Par Jacques Chastaing
«Partisans et opposants du président égyptien Mohamed Morsi sont à nouveau massivement descendus dans la rue mardi dans une atmosphère tendue, avant l’échéance, mercredi 3 juillet, d’un ultimatum militaire demandant au chef de l’Etat de «satisfaire les demandes du peuple», faute de quoi il se verrait imposer par l’armée une solution à la crise.
Le président islamiste, qui a rejeté la demande du commandement militaire assimilée par ses partisans à un coup de force pour le faire partir, a rencontré le ministre de la Défense et chef de l’armée, le général Abdel Fattah Al-Sissi.
Les entretiens, engagés dans la matinée, se poursuivaient encore en début de soirée, selon des sources militaires et à la présidence qui n’ont pas donné plus de précisions.
L’opposition de son côté a désigné Mohammed El Baradei, ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), pour être sa «voix» et son négociateur en vue d’une “transition politique”». Voilà comment le quotidien Le Parisien, de loin pas le plus «mauvais» de la presse, informe sur la «situation» en Egypte, ce 2 juillet à 19h02.
Les lectrices et lecteurs du site alencontre.org peuvent découvrir, grâce à Jacques Chastaing, une autre réalité de ces «jours qui ébranlent l’Egypte» et toute une région, pour ne pas dire plus. (Rédaction A l’Encontre)
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1.- Egypte, 2 juillet, 13h30: Vers une 2e révolution considérable ?
Alors que les Frères Musulmans et leurs alliés islamistes appelaient les Egyptiens à descendre dans la rue, dès ce matin, 2 juillet 2013, pour défendre Morsi et la légitimité électorale, il y avait très peu de monde à leurs manifestations. C’est la débandade dans ce camp. Des dirigeants islamistes sont arrêtés dans les aéroports, tentant de fuir.
Selon l’agence de presse moyenne orientale Mena, 12 ministres auraient déjà démissionné, les deux porte-parole de Morsi et du gouvernement et le Cabinet du Premier ministre a déjà annoncé sa démission deux fois ce matin, par deux fois démentie. D’après la chaîne CBC, Obama viendrait de lâcher Morsi en disant que la démocratie est plus importante que les élections. Donc on peut faire la même chose partout, la révolution partout?
Par contre, une foule est déjà en train de se rassembler devant le Palais présidentiel Qubbal où serait caché Morsi, bien avant la fin de l’ultimatum lancé par Tamarod (Rébellion) à Morsi pour qu’il «dégage», à 17 heures, aujourd’hui.
Ce qui veut dire deux choses. Tout d’abord, que Morsi est fini, mais aussi que les manifestant·e·s actifs n’attendent pas sur l’armée pour qu’elle fasse le boulot à leur place. Que leurs illusions sur l’armée sont plus que limitées, qu’ils étaient contents que l’armée les soutiennent, mais c’est eux qui dirigent.
Ensuite, on peut s’attendre à ce que s’étende ce qui a déjà commencé dans trois gouvernorats: à savoir que les manifestant·e·s chassent tous les Frères Musulmans et les Islamistes de leurs positions politiques et s’emparent des gouvernorats et municipalités. Et pareil pour les biens des Frères ultra-riches comme la famille qui possède la chaîne de supermarché ZAD appartenant à l’homme fort des Frères Musulmans (Khairat Al-Shater) qui ont déjà été brûlés et pillés à un endroit. La révolution politique et une amorce de révolution sociale!
Vidéo de la plus grande manifestation de l’histoire de l’humanité: magnifique
2.- Egypte, 2 juillet, 15h30: Le peuple accepte le soutien de l’armée, mais ne veut pas d’un gouvernement militaire
Une heure trente avant la fin de l’ultimatum populaire, les gens continuent à s’amasser place Tahrir et devant le palais Qubbal. Première tente érigée devant le palais. Quatre portes du palais sont bloquées (sauf que Morsi serait ailleurs). Quand on dit deux jours à l’avance qu’on va traquer la bête dans sa tanière, c’est sûr qu’elle cherche une autre cachette. Qubal est-il un dérivatif?
C’est la débandade chez les Frères Musulmans. Le procureur général d’Egypte vient de déclarer qu’il a démissionné il y a quatre jours, mais que Morsi n’a pas voulu. Le pauvre!
Trois nouveaux ministres viennent de démissionner: Pétrole, Finance et du Plan. Les bus pour aller à l’aéroport sont archibondés. Le cabinet du Premier ministre Qandil vient une troisième fois d’annoncer sa démission globale. Le ministre de la Justice dément. Ce doit être le seul qui reste. Même chez les rois, ça ne va plus, la princesse Fawzia [1921- 2 juillet 2013, fille du roi Fouad 1 et première épouse du shah Mohammad Reza Pahlavi… tout s’effondre] est morte ce matin.
A ces démissions, s’ajoute aussi la désobéissance civile qui semble se répandre un peu partout dans des provinces, et au Caire. Presque tous les bureaux des gouverneurs des Frères musulmans ont été bouclés par les manifestants ou cadenassés. Ils ne peuvent plus y accéder.
A Louxor, la province a décrété officiellement son indépendance en disant qu’elle ne dépendait plus du pouvoir central. D’autres provinces pourraient suivre. A Fayoum, ville où il y avait hier des affrontements entre pro et anti Morsi, le Quartier général des Frères Musulmans brûle. Le siège des Frères à la cité du «6 octobre» (Le Caire), brûle. Quarante-huit Frères qui fuyaient ont été arrêtés ce matin à l’aéroport. Un des chefs les plus violents des islamistes, qui a appelé les croyants à mourir pour leur foi, le Salafiste Hazem Abu-Ismail a fui en Allemagne.
Affrontements entre policiers et Frères au Caire. Les jets privés sont interdits de vol. Les deux ministres de la Défense viennent de rencontrer Morsi et son Premier ministre, pour qu’ils se dépêchent de se rendre à l’armée avant que le peuple ne se saisisse d’eux… et de l’Egypte par la même occasion?
L’armée prête à être déployée dans les villes «pour éviter les heurts» dit-elle. Quels heurts? Morsi serait toujours dans l’immeuble de la garde républicaine, protégé, prisonnier, otage?
Sur «I télé», hier, «l’armée a toujours été garante de la stabilité». Comme Pinochet?
Quand les gens apprennent qu’Obama a demandé à Morsi de tenir compte des exigences du peuple égyptien, les gens répondent: «Trop tard. On veut qu’il parte». Fiasco sur toute la ligne de la politique américaine et des politiques occidentales de soutien à Morsi, légitimement élu. Où sont les politiques et les journalistes qui parlaient d’hiver islamiste?
3.- Egypte, 2 juillet, 19h00: révolution acte II
Foule énorme dans les rues du Caire et des villes d’Egypte. Ce qui montre que les Egyptiens n’attendent pas que l’armée fasse le boulot à leur place, ou passe un compromis avec Morsi, contrairement à ce que dit la correspondante de France Info au Caire qui prend ses souhaits pour la réalité.
Ambiance toujours très festive. Le slogan dominant aujourd’hui: «il partira, nous resterons» Des chants contre la mère de Morsi. «Ah si elle avait connu le droit,à l’avortement. My god»! Bref la foule se libère. Absence de manifs importantes des Frères musulmans sauf place Rabea al-Adaweya (au Caire), mais il n’y a aucune commune mesure dans l’ampleur de la mobilisation avec les anti-Morsi. Ils semblent avoir disparu. Le navire coule.
Le Mouvement du 6 avril (démocrate révolutionnaire) demande des élections avant trois mois. Il semble y avoir du flou à la tête de Tamarod (Rébellion) et du Front du 30 juin qui avaient appelé à la désobéissance civile et qui viennent, il y a quelques instants, de rejeter l’idée d’un projet de référendum de Morsi. Par contre, certains à leurs têtes parlent maintenant d’élections. Et d’autres ont dit qu’ils iraient à la réunion de préparation de la feuille de route de l’après Morsi; réunion organisée par l’armée et notamment avec sa suite électorale, cela conjointement aux autres partis d’opposition, avec à la clé un «gouvernement technocratique de transition», la présidence du chef de la Haute Cour constitutionnelle et tutti quanti. Ils se font même représenter par ElBaradei, le type du politicard, bien qu’ils aient dit qu’ils n’iraient pas… hier. Ah le crétinisme électoral! Le mouvement continuera sans eux, peut-on espérer.
Pour voir les images en direct sur les chaînes TV satellitaires
Forte ambiance à 18h00 devant le palais présidentiel Qubba
http://instagram.com/p/bRQapFNFV5/#
4.- Egypte, 2 juillet, 21 heures: ce n’est qu’un début…
La foule des anti-Morsi continue à croître partout. Ambiance toujours festive et familiale. La moitié de la foule, au moins, est composée de femmes et d’enfants. Grande fierté des femmes présentes.
A 21h, on notait un certain nombre d’affrontements au Caire, en dehors des trois lieux principaux des rassemblements anti-Morsi, mais près des rassemblements pro Morsi.
Toutefois pas grand-chose par rapport à la foule dans les rues, et pas assez pour justifier une intervention immédiate de l’armée pour «éviter le bain de sang». Le général Abdel Fattah Al-Sissi a en effet demandé à Morsi de démissionner pour sauver des vies. On voit sous quel axe politique l’armée veut intervenir. Le personnel de l’ambassade américaine commence à être évacué.
Channel 1, télé d’Etat, vient de changer de camp. Ils ne passent plus que des vidéos, des photos, des témoignages anti-Morsi. Avant-hier c’était le contraire. C’est fait comment le cerveau d’un journaliste?
Ceci dit, il y a des bons journalistes. Un des meilleurs et plus courageux journaliste égyptien, Hani Shukrallah, démocrate révolutionnaire, mais sincère et honnête, vient probablement d’être réintégré dans le journal qu’il dirigeait et dont il avait été viré par les Frères musulmans en février 2013 en signant un article dans ce journal, Al Ahram online ( pour ceux qui veulent lire ce qu’il écrit, en anglais http://english.ahram.org.eg/NewsContentP/4/75509/Opinion/Something-in-the-soul.aspx ) .
Al Ahram online, qui était donc dirigé depuis février 2013 par un sympathisant des Frères Musulmans, sent-il le vent tourner ?
Des dirigeants des Frères Musulmans appellent toujours à résister jusqu’à «sacrifier sa vie». Non pas qu’ils croient qu’ils peuvent enrayer le mouvement actuel, mais préparent certainement à travers leurs prises de position, la suite pour l’organisation des Frères Musulmans lorsqu’ils seront dans l’opposition. Il y a un peu plus de monde dans les manifs pro Morsi, toutefois elles restent non signifiantes.
Il y a énormément d’armes en circulation en Egypte: le plus étonnant c’est que ce n’ait pas plus tiré. Ci-dessous après les affrontements place Kit Kat au Caire, après que deux cortèges, l’un anti, l’autre pro Morsi se soient croisés. (2 juillet)
5.- Egypte, 2 juillet, 23 heures: Good morning Revolution
Je me demande s’il n’y a pas encore plus de monde dans les rues que les jours précédents, surtout en province et en particulier dans les petites villes . Les choses ont beaucoup changé en deux ans à la campagne, en particulier en Haute Egypte, la plus attardée politiquement, et là où il y a eu certainement le plus de transformations. Beaucoup ont été souvent aux manifestations à Tahrir et sont revenus avec cette expérience. Aujourd’hui, ils animent celles des provinces jusque dans les villages.
Ces manifestations ne sont pas indépendantes de la contestation économique. A la grande usine textile de Mahalla, il y aurait eu la semaine dernière plus de 200 débrayages. Et regardez ci-dessous la manif à Mahalla ce soir, la plus grande ville industrielle d’Egypte, 500’000 mille habitants, une véritable marée humaine, une immense manifestation ouvrière.
Il y en a eu dans les quartiers du Caire, à Imbaba , Dokki, Kit et Kat, Ben El Sarayat, université du Caire, 6 octobre, à Giza, à Minya où les affrontements auraient été les plus violents
Il faut dire que les télés islamistes multiplient par cent ou plus les chiffres de participation à leurs manifs, ainsi à Rabbaa, où il y a eu une manif de 10 à 40 000 personnes, cela donne à la télé une manif de 4 millions. Ils donnent les noms et les adresses de leurs ennemis comme s’ils les désignaient à la mort.
Quand ils sont attaqués, les anti-Morsi ripostent comme près de l’université du Caire, où ils tirent à l’arme automatique (2 juillet 2013)
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