Ukraine. «Motivés mais sous-armés. Les soldats ukrainiens parlent de leur vie sur le front sud»

Serhiy (à gauche) et Hennadiy parlent de leur combat. (Photo: Ed Ram/The Guardian)

Par Isobel Koshiw et Ed Ram à Zaporijia et Dan Sabbagh

Un groupe de soldats d’infanterie ukrainiens se trouvait dans un entrepôt dans le sud-ouest de l’Ukraine lorsqu’il a été bombardé par l’artillerie russe. Serhiy a été touché au visage par des éclats d’obus. Lui et son meilleur nouvel ami, Hennadiy, ont pris un selfie en tenant une partie de l’obus qui ne les a pas touchés directement.

Quelques instants plus tard, des chars russes sont apparus sur une colline. Ils ont tiré sur le village qui leur faisait face, y compris sur l’entrepôt. Hennadiy et le reste du groupe – tous originaires de la région de Zaporijia – ont également été touchés par des éclats d’obus et tous ont subi des dommages auditifs.

«Ils disposaient de trois chars sur la colline et ils ne faisaient que nous tirer dessus. Nous n’avions que des fusils», a déclaré Hennadiy. «Nous avions quelques équipements que les Etats-Unis et la Pologne nous ont donnés, mais ce n’était pas suffisant pour se battre.»

Ils ont dit s’être échappés de l’entrepôt protégés par des panaches de fumée et avoir marché jusqu’au village suivant, d’où ils ont été emmenés à l’hôpital militaire de Zaporijia.

The Guardian a été autorisé à accéder à l’hôpital militaire pour parler aux soldats à condition que les reporters n’identifient pas les lieux spécifiques des affrontements et ne publient pas les noms complets des soldats interrogés.

«Il y a beaucoup de gens motivés pour se battre», a déclaré Serhiy, parlant depuis une salle d’hôpital, accompagné du reste de la compagnie qui s’est échappée de l’entrepôt. «Mais nous sommes sous-armés et nous essayons désespérément de retenir toute la troupe [de l’armée russe].» «Il n’y a aussi tout simplement pas assez de temps pour former tous ceux qui veulent se battre», a ajouté Dmytro, un autre membre de la compagnie, qui était allongé sur un lit dans la salle.

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L’Ukraine reproche à l’Occident de l’alimenter au compte-gouttes en armes. Le président Volodymyr Zelensky lance des appels presque quotidiens parce que son pays ne peut pas fabriquer les armes ou les munitions dont il a besoin pour repousser les envahisseurs russes. Les équipements demandés vont des avions de chasse et des chars, que l’Occident a été réticent ou lent à fournir, à l’artillerie et aux véhicules blindés, en passant par les armes et les munitions.

Jeudi 21 avril, les Etats-Unis ont déclaré qu’ils fourniraient pour 800 millions de dollars d’armes supplémentaires, dont 72 obusiers, ce qui porte la valeur totale de leurs livraisons d’armes à plus de 3 milliards de dollars depuis le début de la guerre, dont «plus de 50 millions de munitions», selon le président Joe Biden. Toutefois, même lorsque des armes sont fournies, il faut parfois quinze jours ou plus avant qu’elles n’arrivent en Ukraine.

D’autres grands pays ont été plus lents ou plus réticents, notamment l’Allemagne, qui a réduit les armes lourdes qu’elle est prête à offrir à l’Ukraine. Le chancelier, Olaf Scholz, a admis que les stocks de ce qu’elle est prête à envoyer s’épuisent [voir sur ce thème qui fait débat en Allemagne l’article publié sur ce site en date du 22 avril : http://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/allemagne-en-debat-la-chaine-dapprovisionnement-des-chars.html] . La vitesse à laquelle les forces ukrainiennes utilisent les armes et les munitions a également surpris l’Occident, qui a commencé à accélérer la production industrielle pour tenter d’aider Kiev à tenir bon.

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Les forces ukrainiennes tiennent actuellement une ligne qui s’étend sur des centaines de kilomètres de Kharkiv, au nord-est, jusqu’aux abords de Mykolaïv, au sud-ouest.

Serhiy, dont le visage a été coupé par les éclats d’obus, était heureux de se faire photographier, malgré les risques – comme le lui a fait remarquer un attaché de presse militaire – s’il était capturé par les forces russes. «Nous n’avons peur de rien», a déclaré Serhiy. The Guardian a confirmé une nouvelle fois, avant publication, que l’autorisation d’utiliser les images des soldats avait été accordée.

Plus tôt dans la journée, le groupe avait évité les tirs d’un avion russe. «Un avion est passé au-dessus de nous et nous a un peu bombardés. C’était un peu désagréable», dit Serhiy, en souriant. «Eh bien, en fait, pas un peu, tout à fait désagréable.»

Un autre membre du groupe qui s’est échappé de l’entrepôt, Mykola, a déclaré que les Russes avaient des drones et savaient exactement où se trouvaient leurs positions. «Les difficultés sont très grandes», a déclaré Mykola. «Je ne peux parler que de notre situation. Je ne sais pas comment c’est pour les autres [bataillons].»

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De toutes les villes d’Ukraine centrale et orientale, la ville de Zaporijia semble être celle où la vie est la plus proche de ce qu’elle était avant la guerre, mais les forces russes occupent plus de 70% de la région. Vingt pour cent de la région constitue le front sud de l’Ukraine et est une zone de combat entre les forces russes et ukrainiennes.

Les nouvelles restrictions imposées aux déplacements des journalistes au sud de la ville de Zaporijia semblent indiquer que la situation sur le front sud s’aggrave. Selon des soldats interrogés par The Guardian, les forces ukrainiennes ont été repoussées hors d’au moins une des trois villes et villages situés à une heure au sud de la ville que le New York Times a visitée il y a trois semaines.

Le responsable de presse militaire de la région de Zaporijia, Ivan Ariefiev, a déclaré que les journalistes n’étaient pas autorisés à se rendre dans ces endroits pour le moment, mais il a précisé que ce n’était pas parce que la situation sur le front s’aggravait. Il a ajouté que les restrictions de voyage étaient dues au fait que la phase active de la guerre sur le front sud avait commencé.

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Un groupe de soldats auquel The Guardian a rendu visite dans la région de Zaporijia se trouvait à environ 12 kilomètres des positions russes. Ils ne s’attendaient pas à ce que les combats les atteignent rapidement. Ils ont déclaré que les lignes plus au sud tiendraient – bien que les obus atterrissent à une distance de entre 3 et quelque 5 kilomètres.

Ils disent manquer de matériel médical. Pour 23 personnes, ils ne disposaient que de six casques et de six garrots, dont certains avaient été cousus à la main par des volontaires civils. Ils ont indiqué que si les casques étaient en cours d’acheminement depuis la Pologne, les bénévoles et les fournisseurs avaient du mal à trouver des garrots, même à l’étranger.

Les soldats blessés de retour à l’hôpital ont déclaré avoir reçu un accueil extrêmement chaleureux de la part des villageois locaux, qui leur ont souvent acheté de la nourriture. Lors de leur retraite, ils ont retiré les plaques d’immatriculation des voitures qu’ils utilisaient afin que les soldats russes ne puissent pas identifier les habitants qui leur prêtaient des véhicules. De nombreux rapports font état de résidents locaux soupçonnés d’aider l’armée ukrainienne et torturés, voire tués, par les forces russes.

Serhiy a déclaré avoir utilisé sa propre voiture pour se déplacer sur le champ de bataille pendant un peu moins de deux mois, avant d’être blessé et de l’abandonner. «Je ne récupérerai jamais [la voiture]», a déclaré Serhiy. «Bien que peut-être elle me reviendra toute seule!» (Article publié dans The Guardian le 23 avril 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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