Grèce. La Troïka de l’extérieur et celle de l’intérieur face au Non

4896Par Panagiotis Grigoriou

L’histoire avance, l’hystérie en plus. La propagande, la terreur exercée par le système et ses réserves, ainsi que la lutte des classes… et des clashes atteignent désormais le grand paroxysme. La société grecque n’avait d’ailleurs pas connu un tel clivage depuis le coup d’Etat para-parlementaire initié par le roi en 1965, voire depuis les années de la guerre civile (1944-1949). En cette semaine de l’apocalypse (le mot signifie autant la découverte en grec moderne), les derniers masques sont tombés.

Nous sommes encore en ce juillet 1965, où, sous la pression de l’armée, le jeune roi Constantin II destitue Geórgios Papandréou [1888-1968, Premier ministre d’avril 1944 au 3 janvier 1945, puis du 8 novembre 1963 au 30 décembre 1963 et du 18 février 1964 au 15 juillet 1965] après la tentative de ce dernier de se placer à la tête du ministère de la Défense.

Jeudi (2 juillet), Martin Schulz (SPD), président du Parlement européen, valet de la bancocratie et du nazisme bleu des institutions européistes, exprime au quotidien allemand Handelsblatt (cité par le quotidien grec Avgí) son souhait «de voir la fin de l’ère SYRIZA en cas de victoire du Oui aux réformes, pour qu’un gouvernement de technocrates puisse être formé». Une telle tentative de coup d’Etat, à peine masquée, est en cours en ce moment, orchestrée par Martin Schulz, la Troïka en général et semble-t-il… l’Axe franco-allemand en particulier (sauf s’il y avait enfin divergence), avec… l’aimable participation des figurants du système politique et (économiquement) mafieux de la petite Hellade.

Ces mêmes cercles, notons-le, si vicieux (et néo-vichystes) de la social-démocratie (antisociale et anti-démocratie) et de la droite méta-gaulliste, avaient annulé de fait, comme on le sait, le message (et l’esprit) du peuple de France, c’était lors du referendum de 2005 [sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe]. Le temps viendra, je crois, où la monnaie de leur piètre pièce leur sera enfin rendue.

Pour ce qui est des figurants, bien de chez nous en tout cas, voilà que ces dernières semaines, Antonis Samaras de la Nouvelle Démocratie, tout comme Stávros Theodorakis du parti de la Rivière (To Potami, au génome merkelien), ancien journaliste comme on le sait, très bien payé par le système des castes des magnats de la presse et des autres (bien) énormes affaires, tous ont-ils alors fait le voyage à Bruxelles, pour ainsi coordonner leur… marche sur Rome. Troïka de l’intérieur et Troïka de l’extérieur opèrent main dans la main.

La situation grecque est alors révélatrice du terrorisme… multitâche exercé par le système pseudo-démocratique dominant. Et cela, tout simplement, parce que son règne est (un peu) menacé depuis les élections grecques de janvier 2015; cependant et en cas de victoire du Non, les Tsipriotes (partisans de Tsipras) pourraient en conséquence consolider la brèche démocratique ainsi ouverte. Ce n’est pas rien. Puis, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, voire la France, suivraient probablement tôt ou tard, l’exemple grec.

«Cessons d’avoir peur, la Grèce se débrouillera», déclare Alexis Tsípras. «J’en ai vu passer de nombreux, ils m’ont dégoûté ou sinon, ils m’ont laissé indifférent, aucun affect… mais voilà que ce jeune homme de quarante ans provoque en moi une énorme émotion lorsqu’il s’adresse à nous. Et c’est pour cette raison que tout le monde tente de le faire tomber; ils finiront par l’assassiner… vous verrez. Donc pour moi c’est clair, dimanche, je dis Non», commente alors un retraité entouré par ses proches dans une taverne du Golfe Saronique [dit aussi Golfe de Salamine].

«La Machine de la terreur» dans le Quotidien des rédacteurs, 2 juillet 2015
«La Machine de la terreur» dans le Quotidien des rédacteurs, 2 juillet 2015

En réalité la société grecque est divisée sous un feu nourri de TOUS les médias du pays, s’agissant des chaînes de télévision et de radio, plus privées que jamais. La population grecque subit depuis une semaine une énorme opération de propagande, de désinformation et de terreur. Je n’ai jamais connu une situation semblable depuis le temps des Colonels, et encore.

Il faut souligner, comme le fait Jacques Sapir, que d’abord, «le gouvernement grec a donc été contraint contre sa volonté de mettre en place un contrôle des capitaux et de mettre les banques en sommeil pour une semaine. C’est une décision extrêmement grave, et elle pourrait rendre la tenue du référendum sans effet si elle aboutissait, de fait, à acter le défaut et une expulsion hors de la zone euro de la Grèce. Il semble que le gouvernement grec se soit résigné à cette logique, en dépit des déclarations qu’il a faites tant samedi que dimanche. Mais c’est aussi une décision qui révèle la violence du chantage exercé sur la Grèce par les pays créanciers. Il conviendra de s’en souvenir le moment voulu.» La suite a été aussi bien orchestrée.

Au temps des banksters, les guichets automatiques, fermés de surcroît… roulent en chenilles. Au début de cette semaine, les… grands médias, ont fabriqué leur propagande sur les images de… l’Apocalypse, devant les guichets automatiques, nouveaux lieux de supplice pour les Grecs. Les journalistes mainstream ont alors versé des larmes de crocodile devant «le Golgotha que vivent nos retraités en ce moment»; ces mêmes petits sergents du totalitarisme médiatique qui ne s’étaient jamais émus des suicides de tant de retraité·e·s, de tant de petits commerçants ou de chômeurs laminés par la politique troïkanne, 10’000 suicides en quatre ans… dont celui de mon cousin Kóstas, en janvier 2014, rien que pour rappeler certaines réalités.

Ensuite, de très nombreux patrons ont convoqué leurs employés pour leur annoncer qu’ils ne seront pas payés, ou pas entièrement payés, «sans la normalisation de la situation par une victoire du Oui». «Notre entreprise fait toujours et encore des bénéfices, malgré la crise. Pourtant, une part seulement du salaire mensuel de fin juin a été versée, trois cents euros plus précisément à chacun de ses employés. C’est une décision politique, je sais de quoi je parle. Le patron nous a alors réunis pour nous annoncer sous un ton bien grave que c’est la première fois que le pays connaît une telle pagaille depuis quarante ans que l’entreprise existe; de ce fait les salaires ne seront pas versés et les employés seront probablement… obligés de prendre leurs congés. Il a aussi… interdit formellement les discussions politiques; tandis que la DRH de notre boîte, cadre au parti d’Antonis Samaras, paraissait bien souriante.» Voilà ce que mon ami Anéstis, comptable dans l’entreprise Alpha, basée à Athènes, m’a restitué par téléphone mercredi 1er juillet.

Après donc le contrôle des capitaux et la mise en sommeil des banques pour une semaine, le patronat du pays (en grande partie en tout cas), dans une action bien coordonnée avec les médias, a exécuté la partie du plan qui est la sienne: terroriser et surtout contraindre les employés à voter en faveur de la Troïka (comme en faveur du patronat). Les virements ne sont pas entravés, et par exemple d’après Anéstis, la trésorerie de son entreprise ne justifie guère cette… avanie.

Ailleurs dans les entreprises, les patrons ont ouvertement menacé leurs employés de… licenciements massifs en cas de victoire du Non. Et plus généralement, à l’instar d’un directeur régional de la Banque Nationale de Grèce, ils ont lancé un appel… solennel en faveur du Oui.

Juncker dicte le Oui...
Juncker dicte le Oui…

Le système, toujours si énorme, a mobilisé toutes ses forces pour faire plier la volonté de résistance en Grèce et en Europe. La Confédération générale des travailleurs en Grèce, GSEE (secteur privé), cette supposée intersyndicale fortement attitrée, vient de lancer un appel (à peine couvert) en faveur du Oui; la position de certains principaux dirigeants de la centrale syndicale de la fonction publique ADEDY n’est pas très éloignée d’ailleurs.

En réalité, et comme le remarque le mouvement M’PEP (Mouvement politique d’émancipation populaire) en France, «mercredi 1er juillet 2015, la GSEE (Confédération générale des travailleurs grecs), le plus important syndicat des travailleurs du secteur privé en Grèce, totalement corrompu et contrôlé par le PASOK, affilié à l’inénarrable Confédération européenne des syndicats (CES), a fait une stupéfiante déclaration publique. Elle demande purement et simplement l’annulation du référendum voté par le Parlement grec, prévu le 5 juillet! Le même jour, la CES a immédiatement proclamé son soutien à cet appel de la Confédération générale des travailleurs grecs. Nous appelons les syndicalistes et tous les citoyens à signer le présent Appel pour exiger que la CGT, la FSU, la CFDT, FO, la CFTC, l’UNSA, syndicats français membres de la CES, condamnent les propos de la CES: les Grecs doivent être souverains et libres de choisir leur destin.»

Les masques tombent. Un certain syndicalisme, financé en réalité par le patronat et par Bruxelles, à Athènes, et demain à Paris, à Rome et à Berlin, doit enfin agir dans l’urgence, justifiant alors ses salaires, ses cadeaux, ses pots-de-vin, ses privilèges, hôtels étoilés et autant ses autres subsides, transformés parfois en villas à Mykonos, pour ce qui est de la variante grecque de l’escroquerie politique… complémentaire, héritée du siècle d’avant. Dans la même orbite, nombreux sont ces universitaires et ces gens dits des lettres, qui exhortent le… si bas peuple à dire Oui aux escrocs de la bancocratie, pour ainsi admettre, avec toutes les formes, leur extermination économique et à terme physique.

Kóstas Arvanítis, journaliste et directeur à la radio Au Rouge – 105,5 (SYRIZA), a raison lorsqu’il décrit le clivage actuel que connaît la Grèce comme relevant de la lutte des classes. Sauf que ceux qui subissent n’ont plus vraiment parfois la vision adéquate de leur sort. Après tant d’années de télépropagande entre autres, les… sujets occidentaux (dont les Grecs) seraient bien abêtis et «troupeauisés» et pourtant…

J’ai cru comprendre que dans les îles, les habitants vivant essentiellement du tourisme seraient en majorité favorables au Troïkanisme. «Tout cela est un plan auquel Tsípras participe, afin de nuire au tourisme. Nous, nous voulons la stabilité et l’euro. La Grèce ne peut pas à elle seule se battre en Europe contre les intérêts de l’Allemagne. Nous devons nous soumettre… puis chacun fera son travail, chacun s’occupera de ses clients, des touristes quoi. Nous sommes trop petits pour dire Non.» C’est aussi… possible. Paroles d’une restauratrice sur l’île de Naxos.

Sauf que pour ce qui est de la démographie (et autant du corps des électeurs), toutes les Cyclades réunies ne font pas le poids… face à un seul grand district de la capitale. La surreprésentation des campagnes et des îles (en tenant compte de leur population) lors des législatives ne se «pratique» pas lors d’un référendum. D’où la très grande peur du système, à Athènes et à Thessalonique (où vit la moitié de la population du pays), plus que partout ailleurs, nombreux sont ceux qui n’accordent plus aucun crédit aux… efforts quotidiens des journalistes des télévisions.

«Nous devons enfermer nos vieux à domicile… pour qu’ils ne puissent pas voter en faveur du Oui», me disait une femme qui tient un bistrot sur l’île de Naxos. Donc, attendons dimanche soir!

Des analystes du temps présent et pesant se souviennent également de cet autre juillet des… Apostats et de la chute du gouvernement centriste de Papandréou. Certains de ses députés ont changé de camp… moyennant contreparties.

Vendredi 3 juillet 2015, quatre députés du parti souverainiste ANEL (Grecs indépendants), parti au gouvernement avec SYRIZA, ont pris des distances vis-à-vis de la tenue du référendum, parmi eux, Konstantinos Damavolitis s’est même déclaré partisan du Oui. Il a été aussitôt exclu de son parti et il a démissionné de son mandat de député. Semaine de l’apocalypse!

Jeudi soir (2 juillet), Alexis Tsípras a déclaré qu’en cas de victoire claire du Non, les chances d’arriver à un accord qui n’étranglera plus le peuple grec augmenteront. «Nous aurons alors un accord qui interviendra dans les 48 heures», a-t-il précisé.

Jeudi matin, les pêcheurs ont comme d’habitude apporté leurs prises au port de Méthana dans le Golfe de Saronique. Les tavernes et les bistrots ont été relativement bien fréquentés malgré la fermeture des banques, pourtant il est désormais difficile parfois de rendre la monnaie lorsque les clients payent en utilisant des billets de 50 euros.

Ouvriers mineurs à Sérifos en 1916
Ouvriers mineurs à Sérifos en 1916

Récemment, dans les baies de l’île de Sérifos, nous avons remarqué les traces de l’exploitation minière que connut l’île du temps de la deuxième Révolution industrielle. Installations, bâtiments abandonnés et maisons des (très) anciens ouvriers. En juillet et en août 1916, ces ouvriers se sont organisés en syndicat «dans le but de lutter pour les droits des travailleurs et contre l’exploitation, autant dans un geste de solidarité vis-à-vis des ouvriers organisés de la Grèce et du monde entier». Lors de la révolte qui a suivi la création du syndicat, la répression a causé de nombreux morts parmi les ouvriers, sauf qu’à la fin, leurs revendications ont été satisfaites. Autres temps?

Sur l’île qui vit principalement du tourisme, un habitant déplore alors «cette… pagaille qui entrave déjà la saison touristique», la baie délaissée des ouvriers d’il y a un siècle, est aussi celle des grands yachts. L’histoire avancerait autant… par ce temps des baignades et des douches froides.

SYRIZA d’en haut s’efforce de convaincre que le sens du référendum, relève essentiellement de la dignité, de la souveraineté, et d’une certaine du moins justice sociale, incompatible comme tout le monde le sait avec les diktats de l’austérité.

Sauf que pour le camp européiste, «dimanche prochain c’est surtout d’un Oui ou d’un Non à l’Europe qu’il sera question». Ils n’ont pas tort pour une fois. Le gouvernement SYRIZA/ANEL, même si après-demain il n’est plus aux affaires, suite au coup d’Etat possible mis en œuvre par le directoire de la Troïka (victoire du Non ou pas d’ailleurs), a déjà le grand mérite de poser une question (certes incomplète et toutefois suffisamment claire) au peuple… un instant souverain.

La Grèce, divisée certes depuis, est en ébullition. En dépit de la propagande, les neurones s’agitent pour une fois. Les Grecs savent que la décision n’est pas à prendre à la légère. Pour une fois, leur petit mot peut participer de leur avenir. Ce n’est pas rien et ce n’est pas tout.

Quoi que l’on dise, cette «question grecque» contient bien en germe sa déduction et suite fort logiques: l’Européisme peut-il proposer d’autres choix politiques et économiques, autres, que la mise à mort des sociétés, que la tyrannie du néo-absolutisme prétendument technocrate, par exemple si cher (car payé par nous tous) à Martin Schulz? La réponse est bien NON, et voilà comment le sens du vote grec est alors si décisif.

Pour ceux de l’aile gauche au sein de SYRIZA (certains sont des amis): «Il faut tenter le coup, faire gagner le Non et ensuite, démontrer très logiquement, mais en brisant la terreur et la peur, combien et comment l’euro est une arme contre nous et contre les autres peuples ainsi… ceinturés dans sa zone. Le reste viendra… ou il ne viendra pas pour le moment. Nous avons donc un Plan-B; et en cas d’échec… nous tomberons alors mais dignement, sur le champ de la bataille. Les pourris gouverneront de nouveau, et ce qui subsiste de la Grèce passera à la casserole du mémorandum. La bataille sera certes perdue, mais pas encore la guerre. Les autres peuples verront, les autres peuples s’approcheront de notre positionnement, ils avanceront sur nos pas, en évitant si possible nos erreurs. Le but étant toujours, de briser l’UE et de libérer les peuples de cette prison.»

Et en cas de compromis, après un Non? Rendez-vous donc la semaine prochaine! Rendez-vous aussi dans quelques mois, dans quelques années, ailleurs dans la zone euro. Car la «gestion de la démocratie» en Grèce et à Chypre (fermeture des banques, terreur et propagande, participation du patronat etc.), est indiscutablement un… essai, qui servira lorsqu’il va falloir rétablir au besoin la «bonne gouvernance», dans les autres pays. (3 juillet 2015; Panagiotis Grigoriou anime le site greek.crisis)

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