L’Etat islamique… après Mossoul

17f995ce169642cea033ee5019a4e194_18Par Hassan Hassan

A mesure qu’une alliance de forces irakiennes et kurdes progresse pour reprendre la ville de Mossoul à l’Etat islamique, il ne devrait exister aucun doute quant à ce que le groupe [Etat islamique] prévoit de faire. Il combattra jusqu’au bout pour défendre bastion le plus peuplé et le plus symbolique. Après tout, c’est à Mossoul qu’Abu Bakr al-Baghdadi – dirigeant de la ville pendant deux ans avant de diriger, en 2010, l’Etat islamique – déclare un califat depuis la chaire d’une mosquée emblématique du XIIsiècle.

Si l’Etat islamique perd Mossoul, le groupe a formulé clairement un plan de secours, soit une stratégie qu’il a fréquemment diffusée sur différentes plateformes au cours des cinq derniers mois: l’inhiyaz, la retraite temporaire dans le désert.

Le terme «inhiyaz» a fait son apparition en mai, lors du dernier discours prononcé par Abu Muhammad al-Adnani, le porte-parole du groupe qui a été tué lors d’une frappe américaine en août 2016. Monsieur Adnani expliquait que les pertes territoriales ne signifiaient pas la défaite et que les combattants lutteraient jusqu’au bout avant de se retirer dans le désert, préparant un retour à l’instar de ce qu’ils ont fait entre 2007 et 2013.

Différentes publications de l’Etat islamique ont repris ce thème. La lettre d’information du groupe, Al-Naba, a diffusé un article sur le sujet en août, rappelant comment les combattants de l’Etat islamique en Irak, le prédécesseur de l’Etat islamique, ont survécu après avoir été expulsés en 2007 des villes irakiennes suite aux renforcements des troupes américaines et l’insurrection des tribus [sunnites] connue sous le nom du Réveil.

Selon cet article, tandis que la majorité des combattants battaient en retraite, des dizaines d’autres sont restés en arrière pour fomenter une campagne de terreur. L’article explique – correctement – que la campagne de six ans des djihadistes épuisa et fragmenta les groupes sunnites, facilitant à l’Etat islamique le contrôle du cœur sunnite après son retour en 2013.

«Les événements historiques montrent que les moudjahidin de l’Etat islamique ont empêché les apostats de jouir d’un seul jour de paix et de sécurité», affirme l’article, ce qui consiste en un sinistre avertissement de ce qui pourrait se passer bientôt en Irak.

En août, l’Etat islamique a également diffusé une vidéo prétendument filmée dans le Wilayat al-Furat [province de l’Euphrate], l’une des provinces auto-déclarées du califat. A la différence de la plupart des vidéos de l’Etat islamique qui montrent des combats urbains, celle-ci met en scène une bataille dans le désert, avec des prises de vue d’affrontements près de Rutbah, une localité stratégique dans l’ouest de l’Irak qui relie Bagdad à la capitale de la Jordanie, Amman. Dans cette vidéo, les combattants de l’Etat islamique attaquent et prennent un camp dont ils affirment qu’il était occupé par des forces américaines et gouvernementales irakiennes.

Amaq, l’agence de presse de l’Etat islamique, a fourni un extrait de la vidéo portant des sous-titres en anglais. Deux semaines plus tard, le même organe reproduisait et diffusait une vidéo similaire, aussi filmée dans le désert, se terminant par une scène où l’on voit le cadavre d’un soldat irakien traîné le long d’une rue.

Ces vidéos, à l’instar des articles et du discours d’Adnani au sujet de l’inhiyaz ont pour but de préparer les combattants de l’Etat islamique à la perte de territoires. Les Etats-Unis et ses alliés devraient toutefois aussi y prendre garde.

Pour l’Etat islamique, le Wilayat al-Furat n’est pas moins important que Mossoul. En termes de survie sur le long terme, le désert est aussi important que les villes. Wilayat al-Furat est la seule province qui chevauche la frontière entre l’Irak et la Syrie, des territoires et des zones éloignées comme celles-ci sont des cachettes pour des responsables du groupe (s’ils ne s’y trouvent pas déjà).

Les responsables irakiens voient déjà des signes de ce que pourrait signifier la retraite dans le désert de l’Etat islamique. Deux responsables de la sécurité à Salah ad Din, une province au nord de Bagdad, ont déclaré lors d’un entretien télévisé récent que l’Etat islamique retournait dans des zones libérées depuis décembre 2014, recrutant de nouveaux membres et organisant des attaques rapides et des attentats suicides dans des zones peuplées. A l’instar de la péninsule du Sinaï en Egypte ou du nord-ouest pakistanais, des forces de sécurité débordées ne sont pas à même d’y faire face.

Comme les dirigeants de l’Etat islamique s’en souviennent, c’est ce qui s’est passé après 2007. Le désert est devenu une base, principalement pour des combattants étrangers, alors que les Irakiens restaient en arrière. La présence du groupe dans des zones rurales lui a également permis de renflouer ses caisses au moyen de vols sur les autoroutes et d’extorsions. Les combattants ont concentré leurs attaques sur leurs adversaires tribaux ainsi que sur les forces de sécurité irakiennes, semant la méfiance et la crainte, faisant mûrir les conditions pour leur retour six ans plus tard.

Cette fois-ci, toutefois, les conditions sont encore plus favorables à la reconstruction de l’Etat islamique. L’Irak est actuellement plus fragmentée politiquement et socialement qu’elle ne l’était alors. En outre, ainsi que me l’a déclaré un Irakien qui a participé aux Conseils du réveil, il n’existe pas de groupes sunnites en Irak qui pourraient remplir le vide laissé par l’Etat islamique. Le conflit en Syrie complique encore plus la situation: même si l’Etat islamique est expulsé des zones peuplées des deux pays, la frontière ouverte sur le désert entre ceux-ci rendra difficile la poursuite du groupe.

La guerre contre l’Etat islamique ne peut être remportée sans remplir le vacuum politique et sécuritaire qui existe dans de larges parties de l’Irak. La retraite de l’Etat islamique de Mossoul sera une victoire nécessaire pour le pays. Toutefois, à moins que le gouvernement de Bagdad ne permette aux sunnites irakiens de remplir le vide, il émergera à nouveau du désert. (Tribune publiée le 24 octobre 2016 par le New York Times, traduction A l’Encontre. Hassan Hassan est co-auteur, avec Michael Weiss, de l’Etat islamique. Au cœur de l’armée de la terreur)

 

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