un réflexe conditionné dans la mise en place d’une stratégie du mouvement syndical. Face à une attque d’une grande ampleur, tous les efforts sont immédiatement centrés sur la nécessité de construire une opposition institutionnelle au moyen du lancement d’un référendum ou, selon des modalités un peu différentes, d’une initiative.
Cette orientation exclut, pratiquement toujours, la réflexion sur la possibilité et la nécessité de construire des rapports de force différents au sein de la société, partant des lieux de travail et de la réalité quotidienne vécue par les salarié·e·s. La perspective consistant à construire des mobilisations sociales d’une ampleur plus ou moins effective, appuyées sur le mouvement des syndicalistes et sur la base des partis sociaux-libéraux, alliés des syndicats, est désormais étrangère à la logique dominante des appareils syndicaux et du PSS (comme expression de leur mutation sociale).
Il est évident que les initiatives et les référendums peuvent être des instruments utiles. Mais utilisés dans une perspective bien différente de celle aujourd’hui: c’est-à-dire une perspective qui en fait la totalité de l’expression dans la durée de l’opposition. Et si quelquefois il y a des «mouvements», des «actions», des «mobilisations» autour de référendums et d’initiatives, ceux-ci s’inscrivent seulement dans la perspective de renforcer la dimension institutionnelle qui est retenue comme l’élément «décisif» dans le processus politique.
La crise ne fait pas du bien…
Enfin, un dernier aspect mérite d’être mis en lumière dans la phase présente. C’est l’idée selon laquelle la persistance de la crise et de ses effets tendrait à influencer de manière positive la réaction des salarié·e·s, qui, «spontanément», arriveraient à comprendre ce qui se passe, saisissant clairement la responsabilité et les tenants et aboutissants de la crise et, dès lors, opérant des choix «rationnels» à l’occasion de votations (sur un référendum, une initiative et finalement à l’occasion d’élections politiques).
Les processus socio-politiques et idéologiques, cependant, ne fonctionnent pas de la sorte. Le vote du dimanche 26 septembre est la démonstration que la crise n’agit pas de manière linéaire et positive sur la conscience des salarié·e·s. Deux ans après le déclenchement d’une crise évidente pour tous et dure pour tou·te·s les salarié·e·s (dureté qui dépasse les statistiques officielles qui de moins en moins rendent compte de la réelle situation sociale), l’acceptation – au-delà des pourcentages – d’une révision de la LACI de cette ampleur démontre combien ces «automatismes» dans le développement d’une conscience politique et sociale n’existent pas. Le processus de «conscientisation» est autrement plus complexe et relève, entre autres, d’activités socio-politiques situées sous un angle différent, avec une continuité qui n’implique pas, il va de soi, des changements.
Voilà une raison supplémentaire pour un changement d’orientation de fond, en direction de l’impulsion et de la constitution d’un mouvement social qui puisse, sérieusement, construire des résistances à l’offensive patronale de plus en plus accentuée.
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Pino Sergi est responsable du site Solidarietà, un des animateurs du MPS au Tessin.
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