Par Ignace Leverrier
L’année qui débute aujourd’hui s’annonce encore une fois difficile pour le peuple syrien. Il a été abandonné par la plupart des pays qui se disent «amis de la Syrie», mais qui préfèrent, pour mettre un terme aux massacres quotidiens et aux destructions systématiques, le contraindre à négocier avec un régime criminel plutôt que l’aider à lui substituer un Etat démocratique. Il est de ce fait aujourd’hui confronté à deux menaces redoutables… mais semblables: la folie éradicatrice de Bachar al-Assad, héritier autiste de «l’Etat de barbarie» façonné par son père, et la volonté de certains groupes djihadistes d’imposer à la population des principes intolérants dont elle ne veut pas.
Pourtant, des signes encourageants ne cessent de parvenir de l’intérieur même de la Syrie, pour rappeler à ceux qui l’auraient oublié ou qui refusent de le voir que les Syriens sont loin d’avoir épuisé leurs capacités de résistance. Ils n’ont toujours pas renoncé à choisir eux-mêmes leur avenir et ils continuent de rejeter toutes les formes de radicalisme.
Ainsi, pour lutter contre la prolifération des combattants encagoulés dans les régions passées sous le contrôle de l’opposition, des activistes ont récemment lancé une campagne intitulée «Qui es-tu? Un chabbiha? Un moukhabarat? Un voleur?»
Pour faire cesser une recherche d’anonymat qui, selon eux, n’a aucune justification dans les zones débarrassées des agents du régime, ils ont réclamé des Comités juridiques et des groupes armés de l’Armée syrienne libre (ASL) la poursuite de ces inconnus. Sûrs de leur impunité, nombre d’entre eux se sont en effet livrés au cours des mois écoulés à toutes sortes de méfaits. Ils ont pillé des commerces, enlevé et exécuté des citoyens, attaqué et saccagé des maisons, semé la terreur parmi les habitants…
Débutée à Alep, la campagne a fait des émules à Saraqeb, dans le gouvernorat d’Idlib, où des habitants ont manifesté sous le slogan «Nous ne voulons pas d’encagoulés chez nous». Des hommes au visage caché par un foulard y avaient en effet attaqué le siège d’un Forum social, un bureau du Projet d’Entraide sociale et une maison abritant des journalistes danois.
Les initiateurs de la campagne n’ont jamais imaginé que les auteurs de ces actes, membres pour la plupart de «Da’ech» – acronyme péjoratif de l’Etat islamique d’Irak et du Pays de Cham –, modifieraient immédiatement leurs comportements. Ils étaient trop puissants dans le nord de la Syrie pour se plier à d’autres lois que la leur, basée sur une compréhension étriquée et une application sans concession des principes de l’Islam. De fait, au cours des derniers jours de l’année écoulée, ils ont multiplié comme par défi leurs agressions. Comme Reporters sans Frontières l’a signalé, dans un long communiqué daté du 30 décembre, ils paraissent avoir délibérément concentré leurs attaques sur les journalistes indépendants, que le respect des règles éthiques de leur profession conduit à critiquer aussi bien les crimes du régime et de ses agents que ceux des groupes islamistes radicaux… et, si nécessaire, des combattants ou des unités de l’ASL.
Ces provocations n’ont pas tardé à être dénoncées. A Kafranbul, par exemple, qui ne laisse à aucune autre ville ou localité syrienne le soin de rappeler que les objectifs de la révolution restent la liberté, la justice et la dignité, une manifestation a aussitôt été organisée. Les slogans et les panneaux confectionnés pour l’occasion ont démontré que ses habitants n’étaient nullement impressionnés par l’obscurantisme et le recours à la force des hommes de l’Etat islamique. Considérant que leur ville avait été «victime d’un viol», commis par des «occupants» sous le prétexte qu’elle ne voulait pas autre chose qu’un Etat civil et démocratique, ils ont réclamé tout simplement «la chute de Da’ech»…
Quelques jours plus tard, ils n’ont pas hésité à exhiber une nouvelle caricature dont l’inspiration et la signification n’échappent à personne.
Si Kafranbul reste exemplaire dans sa résistance à toutes les formes de coercition, d’autres Syriens continuent de se battre ailleurs, de Raqqa à Alep, avec les mêmes objectifs, et parfois avec le même sens de la dérision qui a largement contribué depuis deux ans et demi à la réputation de la ville. Ils n’oublient pas pour autant que le conflit en cours continue d’opposer avant tout le peuple syrien au régime que Bachar al-Assad est censé diriger et qu’il défend avec le soutien de mercenaires désormais aussi nombreux, sectaires et sanguinaires que certains djihadistes.
Des activistes rappellent d’ailleurs que la recherche de l’anonymat est aussi une pratique des partisans du régime, dont les exactions au détriment des populations ne le cèdent en rien aux crimes des djihadistes. Dans le gouvernorat de Hassakeh, par exemple, que le Parti de l’Union démocratique (PYD, ex-PKK) prétend avoir «libéré»… alors que sa gestion lui a été temporairement concédée par le pouvoir en place, la plupart des membres des «Forces de Défense nationale», des milices créées pour compenser les désertions dans les rangs de l’armée, agissent eux aussi le visage dissimulé par un foulard. Appartenant pour la plupart à des tribus arabes inféodées au pouvoir, parmi lesquelles les Ta’ï, figurent en bonne place, ils pensent échapper ainsi aux conséquences de leurs crimes et à l’opprobre de leurs concitoyens.
Mais, dans la Jazireh comme ailleurs, les Syriens ne se laisseront plus faire. Et ceci, dans les circonstances actuelles, constitue une excellente nouvelle. En ce début d’année 2014 et à l’approche de la possible conférence de paix de «Genève 2», elle mérite d’être relevée et largement colportée. (1er janvier 2014, sur le blog d’Ignace Leverrier)
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