Nous avions dit que le gouvernement de Pedro Sánchez [1] réagissait lentement et de manière erratique face à l’avancée de l’épidémie de coronavirus. Hier [14 mars 2020, peu avant minuit], il a approuvé un décret royal 463/2020 déclarant l’état d’alerte pour la gestion de la situation de crise sanitaire causée par le COVID-19, après un long Conseil des ministres extraordinaire. Cet état d’alerte sera en vigueur durant une période de 15 jours, après quoi il devra être débattu au Parlement [2].
Nous considérons que le contenu de ce décret est insuffisant car il ne prévoit pas les mesures économiques et budgétaires nécessaires pour faire face à la crise sanitaire, à ses effets économiques et ayant trait à l’emploi, et très probablement face à une situation d’urgence sociale.
• Le décret prévoit les sacrifices nécessaires que la population doit faire pour éviter la contagion, mais il n’ouvre pas un horizon d’espoir pour que, une fois de plus, le «du sang, du labeur, des larmes et de la sueur» [3] que le président Sánchez nous demande de faire ne débouche pas sur des sacrifices de la part des classes populaires. C’est-à-dire, celles qui font face à un horizon comportant les plus grands risques d’appauvrissement, de chômage et de perte de droits. Le décret ne prend même pas de mesures immédiates pour éviter de nouveaux drames immobiliers [le danger d’être expulsé de son logement suite aux hypothèques non payées] ou pour renforcer le système de santé publique.
• Il ne suffit pas de confiner la population à son domicile, il faut prévoir des moyens extraordinaires pour équiper les hôpitaux publics et faciliter la prise en charge des écoliers. Le télétravail doit être recommandé, mais des mesures de protection doivent également être assurées pour tous les emplois qui le requièrent dans le domaine des soins de santé, des activités de soins et d’aide, des transports et dans tous les secteurs économiques. Nous devons étouffer dans l’œuf, et non «flexibiliser», le flot de ERTEs et de RTEs [4], dont les employeurs profitent pour restructurer leur main-d’œuvre. Et, bien sûr, supprimer toute aide aux entreprises qui licencient. Les salaires non gagnés [suite au décret] par les travailleurs/travailleuses ou les revenus non gagnés par les indépendants doivent être garantis.
• Ce qui a été approuvé par le Conseil des ministres le mardi 10 mars nous donne un indice d’une voie antisociale. Une ligne d’aide de 18’225 millions d’euros (18,225 milliards) a été approuvée, mais sa composition est la suivante: 14’400 millions (14,4 milliards) pour les PME et les indépendants sous forme de report d’impôts et 400 millions seront accordés par le biais de crédits ICO [l’Instituto de Crédito Oficial qui assure des lignes de crédits aux entreprises]. Cela reporte le problème – pas plus – et réduit en même temps les recettes des caisses publiques. En outre, 3,825 milliards d’euros seront utilisés pour les besoins sociaux et sanitaires: dont 3,8 milliards d’euros sont des avances aux Communautés autonomes pour qu’elles remplissent leurs obligations dans le domaine de la santé. Ainsi, à l’avenir, il y aura moins de transferts de fonds vers elles, ce qui ne fera que retarder l’ampleur du déficit budgétaire. Enfin, 25 millions d’euros iront aux subventions pour les cantines. Il n’y a donc pas d’injection d’argent pour l’investissement, la recherche, les pertes de salaire, les revenus non réalisés du travail indépendant ou les situations d’urgence sociale aggravée.
• Nous demandons donc que le Conseil des ministres de mardi prochain, le 17 mars 2020, approuve les points suivants nécessaires pour éviter l’urgence sociale: le non-paiement des hypothèques pour les revenus inférieurs à 30’000 euros par an; la cessation du paiement des loyers dans les cas justifiés; la suppression de l’obligation de payer un loyer aux fonds d’investissement vautours [qui se sont emparés d’immeubles suite à la crise immobilière, crise qui a éclaté dès 1999]; la réglementation des conditions de travail pour éviter que la crise économique et la sortie de celle-ci ne se fassent à nouveau aux dépens des travailleurs. Pour ce faire, il est nécessaire de faire sortir l’argent de là où il se trouve. Le gouvernement doit collecter les 65 milliards d’euros du plan de sauvetage des banques [5] et créer un impôt extraordinaire sur les bénéfices des grandes entreprises.
• La centralisation du pouvoir entre les mains de Sánchez et des ministères de la Défense, de l’Intérieur, des Transports et de la Santé, ainsi que les pouvoirs extraordinaires accordés à la police et le fait de donner un rôle de police à l’armée elle-même, sont des éléments à haut risque démocratique. Ignorer les recommandations du ministère du Travail [Yolanda Diaz d’Izquierda Unida] et marginaliser le ministre de la Consommation [Alberto Garzón d’Izquierda Unida ] – alors qu’il est plus que jamais nécessaire d’organiser la société dans ces domaines – est une tentative évidente de rendre impuissants les ministres le plus à gauche du gouvernement.
Tout le monde connaît notre position critique à l’égard de la stratégie du gouvernement de coalition [Anticapitalistas était opposé à ce qu’Unidas Podemos participe au gouvernement de coalition], mais nous ne sommes pas indifférents sur l’issue de la bataille au sein de l’exécutif. Si la «ligne Calviño» [Nadia Calviño, troisième vice-présidente du gouvernement; elle est issue des cercles dirigeants de l’UE et avait été pressentie pour la direction du FMI] s’impose, cela signifierait: exacerber la souffrance de millions de personnes, pulvériser les relations avec les Communautés et jeter les travailleurs/travailleuses dans une lutte pour la survie.
• De plus, Sánchez établit la relation directe du gouvernement avec chaque individu résidant sur le territoire espagnol [le propre d’une forme de bonapartisme sui generis] et ne tient pas compte des syndicats, des organisations sociales et des gouvernements des Communautés autonomes. Cela signifie une recentralisation [du pouvoir] qui porte atteinte au processus d’autogouvernement, en particulier au Pays Basque, en Galice et en Catalogne, là où quelques droits nationaux ont été conquis ils sont donc violés. M. Sánchez a préféré imposer la manière «commander et contrôler» afin de présider à la coordination des efforts.
Le traitement réservé à l’Unidas Podemos, la recentralisation du pouvoir et le triomphe – pour l’instant – de l’aile la plus néolibérale du gouvernement, celle des ministres des Finances et de l’Economie [respectivement María Jesús Montero et Nadia Calviño], nous font prévoir un avenir incertain aux alliances nécessaires au gouvernement du PSOE dans des domaines aussi importants que les chapitres budgétaires généraux de l’Etat.
• Il existe des manœuvres pour rapprocher Ciudadanos [le parti est dirigé par Inés Arrimadas, après le reclassement dans le privé d’Albert Rivera, démissionnaire du parti en fin novembre 2019 suite au désastre électoral] du PSOE, mais à condition que le PSOE rompe ses discussions avec les nationalistes catalans. Même Vox [extrême-droite] a applaudi à la recentralisation du pouvoir parce qu’il la considère comme un mécanisme qui facilite une sortie autoritaire de la crise sans remettre en cause la minorité privilégiée. Le Parti Populaire (PP), en pleine euphorie électorale, mène une opposition opportuniste et cynique au gouvernement sans se soucier de ses responsabilités dans le démantèlement des soins de santé publics. Il propose des mesures contradictoires impliquant des augmentations de dépenses et une diminution des impôts.
• Le gouvernement peut adopter la même voie faillie que lors de la crise de 2008 qui a entraîné un renforcement de l’oligarchie et un appauvrissement de la majorité sociale, un autoritarisme croissant et un coup dur pour le fragile «Etat-providence» de l’Etat espagnol. L’orientation optée alors par José Luis Zapatero [président d’avril 2014 à décembre 2011, PSOE] a ouvert la voie à Mariano Rajoy [président de décembre 2011 à juin 2018, PP].
L’actuel gouvernement Sánchez peut aussi prendre le chemin inverse. On ne peut pas demander des sacrifices dans le domaine des droits sociaux et du bien-être économique quand on voit des cas d’enrichissement relevant de la corruption et de l’obscénité dans un régime de monarchie [issu, lui, du régime de Franco et maintenu par la transition de 1978].
• Il est nécessaire de choisir la voie qui place au centre: la vie, les intérêts des classes laborieuses et l’extension des droits et des libertés. En d’autres termes, il s’agit de la défense des services publics, de la socialisation des secteurs stratégiques de l’économie et de la promotion d’une planification démocratique pour mettre en place un modèle productif et reproductif en harmonie avec la biosphère. C’est précisément lorsqu’il y a une crise que nous devons faire des choix. Et aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de choisir: soit aux côtés des classes laborieuses, soit être l’allié des profits des banques et des grandes entreprises. (Déclaration reçue le 16 mars 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] L’épouse de Pedro Sánchez a été testée positive au COVID-19, tout comme deux ministres du gouvernement: celle de la fonction publique, Carolina Darias –membre du PSOE – et celle de l’égalité, Irene Montero, membre de Podemos. (Réd. A l’Encontre)
[2] Dimanche 15 mars 2020, étaient relevés officiellement 7753 cas d’infections au COVID-19 et 288 morts. L’Espagne est devenue le deuxième pays européen le plus touché. L’épicentre, Madrid, inquiète particulièrement les experts: le nombre de décès y est passé de 86 à 213 en vingt-quatre heures, du samedi au dimanche. (Réd. A l’Encontre)
[3] Formule de Winston Churchill utilisée le 13 mai 1940 devant le parlement. (Réd. A l’Encontre)
[4] ERTE: Expedientes de Regulación Temporal de Empleo. Cette procédure permet la suspension des contrats de travail temporaires pour une durée non précisée ou une diminution du temps de travail; leur application en cas de «force majeure» ne nécessite pas une période de négociation; le droit au chômage n’est perçu que si le salarié a cotisé 360 jours. ERE: Expediente de Regulación de Empleo. Cette procédure doit permettre à une entreprise considérée dans une «mauvaise» situation économique d’obtenir une autorisation pour licencier des salarié·e·s. (Réd. A l’Encontre)
[5] Le Fondo de Reestructuración Ordenada Bancaria (FROB) est un fonds de restructuration du secteur bancaire. Il a été créé par le gouvernement espagnol en juin 2009. Une vaste opération s’est déroulée jusqu’en novembre 2012 qui a impliqué une injection à hauteur de plus de 65 milliards d’euros pour sauver et restructurer l’ensemble du système bancaire. (Réd. A l’Encontre)
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