Par Benjamin Barthe
Ils auront résisté près de quatre ans et demi. Mais cette fois c’est fini. Les rebelles barricadés depuis l’été 2012 dans les quartiers orientaux de la capitale du nord de la Syrie ont succombé à l’offensive loyaliste. Après avoir reculé de quartier en quartier depuis le déclenchement de cette attaque, le 15 novembre, les combattants anti-Assad, terrassés par la puissance de feu de leur adversaire, ne contrôlaient plus, mardi 13 décembre, qu’une minuscule poche de territoire, au sud de la citadelle.
Un réduit d’une poignée de kilomètres carrés, centrés sur les districts de Seïf Al-Daoula et Al-Ansari, dont la reprise par les forces pro-gouvernementales semblait imminente. «Nous sommes dans les derniers instants avant la proclamation de la victoire de l’Armée arabe syrienne dans la bataille d’Alep-Est, affirmait lundi après-midi une source militaire syrienne. Nous pouvons l’annoncer à tout moment.»
Alors que ce week-end, ses alliés russes, par conviction ou diversion, entretenaient encore l’idée d’une évacuation de dernière minute des rebelles, le régime Assad, visiblement décidé à frapper les esprits, a imposé son propre dénouement: l’écrasement inconditionnel de l’insurrection. La reddition ou la mort. Un épilogue d’une brutalité implacable, sur lequel flotte le spectre des massacres de masse, commis par l’armée syrienne, en réponse à des soulèvements islamistes: à Hama, en 1982, et à Alep – déjà – en 1980.
«La fin du monde»
Les journalistes présents dans la partie ouest relataient lundi que le pilonnage des quartiers orientaux était le plus intense de ces derniers jours. La télévision syrienne a diffusé des images du quartier de Salhine, tombé aux mains de l’armée, montrant une étendue de ruines, avec des cadavres jonchant le sol et quelques civils errant dans les décombres, en tenant par la main un enfant ou des bagages.
Selon Moscou, 2200 insurgés se sont rendus depuis le début de la bataille d’Alep et 100’000 civils ont quitté les quartiers qu’ils tenaient. L’ONU parle pour sa part de 40’000 déplacés. L’Observatoire syrien des droits de l’homme affirme que l’offensive a fait 415 morts civils et 364 parmi les combattants de l’est. Un bilan que les militants locaux jugent largement sous-évalué, compte tenu du fait que de nombreux corps, prisonniers des décombres, n’ont pas pu être décomptés par les autorités médicales.
Sur les réseaux sociaux ou par l’intermédiaire des applications de messagerie électronique, auquel certains assiégés d’Alep ont encore accès grâce à un système d’Internet par satellite, des bribes de témoignages parviennent à l’extérieur. «Les gens courent entre deux bombardements pour échapper à la mort (…). C’est la fin du monde ici», racontait lundi Abou Amer Ikab, un ancien fonctionnaire de Soukkari, joint par l’agence Reuters, peu avant l’arrivée des troupes pro-Assad.
«Les blessés meurent sous nos yeux. Il n’y a plus de médicaments, plus d’anesthésique», confiait dimanche Abou Assad, un infirmier, situé dans un centre médical de fortune, dans le quartier de Kalasa. Quelques heures plus tard, une rafale de messages désespérés arrivait d’un docteur, présent au même endroit. «Attaque au chlore.» «Nous sommes piégés. On ne peut plus respirer.» «Trois personnes sont en train de mourir.»
Le même jour, le docteur Farida, la dernière gynécologue en activité à Alep-Est, postait sur un groupe WhatsApp reliant des journalistes étrangers à des médecins et à des militants révolutionnaires d’Alep un récit poignant. «Un ami de la famille, du quartier d’Al-Ferdous, a amené son fils aîné au centre médical, pour faire examiner son œil. Cela a pris une demi-heure. Quand il est revenu chez lui, il a trouvé son appartement qui s’est effondré sur sa femme et ses trois autres enfants. Il a essayé de les sortir des gravats, mais il n’a pas pu, faute de matériel adéquat et du fait des tirs d’artillerie. Il veut juste voir les corps et les enterrer dignement. Je crois qu’il va devenir fou.»
Lundi, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, s’est alarmé d’informations faisant état d’atrocités perpétrées «contre un grand nombre» de civils, dont des femmes et des enfants. Outre l’hécatombe causée par les bombardements aveugles du régime syrien, les observateurs redoutent que de nombreux opposants, armés ou non, ne fassent l’objet d’exécutions sommaires. Selon des militants et deux habitants de l’est, au moins 79 civils ont été tués de cette façon, dans les quartiers de Ferdous et Salhine, repris par les loyalistes. L’inquiétude est d’autant plus grande que les troupes régulières sont accompagnées sur le terrain de miliciens pro-Assad, syriens ou étrangers, à la brutalité notoire.
Rompant avec sa discrétion habituelle, le Comité international de la Croix-Rouge a publié un communiqué alarmiste, dans lequel il «implore toutes les parties à épargner la vie humaine». Reconnaissant son échec à mettre en place des corridors d’évacuation à peu près sûrs, l’organisation humanitaire souligne le fait que «des milliers de personnes, sans rôle dans les violences, n’ont nulle part où se réfugier».
Des cas d’arrestation de civils fuyant les combats émergent. Vendredi, le porte-parole du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme de l’ONU, Rupert Colville, avait évoqué la disparition de «centaines d’hommes», séparés de leur famille, après être parvenus dans la zone occidentale d’Alep, sous contrôle gouvernemental. Le responsable onusien avait aussi accusé deux groupes rebelles radicaux, le Front Fatah Al-Cham, une émanation d’Al-Qaida, et les Brigades Abou Amara, d’avoir tué et kidnappé des civils tentant de se réfugier à l’ouest.
Messages d’adieu
«Nous savons que les forces du régime ont aménagé un centre de détention temporaire dans le quartier de Hanano, repris au début de l’offensive, affirme Saïd Eido, de l’Institut syrien pour la justice, une ONG alépine de défense des droits de l’homme. Nous avons entendu parler d’une douzaine de cas d’arrestations, d’hommes, mais aussi de femmes, parentes de membres de la rébellion.»
Les autorités syriennes ont démenti toute rafle, affirmant que les soldats se contentent de procéder à des vérifications d’identité. L’agence Reuters a diffusé des images d’hommes entre vingt et trente ans alignés contre un mur, face à des membres de la police militaire syrienne. Il s’agit de rescapés d’Alep-Est que l’armée syrienne s’apprête à incorporer de force dans ses unités.
Dans ce contexte, les militants anti-Assad se préparent au pire. Les appels au secours qu’ils diffusaient ces derniers jours sur WhatsApp ont fait place à des messages d’adieu. «Ça ressemble à la fin, les amis, écrivait lundi Monther Etaky, un journaliste-citoyen. On se défendra pour ne pas être exécutés. Racontez juste notre histoire au monde entier. Faites en sorte que mon fils soit fier de son père.»
Pendant ce temps, la télévision officielle syrienne diffusait des images de liesse dans les quartiers ouest, où des habitants distribuaient des friandises, pour célébrer la «libération» de leur ville. (Article publié dans Le Monde daté du 14 décembre 2016, p. 2)
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