Le projet de budget 2014-2015 vient d’être adopté. Les dépenses y sont en augmentation de 7% par rapport à l’an passé. Pourtant, cette augmentation est inférieure au taux d’inflation qui devrait atteindre 14% selon les prévisions en raison, en particulier, de l’augmentation du prix des carburants. Cela rend les dépenses réelles inférieures à l’an passé et fait du nouveau budget un budget d’austérité.
Le trait principal du nouveau budget est la réduction des subventions sur les produits pétroliers de 130 à 100 milliards de livres égyptiennes (de 13,6 à 10,4 milliards €/ de 16,5 à 12,7 CHF). Cette réduction a conduit à l’augmentation des prix de nombreux produits et services allant des produits alimentaires aux transports en passant par les matériaux du bâtiment et des travaux publics. Ces prix ont augmenté davantage à ceux de l’énergie en prévision de prochaines augmentations.
De même que dans le nouveau budget, les investissements publics ont reculé de 78 milliards LE (8,1 milliards € /9,9 milliards CHF) à 76 milliards LE (7,9 milliards € /9,6 milliards CHF), ce qui affaiblit la capacité du gouvernement à relancer l’économie. Le gouvernement entend réduire le déficit budgétaire à 240 milliards LE (25 milliards € /30,4 milliards CHF), soit 10% du PIB égyptien, ainsi que la dette publique. Cette austérité budgétaire conduit à une stagflation [combinaison de stagnation et d’inflation] résultant de la combinaison de la baisse des dépenses et des investissements publics réels, d’une part, et de l’augmentation des prix des produits et services, d’autre part. La stagflation est un véritable piège pour les économies nationales. Tandis que les mesures de relance nécessaires pour sortir de la stagnation augmentent généralement l’inflation, les mesures restrictives nécessaires à la jugulation de l’inflation enfoncent l’économie dans la stagnation.
C’est dans cette situation délicate que la banque centrale avait un rôle à jouer. Elle avait le choix entre la lutte contre la stagnation et la lutte contre l’inflation. Elle vient de faire le choix d’une politique de contraction monétaire en augmentant du jour au lendemain le taux d’intérêt des dépôts de 1%, ceux-ci passant de 9,25% à 10,25%. Cette politique de contraction monétaire peut se comprendre comme un effort de la banque centrale pour lutter contre l’inflation induite par l’augmentation des prix de l’énergie et par l’augmentation des prix des différents produits et services qui en a résulté. Les prix ont parfois augmenté de manière folle comme ceux des transports (une augmentation de 50% à 100% selon des rapports non officiels).
L’augmentation du taux d’intérêt de la banque centrale n’a pas pour seul résultat la jugulation de l’inflation. Il augmente aussi le taux d’intérêts des dépôts dans les banques, ce qui augmente l’épargne des particuliers et des établissements en livres égyptiennes étant donné que le taux d’intérêt des dépôts, en livres égyptiennes, est tellement supérieur aux taux d’intérêt des dépôts en dollars, il prémunit les épargnants contre la baisse probable de la livre égyptienne par rapport au dollar. Ceci devrait conduire, d’une part, à l’augmentation de l’épargne dans les banques, ce qui devrait leur permettre de prêter davantage au gouvernement afin de l’aider à financer le déficit et, d’autre part, à l’augmentation du nombre d’épargnants soucieux de conserver la valeur de leur épargne grâce à l’augmentation des taux d’intérêt de leur épargne en livres égyptiennes, ce qui devrait alléger la pression du dollar sur la livre égyptienne.
Cette politique pourrait cependant se retourner contre l’économie égyptienne. La politique de contraction monétaire favorable à l’épargne ne manquera pas d’augmenter le taux d’intérêt des emprunts des particuliers et des entreprises, ce qui devrait dissuader les emprunts auprès des banques et donc réduire les investissements privés. Tout ceci devrait conduire à baisse de la croissance, à l’aggravation de la stagnation, à la baisse des bénéfices des entreprises et des revenus des particuliers et par conséquent à la baisse recettes fiscales.
Sur un autre plan, l’augmentation du taux d’intérêt directeur [taux qui permet de réguler l’activité par l’apport ou le retrait de liquidités] de la banque centrale augmente le taux d’intérêt de la dette publique. La dette publique étant de 2000 milliards LE (208,2 milliards €/253,5 milliards CHF) l’augmentation du taux d’intérêt de 1% conduira mécaniquement à l’augmentation du coût du service de la dette de 20 milliards LE (20,8 milliards €/25,3 milliards CHF) par an, même si l’effet de cette augmentation ne se ressentira pas tout de suite étant donné que les dettes à moyen et long terme n’auront pas besoin de financement cette année.
Il est donc clair que la politique de contraction monétaire aboutira, d’une part, à la baisse du taux d’investissement, à la baisse de la croissance et par conséquent à la baisse des recettes fiscales et, d’autre part, à l’augmentation des taux d’intérêt et du coût du service de la dette, ce qui conduira inévitablement au dérapage du déficit budgétaire.
Il apparaît donc que la dimension inflationiste de la stagflation résultant de l’austérité budgétaire stricte imposée par le gouvernement sera allégée par la politique monétaire de la banque centrale égyptienne. En revanche cette politique monétaire ne fera qu’aggraver la dimension récessioniste de la politique du gouvernement.
En perspective des prochains trains de mesures d’austérité budgétaire, la stagnation s’annonce longue et inévitable. Notons que dans cette situation complexe, une partie importante des dépenses économisées grâce à la baisse des subventions sera avalée par l’augmentation du service de la dette. Ceci signifie clairement que les dépenses publiques qui vont aux pauvres sous forme de subventions à la consommation seront détournées vers les riches qui vont profiter de l’augmentation des taux d’intérêt de leur épargne.
En conclusion, le résultat final de la combinaison de la politique d’austérité budgétaire avec la politique de contraction monétaire est la stagnation à long terme, un taux de croissance faible et un taux de chômage élevé ainsi qu’un détournement des dépenses publiques pour les pauvres vers les riches. Cette impasse nous interpelle : «n’aurait il pas été préférable de mener une politique d’austérité budgétaire équilibrée et progressive qui évite la contraction monétaire plutôt qu’une politique d’austérité budgétaire aussi draconienne»? (Publié dans le quotidien Al-Sourouk, le 26 juillet 2014. Traduit par Hany Hanna)
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