Italie. Grève générale de la CGIL et de l’UIL le 16 décembre. Un premier bilan

Par Fabrizio Burattini

Le jeudi 16 décembre, des dizaines de milliers de travailleurs et travailleuses se sont rassemblés sur les places de nombreuses villes italiennes pour participer à la grève générale appelée par la CGIL (Confederazione Generale Italiana del Lavoro) et l’UIL (Unione Italiana del Lavoro).

Le gouvernement italien dirigé par Mario Draghi a pris ses fonctions le 13 février 2021. Dès le début, il a été caractérisé comme un gouvernement ouvertement pro-patronal. Il s’est profilé par la manière dont il a été établi, par la composition de ses ministères, par ses initiatives, qui se sont toutes exprimées par un soutien enthousiaste des organisations patronales. Nous l’avons déjà expliqué en détail dans l’article paru sur ce site, en date du 7 septembre 2021.

Mais il a également réussi, bien plus que les précédents gouvernements de droite, à paralyser le mouvement syndical. Certes, il avait la complicité de la pandémie et de l’état d’urgence déjà décrété par le précédent gouvernement Giuseppe Conte 2 [en fonction du 5 septembre 2019 au 13 février 2021]. De plus, il était aussi bénéficiaire d’une extraordinaire disponibilité financière: quelque 200 milliards d’euros accordés par l’Union européenne dans le cadre du plan «Next Generation EU», auxquels s’ajoutaient 120 milliards d’euros obtenus grâce à divers «dépassements budgétaires» décidés à la quasi-unanimité du Parlement. Aucun gouvernement antérieur n’avait pu disposer de telles ressources pour un «plan de relance et de réformes».

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Dans ce contexte, l’absence de toute initiative visant à redonner aux classes laborieuses une présence de premier plan était manifeste dans le pays. Les courageuses initiatives du syndicalisme de base – notamment la grève générale du 11 octobre qui a réuni toutes les composantes du syndicalisme conflictuel – n’ont pu combler ce vide. Y compris la très importante initiative des travailleurs et travailleuses de GKN à Florence contre la fermeture de leur usine [voir sur ce site l’article d’Eliana Como en date du 27 septembre] – placée slogan #Insorgiamo – qui a fait descendre 40’000 personnes dans la rue le 18 septembre, ne pouvait répondre à ce manque.

Les directions des syndicats majoritaires ont été totalement canalisées dans une négociation paralysante, sans issue, avec le Président du conseil des ministres (Mario Draghi) et les ministres des différents secteurs. Or, les choix fondamentaux du gouvernement avaient été plus qu’explicites, notamment au moment où prenait fin le gel des licenciements décrété, en mars 2020, par le gouvernement Giuseppe Conte, gel qui devait éviter que les conséquences économiques de la pandémie se traduisent par une hausse exponentielle du chômage. La pression syndicale contre la décision de mettre fin à cette mesure s’est limitée à des négociations dans le cadre de réunions ministérielles, sans aucune initiative concrète de lutte. Dans une telle conjoncture, Draghi pouvait, sans difficultés, accueillir les sollicitations de la Confindustria [organisation du patronat], et donner le feu vert aux licenciements, avec des conséquences désastreuses pour un grand nombre de travailleurs et travailleuses, dans de multiples entreprises.

Le gouvernement Draghi a non seulement supprimé le gel des licenciements, mais il a également permis aux entreprises de fermer, de délocaliser et de se restructurer sans que l’Etat n’intervienne en aucune manière. Il a mis en place une nouvelle législation en faveur des privatisations. Il a élaboré un plan pour utiliser les 200 milliards de l’UE au profit des seules entreprises. Il suffit de penser que seuls 9 milliards de cette avalanche d’argent sont destinés au secteur de la santé. Il a présenté une loi de finances de plus de 30 milliards qui se situe dans la continuité des politiques néolibérales; une loi qui augmente les dépenses militaires et relance le projet – [relancé car déjà envisagé par les gouvernements Gentiloni (décembre 2016-juin 2018), Conte I (juin 2018-septembre 2019) et Conte II] – de la soi-disant «autonomie différenciée» qui aboutit à exacerber les différences entre les régions les plus riches [Lombardie, Vénétie, Emilie-Romagne] et les plus défavorisées.

Pour ce qui a trait aux retraites, la loi Fornero [Elsa Fornero: ministre du Travail et des Politiques sociales de novembre 2011 à avril 2013, sous le gouvernement de Mario Monti] qui depuis 2011 a porté l’âge de la retraite à 67 ans sera pleinement en vigueur [avec durée de cotisation de 42 ans et 10 mois pour les hommes et 41 ans et 10 mois pour les femmes en 2022]. Pour ce qui est du «reddito di cittadinanza» adopté en janvier 2019 – [un mal nommé «revenu de citoyenneté»: il s’agit en fait d’une sorte de revenu minimal conditionné qui s’élève pour un noyau familial de 2 personnes aux alentours de 565 euros] – la question est encore ouverte avec l’aile la plus à droite du gouvernement qui veut réduire les montants et durcir les critères d’attribution. Le système de santé publique – dévasté par des décennies de politiques de privatisation – n’était absolument pas préparé à résister à l’impact du Covid-19. Il reste pour l’essentiel ce qu’il était avant la pandémie. Il en va de même pour le système scolaire.

En ce qui concerne les questions écologiques, derrière le slogan à la tonalité éloquente de «transition écologique», le gouvernement Draghi a lancé une gigantesque opération de financement public des entreprises privées. En outre, il a préconisé la réouverture du dossier de l’énergie atomique, considéré comme définitivement clos après le vote antinucléaire de 80% lors du référendum de 1987. Entre-temps, sous couvert de l’état d’urgence sanitaire, des mesures ont été décrétées pour restreindre encore plus sévèrement le droit de manifester.

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Il n’est pas nécessaire de lire entre les lignes. Toute la politique de ce gouvernement est destinée à produire des mesures visant à obtenir, si possible sans réaction, une nouvelle défaite encore plus lourde pour le mouvement ouvrier et à permettre aux entreprises d’augmenter leurs profits.

Il suffit de penser aux mesures fiscales qui commencent à satisfaire l’une des revendications historiques du monde patronal: la suppression progressive de l’IRAP [instauré en 1997], l’impôt régional sur les activités productives qui était jusqu’alors destiné à financer les soins de santé publics. Mais ce n’est pas tout: la loi de finances actuellement débattue au Parlement réduit encore la progressivité des taux d’imposition. Les études sur les effets des mesures fiscales contenues dans le projet de loi suggèrent qu’il n’y aura aucun avantage pour les revenus inférieurs à 20’000 euros par an: 43% des familles italiennes sont concernées. Les retombées des 8 milliards d’euros de réductions d’impôts iront aux personnes suivantes: une petite partie aux classes dites «moyennes» (qui auront quelques dizaines d’euros d’impôts en moins); elles se concentreront surtout en faveur des hauts revenus qui économiseront plusieurs centaines d’euros d’impôts.

Face à ce scandale, que même les journaux les plus pro-gouvernementaux n’ont pas pu éviter de souligner, Mario Draghi lui-même avait pensé faire quelque chose de «populiste» à sa manière: celle de geler pendant un an ces avantages pour les revenus annuels supérieurs à 75’000 euros afin d’affecter les ressources économisées à contenir les augmentations prévues des prix de l’électricité et du gaz qui, selon les calculs, feront dépenser à chaque famille au moins 1000 euros de plus en 2022.

Mais la majorité gouvernementale composite de Draghi – qui comprend l’extrême droite de la Lega de Matteo Salvini, Forza Italia de Silvio Berlusconi, le Parti démocrate et même une partie de la minuscule brigade de gauche du Parlement – a incité le Premier ministre à abandonner son projet. De plus, il est bien connu que la droite (aussi bien celle du gouvernement que l’«opposition» de Giorgia Meloni, dirigeante de Fratelli d’Italia, extrême-droite) a pour objectif la mise en place de la «flat tax», c’est-à-dire arriver à un taux d’imposition unique pour tous (les propositions vont de 15% à 20%: le même taux pour tous, l’ouvrier agricole et le milliardaire).

N’oublions pas qu’en Italie, comme presque partout ailleurs dans le monde, l’inflation repart à la hausse. Les données de l’OCDE montrent que l’Italie est le seul pays où les salaires réels de 2021 sont inférieurs à ceux de 1990 (-2,9%), il y a donc trente ans. Cette «révélation» a fait grand bruit. Cependant ce constat n’a pas été une surprise. «Tout le monde» connaît la docilité avec laquelle les directions syndicales majoritaires ont accepté d’introduire des mécanismes de réduction progressive des salaires dans les contrats de tous les secteurs économiques. Il est significatif que cela se produise dans le pays même où les directions syndicales prétendent être parmi les plus «fortes du monde».

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Par conséquent, une mobilisation d’ensemble du mouvement syndical s’imposait depuis longtemps. Il faut reconnaître que, contrairement à d’autres périodes, il n’y a pas eu de pression de la base pour une grève générale. Cela est également dû à la situation provoquée par la pandémie (avec la crainte qui en découle et n’est pas seulement d’ordre sanitaire), et surtout à la campagne médiatique qui a présenté le gouvernement Draghi comme la solution à tous les problèmes économiques, sociaux et politiques du pays. Il y avait aussi la forte résignation de vastes secteurs, plus d’une fois frappés par la précarisation et laissés en marge de l’action par des années et des années de collaboration consistante entre les gouvernements successifs et les directions syndicales. Il suffit de souligner que la dernière journée de grève générale remonte exactement à 7 ans, le 12 décembre 2014, lorsque la CGIL et l’UIL se sont mobilisées contre le Jobs act [ensemble de mesures visant à flexibiliser ledit marché du travail] du gouvernement Renzi; une mobilisation qui fut tardive car le premier décret-loi – d’une série formant une contre-réforme d’ensemble – avait été approuvé par le parlement en mai 2014.

Dans la période présente, le courant minoritaire de gauche de la CGIL a insisté pour que soit lancé un appel à l’organisation d’une journée de grève, dénonçant les responsabilités que la direction du syndicat assumait en laissant une telle politique économique et sociale sans opposition syndicale explicite et active. Ces dernières semaines, en outre, des secteurs importants de l’appareil bureaucratique de la CGIL (et dans une certaine mesure aussi celui de l’UIL) ont commencé à réfléchir au fait que les choix politiques du gouvernement réduisaient le rôle des syndicats à des sujets qui ne pouvaient plus que prendre acte des choix de Draghi, de ses ministres et de sa majorité. Les directions de la Fiom (la Fédération des métallurgistes de la CGIL) et de la FLC (la Fédération des travailleurs de l’enseignement de la CGIL) ont appelé, le 10 décembre, à une journée de grève pour leurs catégories. Dès lors, le 6 décembre, les secrétariats de la CGIL et de l’UIL ont décidé d’appeler à une grève générale et à diverses manifestations interrégionales le jeudi 16 décembre.

Il faut l’avoir à l’esprit que ce n’est ni la pression de la base qui a contraint la direction du syndicat à appeler à la grève du jeudi 16, ni la bataille acharnée de la minorité interne de gauche de la CGIL, ni l’action autonome du collectif GKN. Et sous un certain angle, ce n’était pas non plus le mécontentement de nombreux dirigeants. Maurizio Landini, le leader de la CGIL, et Pierpaolo Bombardieri, le patron de l’UIL, ont été plaqués le dos au mur par Mario Draghi et par l’arrogance patronale, insensibles aux timides exigences des directions bureaucratiques.

Ces directions ont alors compris qu’avec Draghi, le patronat faisait un pas de plus dans son offensive. Les gouvernements de Silvio Berlusconi avaient déjà tenté de mettre les syndicats hors jeu, en les divisant et en essayant réduire au maximum leur pouvoir. Le même objectif a été poursuivi par le gouvernement de Matteo Renzi [22 février 2014 au 12 décembre 2016]. Avec la défaite de ce dernier [lors du référendum constitutionnel du 4 décembre], les directions syndicales ont eu l’illusion de retrouver un rôle. Elles avaient en partie obtenu un certain rôle durant les gouvernements Conte 1 et 2. Mais Mario Draghi les réduit encore et toujours plus à une position de simples spectatrices de ses choix pro-Confidustria, effectués sans retenue. Ces spectateurs (syndicaux) se voyaient communiquer des décisions déjà prises. Il ne leur restait plus qu’à en prendre acte. Donc ces directions ont essayé d’élever leur voix.

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Ils l’ont fait en vue de ce 16 décembre, mais sans changer aux traits de leur subordination au gouvernement. Le communiqué appelant à la grève explicite cela: on «apprécie (sic!) les efforts et l’engagement du président Draghi et du gouvernement, mais juge la manœuvre financière [la loi de finances] insatisfaisante (sic!) dans les domaines de la fiscalité, des retraites, de l’éducation, des politiques industrielles et de la lutte contre les délocalisations, de la lutte contre la précarité de l’emploi, en particulier pour les jeunes et les femmes, et le handicap, d’autant plus que les ressources disponibles à ce stade auraient permis une redistribution plus efficace des richesses, de réduire les inégalités et de générer un développement équilibré et structurel et un emploi stable». La CGIL et l’UIL ont donc continué à rendre hommage à Draghi, tout en considérant sa manœuvre financière comme «insatisfaisante» sur tous les plans sociaux. Les directions syndicales ont essayé de rejeter la responsabilité des politiques gouvernementales sur les forces de droite qui conditionneraient trop la coalition gouvernementale.

La position de la CISL (Confederazione Italiana Sindacati Lavoratori), deuxième syndicat du pays après la CGIL, est significative. Non seulement la CISL ne s’est pas associée à l’appel à la grève, mais elle a, au contraire, appelé à une contre-manifestation nationale à Rome le samedi 18 décembre, avec une approche explicitement anti-grève et pro-gouvernementale.

Bien entendu, les dirigeants des deux syndicats, dans leurs discours devant les milliers de travailleurs et travailleuses réunis sur la Piazza del Popolo de Rome, ont durement attaqué le président de la Confindustria et le gouvernement de droite, tout en épargnant Mario Draghi pour ce qui était des critiques les plus sévères. Ils ont haussé le ton sur les politiques fiscales et de sécurité sociale, mais sans préciser les points sur lesquels seront vérifiés les résultats réels et tangibles de la grève.

La grève générale du 16 décembre fut donc de facto faible et surtout scandaleusement tardive. En effet, elle intervient à un moment où le débat parlementaire – déjà étouffant en soi compte tenu du paysage politique – touche à sa fin, étant donné que la loi de finances doit être définitivement approuvée dans le courant de ce mois. Cette grève ne disposait pas d’une véritable plate-forme de revendications. Sur le fond, elle se limitait à exiger que le gouvernement écoute les dirigeants syndicaux. Elle n’a pas non plus été préparée, comme cela devrait être la norme, par une campagne d’assemblées des salarié·e·s sur le lieu de travail pour les sensibiliser aux enjeux effectifs. Et surtout, elle n’indiquait aucune perspective d’élargissement et de poursuite de la lutte. Au contraire, la suite est entièrement confiée à l’espoir d’avoir imposé, avec l’occupation des places [en particulier à Milan et à Rome], une certaine ouverture dans l’attitude du gouvernement.

Quant au pourcentage de participation, comme d’habitude, existe une guerre des chiffres entre les évaluations optimistes de l’appareil syndical (dans leur communiqué commun, la CGIL et l’UIL déclarent une participation moyenne de 85%) et les considérations opposées des forces patronales. Mais le bilan est contradictoire et souffre de la nature quelque peu improvisée de la grève. Par exemple, de nombreux délégués syndicaux se sont plaints de ne pas avoir reçu les affiches et les tracts annonçant la grève et expliquant ses raisons. Sur l’autre versant, se confirme concrètement l’existence d’usines qui ont été complètement arrêtées grâce à une participation unanime des salarié·e·s. Il est certain que dans diverses entreprises, la grève a impliqué une majorité significative de travailleurs et travailleuses, ce qui indique la persistance, malgré la longue inaction, d’une volonté significative de lutte. Dans les manifestations – même au-delà des usines disposant d’une solide expérience syndicale – nous avons pu constater les visages satisfaits de nombreux travailleurs et travailleuses qui, enfin, retournaient dans la rue.

Il ne faut pas oublier que cette grève était incomplète, et donc pas vraiment générale. En effet, le secteur scolaire avait déjà fait grève quelques jours auparavant, le 10 décembre, et donc, en vertu des dispositions sur la grève (partagées et contresignées par les syndicats majoritaires), les salarié·e·s de ce secteur public ne pouvaient pas reprendre la grève dans un délai aussi court. Et, toujours afin de respecter les accords anti-grève également signés par la CGIL et l’UIL au cours des années précédentes, les éboueurs, les postiers, les travailleurs portuaires, les travailleurs des transports n’ont participé que partiellement à la grève. En outre, en raison de la pandémie, les travailleurs et travailleuses du secteur de la santé (public et privé) n’ont pas non plus pu y prendre part. Des millions de travailleurs ont donc été «exemptés» de la grève. De plus, les millions de travailleurs qui sont soumis à des conditions contractuelles particulièrement précaires – auxquels les syndicats traditionnels, mais aussi en partie les syndicats alternatifs ne réussissent pas à s’y adresser (ou n’ont pas ce projet) – n’ont pas pu participer à la grève.

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Les politiciens, tant du gouvernement que de l’opposition, ont unanimement condamné la grève. Naturellement avec des tonalités différentes. Le leader du PD (Parti démocrate), Enrico Letta, s’est dit «surpris» par l’appel à la grève, la considérant injustifiée face à une loi des finances «équilibrée». Il propose de «travailler à une recomposition de l’unité syndicale», évidemment possible pour lui uniquement sur la ligne pro-gouvernementale de la CISL. Matteo Salvini qualifie la journée du 16 décembre d’«irresponsable, folle et absurde». L’ensemble du système médiatique, là encore avec des tonalités différentes, mais avec des contenus sensiblement convergents, a traité l’initiative de la CGIL et de l’UIL comme «injustifiée», «inappropriée», «inopportune», «une farce»…. Il est en effet très significatif que, contrairement à la coutume, aucune personnalité politique importante, pas même celles plus ou moins de «gauche», n’apparaisse sur les places où la mobilisation syndicale s’affirmait. Il est tout aussi significatif que, au lendemain du 16 décembre, les premières pages des journaux, à l’exception du Manifesto, consacrent effectivement très peu d’espace aux nouvelles ayant trait à la grève, et dans certains cas ils ne lui accordent pas d’espace du tout, ou alors ils se consacrent entièrement à démontrer son échec.

Le président de la Confindustria (Carlo Bonomi), la principale organisation patronale, a déclaré: «La grève du 16 s’engage sur une mauvaise voie, c’est un problème pour l’Italie. C’est le signe d’un différend entre une partie du syndicat et le gouvernement qui pénalise le monde du travail et les entreprises. Les Italiens demandent un débat sérieux concernant un monde du travail en pleine mutation. Certaines sont descendus dans la rue, mais les entrepreneurs, comme toujours, sont allés dans les usines pour faire avancer l’Italie.»

Il s’agit évidemment d’un refrain réactionnaire et classiste de plus en plus unanime et insistant. Mais on ne peut ignorer que cette grève, bien que plus que nécessaire, révèle de manière flagrante toutes les contradictions d’un syndicat qui, impuissant, tente de s’extraire des sables mouvants de la concertation sociale à laquelle les autres acteurs (patrons et gouvernement) ne veulent plus participer.

Le syndicat, né il y a plus de cent ans pour organiser les exploité·e·s et défendre leurs conditions de vie et de travail, a été berné en pensant qu’il avait gagné un rôle institutionnel grâce à des réunions dans les palais du pouvoir, grâce à de grands appareils bureaucratiques (la CGIL compte à elle seule plus de 15’000 fonctionnaires à temps plein), à la participation aux conseils d’administration d’organismes bilatéraux [Ente Bilaterale très nombreuses en Italie et couvrant beaucoup de secteurs] entre les entreprises et les représentants des travailleurs… Mais ces prébendes bureaucratiques et de pouvoir étaient le fruit pourri de relations de pouvoir qui n’existent plus.

Les grands syndicats ne peuvent penser sortir de ces sables mouvants en proclamant, occasionnellement, une journée de grève, sans réelle proposition alternative et sans préparation approfondie parmi un «monde du travail» de plus en plus divisé, désorienté et découragé. Ce qu’il faut, c’est un changement profond de stratégie et de position politique, une action patiente et résolue pour tisser les éléments nécessaires à forger, aux travers d’expériences réfléchies et analysées, une unité des travailleurs et à établir les éléments d’une attention et d’une conscience de classe des travailleurs et des travailleuses. Mais tout cela ne pourra jamais venir des actuels dirigeants syndicaux qui, pour mener à bien cela, devraient se renier et se condamner eux-mêmes ainsi que leurs fonctionnements depuis des décennies.

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Bien entendu, de nombreux travailleurs et travailleuses se sont mis en grève le 16 décembre. Et beaucoup sont descendus dans la rue. Mais quels résultats cette grève produira-t-elle? Dans le meilleur des cas, un nouvel accès à la table des négociations dans les bâtiments du gouvernement; les dirigeants syndicaux ont déjà été convoqués ce lundi 20 décembre pour écouter les projets du gouvernement sur les retraites. Peut-être obtiendront-ils quelques modifications minimes de la loi de finances, peut-être la réintroduction de l’amendement Draghi promettant une réduction de quelques centaines d’euros (pour toute l’année) sur les coûts du gaz et de l’électricité pour les familles les plus démunies.

Quels que soient les résultats possibles de cette mobilisation, ils risquent de ne pas changer d’un iota la situation sociale du pays, tout au plus pourront-ils donner un peu de répit à une bureaucratie de plus en plus impuissante. Dans ce contexte, existe le risque – à la lumière de l’évanescence de résultats suite à une mobilisation – que de plus en plus de travailleurs et travailleuses considèrent ce type d’initiatives de grève comme inutiles.

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Dans les rangs du syndicalisme de base, un débat s’est instauré sur l’attitude à adopter le jeudi 16, un débat qui fait apparaître des différences de méthode importantes entre les diverses organisations du syndicalisme combatif. A savoir, faut-il laisser les travailleurs et travailleuses de base de la CGIL «cuire dans leur soupe» et simplement constater la situation désastreuse produite par les appareils bureaucratiques dont ils dépendent. Ou alors faut-il, même si c’est dans les limites d’une journée comme celle décrite ici, choisir de les rejoindre dans la lutte, naturellement sans renoncer à souligner les limites très sérieuses de cette initiative et à proposer des voies alternatives.

Un communiqué de l’exécutif national de l’USB (Union syndicale de base), paru immédiatement après l’annonce de la proclamation de la grève CGIL-UIL, se concluait par cette phrase: «Notre combat contre le gouvernement Draghi, contre l’hypothèse du maintien du banquier européen à la tête du gouvernement ou du pays n’a rien à voir avec cette grève, qui ne nous intéresse pas et ne nous concerne pas.»

Au contraire, l’exécutif national de SiCobas (le Syndicat interprofessionnel des Cobas – Travailleurs Auto-organisés) a déclaré: «Ceux qui feront grève le 16, en renonçant à une journée de travail et de salaire, ne le feront pas pour soutenir l’appareil bureaucratique, mais parce qu’ils sont poussés par la nécessité de défendre leurs conditions immédiates de vie, de travail et de salaire. Pour cette raison, SiCobas ne se contente pas de saluer la grève, mais invite les travailleurs et travailleuses de partout à utiliser la date du 16 décembre comme une occasion et une opportunité: d’arrêter sérieusement la production et la circulation des marchandises; de relancer les mots d’ordre et les batailles qui ont animé les luttes et les mobilisations réelles de ces mois, celles de grèves contre les licenciements et les restructurations patronales; de diffuser les contenus et les raisons exprimés lors de la grève générale du syndicalisme de base du 11 octobre; et d’utiliser cette date comme une étape intermédiaire pour la construction d’une mobilisation et d’une véritable grève générale contre les politiques du gouvernement.»

Au niveau de la base, d’autres initiatives ont également été prises: par exemple, les délégués USB de l’usine Stellantis [PSA et de Fiat Chrysler] de Melfi ont publié une déclaration invitant leurs collègues à participer à la grève du 16 «afin de ne pas laisser les travailleurs aux mains de ceux qui, une fois de plus, tenteront de les utiliser à leur propre avantage». De même, l’USB de l’OCME [machines pour l’emballage] de Parme a décidé de se joindre à la grève, non pas sur la plate-forme de la CGIL et de l’UIL, mais en réitérant ce qui avait été la plate-forme de la grève du syndicalisme de base du 11 octobre. (Article écrit les 16 et 17 décembre, depuis Rome; traduction rédaction A l’Encontre)

Fabrizio Burattini est un militant et responsable syndical de longue date. Il est actif dans Sinistra Anticapitalista

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