Vendredi 21 janvier 2011, tous les imams des mosquées d’Egypte ont été obligés d’évoquer l’interdiction et la condamnation du suicide en islam. Une obligation que visait le prêche prononcé pendant la grande prière du vendredi. Une situation qui ne se répète que rarement, surtout dans des conditions d’urgence.
C’est le ministère des Waqfs (qui s’occupe, entre autres, des «affaires religieuses») qui a imposé cette mesure et adressé à tous les imams sous sa coupe une circulaire, leur ordonnant d’expliquer aux fidèles l’interdiction islamique du suicide. Ceci fait suite à la répétition des tentatives de suicide par immolation de la semaine dernière.
Des huit tentatives de suicide, une personne est morte et deux autres ont été blessées. Abdou Abdel-Moneim, 50 ans, a commencé la «série» lorsqu’il s’est immolé devant le siège de l’Assemblée du peuple. Il revendiquait son droit à des galettes de pain supplémentaires subventionnées pour son petit restaurant. Face à l’attitude sévère des responsables et à leur refus d’accéder à sa demande, il n’a pas trouvé d’autre solution que l’immolation.
Le lendemain, un avocat d’une quarantaine d’années a perpétré le même geste devant le siège du gouvernement du Caire, tandis qu’à Alexandrie un chômeur de 25 ans est décédé à la suite de ses brûlures. Cinq autres personnes n’ont pas réussi à s’immoler. Une famille a aussi menacé de s’immoler devant l’Assemblée du peuple, mais les autorités l’ont empêchée de commettre ce geste.
Les mobiles de ces 8 cas sont différents. Mais la misère, la pauvreté et le ras-le-bol sont les sentiments communs à l’origine de ces actes.
Plusieurs instances ont réagi face à cette situation. L’institution d’Al-Azhar [université faisant référence dans l’étude de l’islam] a assuré, mardi dernier, que le suicide était «interdit» en islam. «L’islam interdit catégoriquement le suicide pour n’importe quelle raison que ce soit et ne permet pas de se séparer de son corps pour exprimer un malaise, une colère ou une protestation». Le porte-parole d’Al-Azhar, Mohamad Rifaa Al-Tahtawi, a ajouté qu’Al-Azhar ne pouvait commenter les cas des personnes qui se sont immolées par le feu. «Il peut s’agir d’individus dont l’état mental ou psychologique les a poussés à faire cela. On ne peut pas les juger, ils s’en remettent à Dieu. Nous prions pour eux», a-t-il conclu.
Youssef Al-Qaradawi, président de l’Union mondiale des oulémas musulmans, a indiqué que ces cas de suicide, comme celui du jeune Tunisien, sont dus au sentiment d’injustice chez les citoyens. Il a ajouté que les présidents des pays en question doivent assumer la responsabilité de ce qui se passe.
L’exemple tunisien
Beaucoup ont imputé ces tentatives de suicide au cas Bouazizi, ce jeune marchand ambulant tunisien décédé début janvier 2011, après s’être immolé le 17 décembre, déclenchant la révolte en Tunisie.
Cette tendance à l’immolation s’est répétée dans plusieurs pays comme la Mauritanie, l’Algérie et l’Egypte. «L’imitation est un phénomène psychologique connu. C’est pourquoi on a vu autrefois que lorsqu’une révolution se déclenche dans un pays, elle se répète dans les pays alentours», explique Hossam Sabri, psychologue à l’hôpital de Abbassiya.
Il ajoute que le fait d’avoir recours à ce genre de suicide douloureux et dans un lieu fameux comme l’Assemblée du peuple est un message de protestation et de désespoir.
Mais du point de vue politique, ces tentatives sont en relation certaine avec la situation politique et économique actuelle. Le Parlement populaire, un groupe d’opposition formé de plusieurs ex-députés, activistes et hommes politiques, a annoncé, dans un communiqué, que la série de suicides révèle la mauvaise situation dans laquelle vit le peuple. «Ce qui se passe montre que le régime est menteur lorsqu’il prétend l’amélioration du niveau de vie des Egyptiens».
Nabil Abdel-Fattah, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, pense aussi que ces actes sont la conséquence des mauvaises conditions de l’enseignement, de l’économie, des soins et d’un ensemble d’autres facteurs.
Selon les chiffres officiels, les cas de suicide ont augmenté dans les cinq dernières années. L’Organisme central des statistiques et de la mobilisation générale a annoncé qu’en 2009, 104’000 tentatives de suicide ont été signalées et que 66,6 % de ces personnes sont des jeunes âgés entre 15 et 25 ans.
Mohamad Mahdi, professeur de psychologie à l’Université d’Al-Azhar, explique qu’avec ces derniers chiffres, l’Egypte a dépassé les limites de l’acceptable. Il explique que les causes du suicide ont aussi changé ces dernières années et que les causes sociales prennent de l’importance sur les causes émotionnelles.
Par ailleurs, d’autres cas sont à recenser au cours des derniers mois. Mais les médias ne leur ont pas donné le même intérêt que les dernières immolations. Ossama Heikal, rédacteur en chef du quotidien Al-Wafd, explique que ces dernières tentatives de suicide sont un moyen d’attirer l’attention des responsables: «Tous les jours, les médias parlent des problèmes actuels, mais personne ne répond. Ces gens ont trouvé dans ces gestes un autre moyen d’expression». Heikal craint que ces tentatives ne deviennent une habitude avec le temps et ne perdent leur importance. Il cite le cas des dernières législatives où, malgré les critiques, rien n’a changé. Pour lui, le pessimisme est de mise.
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