Gaza. «Israël doit lever le blocus»

Une fillette palestinienne tuée, le 4 août 2014, suite à un bombardement sur le camp de réfugiés de Chati (AFP)
Une fillette palestinienne tuée, le 4 août 2014, suite à un bombardement sur le camp de réfugiés de Chati (AFP)

Par Luc Mathieu

Yasser Arafat est né ce 31 juillet 2014, en début de soirée à l’hôpital Al-Shifa de Gaza. C’est un beau bébé joufflu aux cheveux noirs et au nez retroussé. Sa mère a un immense sourire en expliquant qu’il se porte très bien. Son père aussi a l’air ravi quand il explique qu’il avait décidé de l’appeler «Ahmed, ou Mohamad, enfin, n’importe quel prénom normal». Mais le début de la guerre, le 8 juillet, a tout changé. «Choisir Yasser Arafat est la seule manière que j’ai de montrer que je soutiens la résistance. C’est grâce à eux qu’on tient depuis presque un mois. Je leur donnerais mon âme si je pouvais», dit le père, Mahmoud, 23 ans.

Il ne fait pas partie du Hamas, du Jihad islamique ou de n’importe quel groupe armé palestinien actif dans la bande de Gaza. Sans diplôme, il vit de petits boulots, ouvrier sur des chantiers de maisons, de routes, éboueur, tout ce qu’il trouve.

«Résistance». Le 17 juillet, il a fui sa maison de Beit Lahiya, frappée par des chars israéliens. Il s’est réfugié depuis avec sa femme dans une école d’El-Nasser, dans la ville de Gaza. «Cette fois, il faut se battre jusqu’au bout, jusqu’à la liberté, jusqu’à ce que nous obtenions nos droits», dit-il dans un couloir de l’école, devant les couvertures grises qui cachent les deux matelas où il dort avec sa femme et son fils. C’est l’une des conséquences systématiques de chaque offensive menée par Israël dans la bande de Gaza.

Alors que la guerre a pour objectif déclaré d’affaiblir le Hamas et les groupes armés, elle ne fait que les renforcer, au moins temporairement, dans l’opinion palestinienne. «Le Hamas est sans aucun doute beaucoup plus populaire que début juillet. Il était affaibli, contesté, isolé politiquement, mais aujourd’hui, tout le monde se range derrière lui. Il est revenu au premier plan, non seulement dans la bande de Gaza, mais aussi dans la région», explique Mkhaimar Abusada, professeur associé de sciences politiques à l’université Al-Azhar de Gaza.

Gaza, le 4 août 2014
Gaza, le 4 août 2014

Chef du département de français dans la même faculté, Ziad Medoukh n’a pas eu à se réfugier dans une école ou chez des proches. Son immeuble, cossu selon les normes de Gaza, c’est-à-dire peint et bien construit, n’a pas été bombardé. Ziad Medoukh et sa famille vivent toujours dans leur appartement au grand salon bordé de profonds canapés. Mais comme les autres habitants de Gaza, ils n’ont plus d’électricité et d’eau courante depuis cinq jours. La nourriture est plus difficile à trouver. Depuis deux jours, ils ne font plus que deux repas au lieu de trois. A l’entendre, ces difficultés, qui empireront fatalement à mesure que le conflit dure, ne comptent pas. «Il y a une forme de fierté à être toujours à Gaza, à être toujours debout après vingt-six jours de bombardements et de destructions. Je suis persuadé que cette résistance, celle des civils, des gens normaux, renforce la détermination des combattants. Et leurs succès renforcent la nôtre», affirme-t-il.

Dans les écoles ou les appartements, dans la rue ou dans les rares épiceries encore ouvertes, les habitants de Gaza se disent surpris de la puissance militaire du Hamas et du Jihad islamique. Pour la première fois, des combattants se sont infiltrés, via des tunnels, derrière les lignes israéliennes. Leurs missiles ont atteint Haïfa et Tel-Aviv, où l’aéroport international a dû être fermé durant une journée.

Et il y a surtout ce bilan: 64 soldats israéliens tués. En 2012, lors de la dernière guerre, deux soldats avaient péri. «Le Hamas a énormément appris depuis l’invasion israélienne de 2008. Il a construit de nouveaux tunnels, acquis et fabriqué des missiles longue portée. Il a même ses propres drones», explique Mkhaimar Abusada. Ce savoir-faire vient en partie de l’Iran, parrain historique. Selon plusieurs analystes de Gaza, des combattants du Hamas y ont été formés, notamment à la fabrication de missiles, avant de revenir. Ils ont aussi utilisé l’expérience du Hezbollah libanais, qui a affronté l’armée israélienne en 2006. Le face-à-face avec les soldats israéliens étant forcément perdant, mieux vaut miser sur les actions-éclair, avec des combattants qui surgissent d’un tunnel et ouvrent le feu.

Salué aujourd’hui, le Hamas était pourtant à la peine dans la bande de Gaza avant la dernière offensive israélienne (lire à ce sujet l’entretien avec Gilbert Achcar publié le 1er août 2014 sur ce site). La guerre en Syrie l’avait éloigné de l’Iran, Téhéran soutenant le régime de Bachar al-Assad tandis que le mouvement palestinien s’était déclaré en faveur des rebelles. Il avait perdu le soutien de l’Egypte en juillet 2013, lorsque Mohamed Morsi, lié aux Frères musulmans, a été destitué au profit du maréchal Al-Sissi.

Dès le coup d’Etat au Caire, les nouvelles autorités égyptiennes ont durci les conditions de passage à Rafah, à la frontière avec Gaza. Elles ont ensuite ordonné la destruction de la majorité des tunnels de ravitaillement qui permettaient de contourner, en partie, le blocus israélien. Exsangue et isolé, incapable de payer ses 40’000 fonctionnaires, le Hamas est finalement contraint de négocier avec le Fatah de Mahmoud Abbas, exclu de Gaza après une guerre fratricide en 2007. Le 2 juin, la création d’un gouvernement d’union nationale, formé de technocrates, est annoncée. Mais le 8 juillet, les premiers bombardements israéliens visent Gaza.

Rien à perdre. Jusqu’à quand le Hamas peut-il compter sur son regain de popularité? «C’est toute la question. Mais que ce soit dans quelques jours ou dans quelques semaines, il y aura forcément des gens qui commenceront à mettre en doute sa stratégie s’il n’y a pas de cessez-le-feu. La situation devient critique pour les plus de 200’000 déplacés qui n’ont plus de maison et s’entassent là où ils le peuvent. La population est épuisée», estime Mkhaimar Abusada. Son collègue professeur de français se dit, lui, prêt à tenir le temps qu’il faudra. «Nous avons toujours la même demande: Israël doit lever le blocus. C’est invivable sinon. Mais cette fois, nous ne lâcherons pas, nous n’accepterons pas d’autre issue à cette guerre.»

Dans l’école El-Nasser, Mahmoud affirme également qu’il n’a plus rien à perdre. Il a déjà choisi le nom de son prochain fils : Khaled Mechaal, le chef politique du Hamas. «Et après, pour les autres, je descendrai dans la hiérarchie», dit-il en regardant dormir Yasser Arafat. (Publié dans Libération, page 2, le 4 août 2014)

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Dix Palestiniens, au moins, morts dans le bombardement d’une école de l’ONU, le 3 août 2014

Par Luc Mathieu

«Hôpital» de Rafah, après le bombardement d'une école de l'ONU
«Hôpital» de Rafah, après le bombardement d’une école de l’ONU

D’ordinaire, c’est le cabinet du dentiste de l’hôpital de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Aujourd’hui, c’est là que les infirmiers allongent les cadavres qui ne cessent d’arriver. «Nous n’avons pas de morgue, nous n’avons nulle part ailleurs pour les conserver», dit le directeur des urgences, Ahmed Al Begura.

Une école de l’ONU où s’étaient réfugiées 3000 personnes a été touchée ce matin par un bombardement de l’armée israélienne. Selon des témoins, la bombe a explosé juste devant l’entrée principale, dans la rue. Au moins 10 Palestiniens ont été tués et environ 30 autres blessés. C’est la deuxième fois en moins d’une semaine qu’une école de l’ONU transformée en abri pour les habitants de Gaza fuyant les combats est visée. Dans la nuit, 30 autres personnes ont péri lors de bombardements dans la zone de Rafah.

Des lits dans l’ombre du Préau

Peu avant midi, des dizaines de Palestiniens se sont rassemblés devant les grilles de l’hôpital. Tous tentent d’entrer pour identifier un proche ou un ami. Dans la cour, des brancards rouges sont alignés contre un mur. Des lits ont été installés à l’ombre d’un préau. Les ambulances se croisent, sans arrêt. Leur sirène ne suffit pas, des employés de l’hôpital hurlent pour leur ouvrir un passage. «Nous avons reçu plusieurs dizaines de blessés depuis 4 heures ce matin. Mais nous n’avons que 15 lits, nous sommes complètement débordés. Nous sommes obligés de renvoyer les cas les plus graves vers les autres hôpitaux», explique Ahmed Al Begura.

Des jeunes passent en portant un brancard où repose une dépouille. Ils courent pour l’enterrer dans le cimetière qui n’est qu’à quelques centaines de mètres. L’hôpital ne conserve que les cadavres non identifiés.

La ville de Rafah et les villages qui l’entourent sont pilonnés depuis vendredi par l’armée israélienne. La raison semblait être la capture, vendredi, d’un soldat de Tsahal par les brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas. Mais alors que le Hamas et l’armée israélienne s’accusaient mutuellement d’avoir violé le cessez-le-feu qui avait débuté ce jour-là à 8 heures, des versions contradictoires sur la réalité de cette capture ont circulé. Finalement, l’armée israélienne a indiqué que le soldat porté disparu avait été tué lors d’un affrontement. Le délai, a-t-elle expliqué, est dû au temps qu’il a fallu pour procéder aux analyses ADN.

«Jamais nous n’avons reçu de SMS nous disant de partir»

A Rafah, les habitants affirment que, contrairement à son habitude, l’armée israélienne ne les prévient plus avant de frapper. «Les bombardements ont duré toute la nuit, plusieurs maisons de mon quartier se sont effondrées. Jamais nous n’avons reçu de SMS nous disant de partir. Les gens ne savent plus aller, aucun endroit n’est sûr», explique Mohammed Gahma, qui habite dans la banlieue est de Rafah. Ahmed Abou Ilal, 19 ans, était dans l’école visée ce matin. «Je mangeais tranquillement quand il y a eu le bombardement, personne ne nous a avertis.» Il observe les trois cadavres allongés dans le cabinet du dentiste de l’hôpital. Il ne reconnaît personne. «Je cherche mon cousin», explique-t-il. (3 août 2014)

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