Les grands médias israéliens découvrent le mouvement de boycott

yedioth1Le World Economic Forum de Davos approche. Un débat inattendu se fait jour. Le quotidien français Le Figaro écrit: «Une centaine de grands patrons israéliens s’apprêtent à lancer un appel pour la paix avec les Palestiniens en marge du Forum économique de Davos, auquel doivent notamment prendre part le premier ministre Beyamin Nétanyahou et le président Dhimon Pérès. Ces chefs d’entreprise mettent en garde contre les conséquences économiques qu’entraînerait, selon eux, un échec des négociations engagées fin juillet sous la médiation de John Kerry. Ils redoutent notamment que les appels au boycott des produits fabriqués dans les colonies, pour l’heure guère suivis d’effet, reçoivent à l’avenir un écho croissant.

«Nous devons atteindre un accord de paix – en urgence», s’alarment ces grands patrons dans un texte dévoilé par le principal quotidien israélien Yedioth Ahronoth. Parmi les signataires figurent Meir Brand, le PDG de Google Israël, Avi Gabay, PDG de l’opérateur téléphonique Bezeq, le magnat de la grande distribution Ramy Levy ou le géant de l’agroalimentaire Ofra Strauss. «Le monde est en train de perdre patience et la menace de sanctions augmente de jour en jour, préviennent-ils. Nous avons une fenêtre d’opportunité avec l’arrivée de John Kerry dans la région, et il faut la saisir».

Si Benyamin Nétanyahou se dit convaincu que l’économie israélienne, dopée par le développement des nouvelles technologies et de plus en plus orientée vers l’échange de biens immatériels, peut parfaitement prospérer en l’absence de solution de paix, un nombre non négligeable d’entrepreneurs expriment l’opinion inverse. Ils s’inquiètent notamment des mises en garde formulées au sein de l’UE, dont la moitié des États membres serait désormais favorable à un étiquetage des produits fabriqués dans les colonies. «Les négociations constituent la dernière digue contre les vagues du boycott», estime la négociatrice israélienne Tzipi Livni, favorable à un compromis avec les Palestiniens.

Début janvier 2014, le fonds de pension néerlandais PGGM, qui affirme gérer quelque 150 milliards d’euros, a jeté un froid en annonçant son intention de boycotter cinq banques israéliennes en raison de leurs activités dans les colonies de Cisjordanie. Peu auparavant, le plus gros fournisseur d’eau potable néerlandais avait suspendu sa collaboration avec son homologue israélien. Des initiatives pour l’heure isolées, mais que certains responsables israéliens craignent de voir se multiplier.

«Un accord avec les Palestiniens permettrait à Israël de réduire ses investissements dans le secteur de la défense et lui ouvrirait d’immenses opportunités commerciales dans le monde arabe. Au contraire, le boycott économique et la perte de légitimité internationale constituent des menaces majeures», estime ainsi l’ex-ambassadeur Itamar Rabinovich, signataire de l’appel, dans un entretien à Reuters.

Le ministre de l’Economie Naftali Bennett, issu d’une formation d’extrême droite proche des colons de Cisjordanie, a pour sa part balayé l’initiative des chefs d’entreprise. Il souligne au contraire que la création d’un Etat palestinien souverain générerait des problèmes sécuritaires qui retentiraient mécaniquement sur l’économie israélienne. «Nous devons redresser la tête et cesser d’avoir peur, a-t-il lancé lundi. Comme nous avons combattu le terrorisme et l’avons défait, nous devons aujourd’hui mener un nouveau type de guerre contre ceux qui cherchent à délégitimer l’Etat d’Israël.»

Dans cet article du Figaro les termes d’«accords avec les Palestiniens», d’une part, relèvent d’un vocabulaire diplomatique plus qu’usé et, d’autre part, font, au mieux, référence à une concession mineure dans un contexte régional bouleversé et de débats internes en Israël au sein des formations politiques sur les formes à donner à la stratégie sioniste, tenant compte des orientations des Etats-Unis dans toute la région. Et du discours à la réalité il y a un fossé. Toutefois, l’émergence publique de ce débat mérite d’être relevée dans le contexte de l’actualité dictée par la tenue du WEF. Dans ce sens nous publions, ci-dessous, la traduction de l’article paru sur le site +972 par un auteur qui se définit lui-même comme ayant été chroniqueur du Jerusalem Post et du US News and Wolrd Report. Il se dit «sioniste ultra-libéral et aussi à gauche qu’un centriste» peut l’être! (Rédaction A l’Encontre)

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Par Larry Derfner

Samedi soir 18 janvier, le boycott d’Israël a gagné une manche importante dans l’opinion publique de ce pays. En première partie de soirée, Channel 2 News, qui est l’émission d’actualité la plus suivie et la plus influente ici, a passé une émission de 16 minutes, dans son programme en prime-time à 20 heures, consacrée au boycott. Cette émission a été marquante non seulement à cause de sa longueur et de l’importance qui lui a été attribuée, mais surtout parce qu’elle ne diabolisait pas le mouvement de boycott et ne l’attribuait pas à de l’antisémitisme ou à une hostilité primaire à l’égard d’Israël. Au lieu de cela, la journaliste haut de gamme Dana Weiss a traité le boycott comme un fait accompli en rapide expansion à cause de la politique de colonisation israélienne et à laquelle on ne pourrait remédier qu’en renversant cette politique.

Dans son récit, Dana Weiss raille les colons et la réaction d’autruche du gouvernement devant la marée montante du mouvement de boycott. Le segment de l’émission sur le Parc industriel Barkan en Cisjordanie s’ouvre sur un fond de musique à la guitare genre western. «Pour le monde entier, c’est un mauvais point, un symbole de l’occupation», commente-t-elle. «Mais ici ils insistent que c’est en fait un point de lumière dans la région, une île de coexistence qui continue à prospérer malgré les efforts pour le rayer de la carte.» Un patron qui a transféré son entreprise à Barkan depuis l’autre côté de la Ligne verte se ridiculise en disant: «Si seulement l’Etat nous aidait en boycottant les Européens et d’autres pays qui nous causent des problèmes...» Le passage sur Barkan se termine sur la déclaration du gérant de Shamir Salads qui explique qu’entre le boycott des Européens et celui des Palestiniens, il perd entre 115’000 et 143’000 dollars par mois de ventes. Et il ajoute: «A mon avis, cela se répandra ailleurs en Israël à des endroits qui n’ont aucun lien avec les Territoires

Weiss ridiculise également Ze’ev Elkin, ministre délégué aux Affaires étrangères, qui dirige ce qu’il appelle la «guerre hasbara [propagande israélienne]». Weiss: «Oui, les gens du Ministère des affaires étrangères en sont restés depuis quelque temps à la vieille conception: tout est une question de hasbara. Cette semaine, la nouvelle arme de cette campagne, développée avec les contributions des juifs du monde: [pause] une autre agence hasbara, cette fois avec le nom original “Face à Israël”.» Elle cite le copropriétaire de l’entreprise vinicole Psagot lorsqu’il déclare que le boycott ne doit pas nous inquiéter, «les gens ont boycotté les Juifs depuis 2000 ans» et qui conclut: «Si vous voulez mon avis, au cours des 2000 dernières années, notre situation actuelle est meilleure que jamais.» Cette dernière phrase, qui révèle ce que Weiss décrit comme étant la «concepzia» d’Elkin, répète les paroles tristement célèbres que les Israéliens associent avec la suffisance fatale qui a précédé la guerre surprise de Yom Kippour.

L’émission de Channel 2 présente également des appels téléphoniques avortés avec des «victimes» du boycott qui ne voulaient pas être interviewées par crainte d’une mauvaise publicité. Le témoignage le plus dramatique est celui de Daniel Reisner, un avocat au cabinet Herzog Fox Neeman, qui conseille ce type de clients. Il explique: «La plupart des entreprises qui souffrent du boycott se comportent comme des victimes de viol. Elles ne veulent en parler à personne. C’est comme si elles avaient attrapé une maladie honteuse. De plus en plus de compagnies viennent solliciter nos conseils – discrètement, le soir, là ou personne ne peut les entendre – et ils disent: «Je me suis mis dans telle et telle situation, pouvez vous faire quelque chose pour m’aider?» Sans donner les noms de ses clients ni l’étendue de leurs pertes, Reisner explique que le boycott est en train de faire perdre des contrats étrangers et des investisseurs. «Je crains un effet de boule de neige», dit-il.

Le professeur Shai Arkin, vice-président de Recherche et développement à l’Université hébraïque de Jérusalem, dit qu’il y a beaucoup de cas de candidats israéliens pour des postes dans des universités étrangères qui sont rejetés parce leur service dans l’armée israélienne figure dans leur curriculum.

Matthew Gould, l’ambassadeur de Grande-Bretagne en Israël, donne cet avertissement amical: «J’aime Israël, et je crains que d’ici à cinq ans Israël va se réveiller et se rendre compte qu’il n’a pas assez d’amis.»

Weiss pose à l’ambassadeur de l’Union européenne, Lars Faaborg-Andersen, la question suivante: «Si Israël changeait sa politique, pensez-vous que tout ceci disparaitrait?» Et l’ambassadeur répond: «Oui, c’est lié à la politique israélienne. Si l’affaire des colonies continue son expansion, Israël se trouvera dans un isolement croissant.»

L’émission présente Tzipi Livni comme aspirant à sauver le pays. Elle dit que les négociations actuelles avec les Palestiniens (dans lesquelles elle représente Israël, avec le confident de Netanyahou, Isaac Molho) sont en train de freiner l’expansion du boycott, mais que «s’il y a une crise [dans les pourparlers], ce sera le déchaînement». Elle ajoute qu’elle «lance des cris pour que les gens se réveillent».

Weiss: «Que signifie tout cela? Comment est-ce que ce sera ici? Comme en Afrique du Sud?» Livni: «Oui, j’ai parlé avec des Juifs qui vivent en Afrique du Sud qui disent: «Nous pensions avoir le temps. Nous pensions pouvoir résoudre le problème. Nous pensions n’avoir pas du tout besoin du monde. Et tout à coup c’est arrivé.»

Seize minutes en prime time le samedi – c’est-à-dire à la fin de week-end dans ce pays – sur la chaîne TV Channel 2, la plus populaire en Israël, voilà un évènement marquant. Un bâton dans le rouage de déni national. Assurément un signe de progrès – et de vie. Cela est un autre rappel des raisons pour lesquelles il vaut la peine de se battre pour ce pays, car pour beaucoup d’entre nous Israéliens qui soutenons le boycott, même si nous ne sommes pas nécessairement une majorité, c’est cela le mouvement de boycott. (Article publié sur le site +972, le 19 janvier 2014; traduction A l’Encontre)

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