France-débat. Les «cahiers de doléances» des «gilets jaunes»

Par Robert Duguet

Mouvement social soutenu à l’heure qu’il est par plus de 80% du peuple français, il renoue avec la méthode des «cahiers de doléances» qui préparera les conditions politiques de l’explosion de 1789 et de la liquidation de la monarchie de droit divin. Un certain nombre de représentants officiels du mouvement ouvrier de ce pays, partis ou syndicats, ne veulent y voir que les éléments d’extrême-droite, Rassemblement National de Marine Le Pen ou souverainistes à la Dupont Aignan qui cherchent à greffer sur ses aspirations sociales un débouché populiste à l’italienne [à la Salvini, Réd.].

Ces craintes liées aux derniers conforts d’une «aristocratie ouvrière» – positions confortables sous les lambris de la République – pour l’instant ne veulent pas prendre en compte que ces couches du salariat et de la petite bourgeoisie ruinée sont totalement abandonnées à leur sort.

J’entendais hier sur la radio le témoignage d’un agriculteur sur sa situation matérielle, expliquant qu’il arrivait à comptabiliser jusqu’à 80 heures de travail par semaine, sans pouvoir dégager un salaire pour le faire vivre, lui et sa famille. Mieux, pour ce mois de novembre 2018, il ajoutait que c’était sa propre mère retraitée qui avait fait les courses d’alimentation du ménage. Combien de ces hommes et femmes, revêtant le gilet jaune sont aujourd’hui dans une situation aussi dégradante.

Quelle approche face à ce «clair-obscur»?

Alors oui, si on lit ce catalogue de revendications, certains ne manqueront pas de souligner le caractère parfois contradictoire de ce qui est revendiqué: un peuple, lassé par les stratégies des journées d’actions syndicales et les défaites successives essuyées depuis 1995, se met en mouvement avec toutes ses illusions, ses faiblesses idéologiques et organisationnelles. D’autant que le mouvement ouvrier officiel ne joue plus sa fonction de formateur de ce qu’on appelait autrefois la conscience d’appartenir à une classe sociale, en capacité de reconstruire la société sur des bases émancipées de l’exploitation capitaliste.

Dans ce clair-obscur, pour reprendre l’image d’Antonio Gramsci, peuvent surgir de nouveaux monstres, si le mouvement ouvrier ne reprend pas l’initiative. Sa place est dans l’accompagnement du mouvement des gilets jaunes et la convergence. Il me semble que c’est là la ligne à construire.

Comment ne pas appréhender un tel «mouvement social»

Hélas, il semble que certains courants d’extrême gauche soient frappés par une myopie qui confine à l’Imbécillité. Ainsi la Tribune des Travailleurs, organe du POID [Parti Ouvrier Indépendant Démocratique, une des deux ailes du «lambertisme» que l’auteur de cet article connaît bien] de la semaine dernière caractérisait le mouvement des gilets jaunes comme globalement manipulé par les fascistes. Le principal dirigeant de ce parti, Daniel Glückstein écrit: «Sous le gilet jaune, l’ouvrier reste un ouvrier, et le patron un patron. Sans parler de ceux dont la chemise brune dépasse sous le gilet jaune…» Et il ajoute, en note: «Uniforme des SA, sections d’assaut du parti hitlérien en Allemagne dans les années 1920 et 1930.» Voici donc la grande majorité des gilets, si l’on suit la logique de l’éditorial, transformés en sections d’assaut d’Ernest Röhm [dirigeant Sturmabteilung (SA), exécuté en prison en juillet 1934, après la liquidation des SA en fin juin 1934, sur décision d’Hitler]. Suit une page entière de témoignages individuels recueillis dans la presse locale (quelles sources!) traduisant des propos ou actions racistes, antisémites.

Prenez une manifestation ouvrière de la CGT, ou de FO et interviewez à titre individuel des participants: il y en aura certainement qui vous dirons qu’ils ne supportent plus leurs voisins de palier parce qu’ils cuisent leurs merguez sur la terrasse le dimanche matin en écoutant trop fort de la musique arabe. Cette présentation non seulement n’est pas sérieuse, elle traduit une orientation qui n’a pas grand-chose à voir avec le trotskysme.

Avec Daniel Glückstein, on était très habitué à des citations très précises de «l’orthodoxie marxiste». Ajoutons celle-ci de 1916, soit un an avant la grande révolution russe. C’est Lénine qui parle: «… quiconque attend une révolution sociale pure ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et des mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement. Sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible. Et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais objectivement, ils s’attaqueront au capital et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée et à première vue sans unité, pourra l’unir, l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous, bien que pour des raisons différentes, et réaliser d’autres mesures dictatoriales dont l’ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme…»

«Des directives du peuple»

Jusqu’où ira ce mouvement? Nul ne le sait à l’étape actuelle.

L’année 1788 a été celle des Cahiers de Doléances, mouvement d’un peuple écrasé par une crise économique et sociale, qui débouche sur la Constituante, mouvement par lequel le peuple souverain redéfinit par lui-même le cadre du pacte social. Il y aura les ouvriers de 1848, la Commune, le Front Populaire, la Libération, puis 1968. Les aspirations sociales de la grande révolution, œuvres toujours inachevées par la victoire des possédants, vivent dans notre conscience collective. Sommes-nous à ce moment de rupture?

Le jeudi 29 novembre 2018, le mouvement a envoyé aux médias et aux députés un communiqué comprenant une quarantaine de revendications. Les revendications des Gilets Jaunes dépassent désormais officiellement la seule question des prix du carburant. Dans un long communiqué la délégation du mouvement liste une série de revendications qu’il souhaite voir appliquées.

«Députés de France, nous vous faisons part des directives du peuple pour que vous les transposiez en loi. Obéissez à la volonté du peuple. Faites appliquer ces directives», écrivent les Gilets Jaunes.

Des porte-parole de la délégation doivent être reçus, vendredi 30 novembre 2018 à 14 heures, par le premier ministre, Edouard Philippe, et le ministre de la transition écologique, François de Rugy. [Deux «représentants des gilets jaunes» ont rencontré les représentants du gouvernement. L’un, Jason Hebert, a déclaré: «J’ai demandé à plusieurs reprises que cet entretien soit filmé et retransmis en direct à la télévision, cela a été refusé.» Il est donc reparti après quelques minutes d’un «dialogue de sourds». Ni M. Herbert ni Matignon n’ont révélé l’identité du «gilet jaune» resté ensuite plus d’une heure avec Edouard Philippe et le ministre de la Transition écologique François de Rugy. Réd. A l’Encontre]

*****

Le relevé des doléances…

Vous trouverez ci-dessous une liste non exhaustive de revendications, telle que relevée par Robert Duguet le 30 novembre.

  • Zéro SDF.
  • Davantage de progressivité dans l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire davantage de tranches.
  • SMIC à mille trois cents euros net par mois.
  • Favoriser les petits commerces des villages et des centres-villes. Cesser la construction des grosses zones commerciales autour des grandes villes qui tuent le petit commerce et davantage de parkings gratuits dans les centres-villes.
  • Grand plan d’isolation des logements pour faire de l’écologie en faisant faire des économies aux ménages.
  • Que les gros, Mac Donald’s, Google, Amazon et Carrefour, payent beaucoup d’impôts et que les petits artisans payent peu d’impôts.
  • Même système de sécurité sociale pour tous, y compris les artisans et les auto-entrepreneurs. Fin du Régime Social des Indépendants (RSI).
  • Le système de retraite doit demeurer solidaire et donc socialisé. Pas de retraite à points.
  • Fin de la hausse des taxes sur le carburant.
  • Pas de retraite en dessous de mille deux cents euros.
  • Tout représentant élu aura le droit au salaire médian. Ses frais de transport seront surveillés et remboursés s’ils sont justifiés. Droit au ticket restaurant et au chèque-vacances.
  • Les salaires de tous les Français ainsi que les retraites et les allocations doivent être indexés sur l’inflation.
  • Protéger l’industrie française. Interdire les délocalisations. Protéger notre industrie, c’est protéger notre savoir-faire et nos emplois.
  • Fin du travail détaché. Il est anormal qu’une personne qui travaille sur le territoire français ne bénéficie pas du même salaire et des mêmes droits. Toute personne étant autorisée à travailler sur le territoire français doit être à égalité avec un citoyen français et son employeur doit cotiser à la même hauteur qu’un employeur français.
  • Pour la sécurité de l’emploi, limiter davantage le nombre de Contrats de travail à Durée Déterminée (CDD) pour les grosses entreprises. Nous voulons plus de Contrats de travail à Durée Indéterminée (CDI).
  • Fin du Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE). Utilisation de cet argent pour le lancement d’une industrie française de la voiture à hydrogène, qui est véritablement écologique, contrairement à la voiture électrique.
  • Fin de la politique d’austérité. On cesse de rembourser les intérêts de la dette qui sont déclarés illégitimes et on commence à rembourser la dette sans prendre l’argent des pauvres et des moins pauvres, mais en allant chercher les quatre-vingts milliards d’euros de fraude fiscale.
  • Que les causes des migrations forcées soient traitées.
  • Que les demandeurs d’asile soient bien traités. Nous leur devons le logement, la sécurité, l’alimentation ainsi que l’éducation pour les mineurs. Travailler avec l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour que des camps d’accueil soient ouverts dans de nombreux pays du monde, dans l’attente du résultat de la demande d’asile.
  • Que les déboutés du droit d’asile soient reconduits dans leur pays d’origine.
  • Qu’une réelle politique d’intégration soit mise en œuvre. Vivre en France implique de devenir français, cours de langue française, cours d’histoire de France et cours d’éducation civique avec une certification à la fin du parcours.
  • Salaire maximum fixé à quinze mille euros par mois.
  • Que des emplois soient créés pour les chômeurs.
  • Augmentation des allocations pour les handicapés.
  • Limitation des loyers. Davantage de logement à loyers modérés, notamment pour les étudiants et les travailleurs précaires.
  • Interdiction de vendre les biens appartenant à la France, barrages et aéroports.
  • Moyens conséquents accordés à la justice, à la police, à la gendarmerie et à l’armée. Que les heures supplémentaires des forces de l’ordre soient payées ou récupérées.
  • L’intégralité de l’argent gagné par les péages des autoroutes devra servir à l’entretien des autoroutes et routes de France ainsi qu’à la sécurité routière.
  • Le prix du gaz et l’électricité ayant augmenté depuis qu’il y a eu privatisation, nous voulons qu’ils redeviennent publics et que les prix baissent de manière conséquente.
  • Fin immédiate de la fermeture des petites lignes ferroviaires, des bureaux de poste, des écoles et des maternités.
  • Apportons du bien-être à nos personnes âgées. Interdiction de faire de l’argent sur les personnes âgées. L’or gris, c’est fini. L’ère du bien-être gris commence.
  • Maximum de vingt-cinq élèves par classe de la maternelle à la terminale.
  • Des moyens conséquents apportés à la psychiatrie.
  • Le référendum populaire doit entrer dans la constitution. Création d’un site lisible et efficace, encadré par un organisme indépendant de contrôle où les personnes pourront faire des propositions de loi. Si une proposition de loi obtient sept cent mille signatures, cette proposition de loi devra être discutée, complétée et amendée par l’assemblée nationale qui aura l’obligation, un an jour pour jour après l’obtention des sept cent mille signatures, de la soumettre au vote des Français.
  • Retour à un mandat de sept ans pour le président de la république. L’élection des députés deux ans après l’élection du président de la république permettait d’envoyer un signal positif ou négatif au président de la république concernant sa politique. Cela participerait donc à faire entendre la voix du peuple.
  • Retraite à soixante ans et, pour toutes les personnes ayant travaillé dans un métier usant le corps, maçon ou désosseur par exemple, droit à la retraite à cinquante-cinq ans.
  • Un enfant de six ans ne se gardant pas seul, continuation du système des aides PAJEMPLOI jusqu’à ce que l’enfant ait dix ans.
  • Favoriser le transport de marchandises par la voie ferrée.
  • Pas de prélèvement à la source.
  • Fin des indemnités présidentielles à vie.
  • Interdiction de faire payer aux commerçants une taxe lorsque leurs clients utilisent la carte bleue. Taxe sur le fuel maritime et le kérosène. [Les intertitres sont de la rédaction de A l’Encontre]

5 Commentaires

  1. Il manque des volets concernant :
    – les salaires et indemnités plus qu’exagérés des députés, sénateurs, ministres et du président de la république. Ils nous demandent de faire des efforts alors qu’eux n’en font aucun. Leur revenu pourrait être facilement divisé par deux, il resterait encore tout à fait avantageux pour eux !
    – les salaires aberrants de certains PDG de grands groupes,
    – les cadeaux fiscaux aux plus riches,
    – l’évasion fiscale pour laquelle rien n’est réellement fait,
    – etc…
    Il est bien de demander plus de justice en demandant un SMIC correct, des retraites justes… mais il faut aussi s’en prendre clairement aux plus favorisés, surtout à ceux qui ont des revenus démesurés et qui nous considèrent le « peuple » comme à leur service pour s’enrichir !

  2. Bonsoir, pourquoi n’y-a-t-il pas une pétition nationale, accessible sur le net , sans passer par les réseaux « pseudo » sociaux, pour les personnes qui ne peuvent défiler ; retraités, salariés, malades, chômeurs…etc ….ou qui ne peuvent se rendre sur les ronds points..ou qui ne veulent pas être sur des soi-disants réseaux « sociaux »….qui viendrait alimenter votre représentativité des « invisibles « …?
    Cordialement et avec tout mon soutien,
    Muriel Pauchard

  3. cela fait plus de 40 ans que de nombreux français dépensent sans compter dans l’achat de stupefiants …taxe t-on les acteurs de ces traffics?…manque à gagner?
    il est grand temps de légaliser l’autoproduction de canabis et de penser comme les suisses qui eux ne dépensent pas leur argent dans des systemes de soins non seulement très couteux (la methadone ou le subutex) mais surtout inutiles…
    les drogues ne coûtent rien.. c’est parce qu’elles sont interdites que les trafficants existent et qu’elles deviennent hors de prix et de mauvaise qualité

    légalisation de l’autoproduction de canabis pour la consomation personelle

  4. Bonjour j’ai 64 ans je suis en retraite et handicapé.
    Je touche ma retraite de 864.00 euros, 12.94 euros allocation adulte handicapé, avant d’être à la retraite je percevais 104.00 euros allocation autonomie des personnes handicapées, depuis que je suis à la retraite on a supprimé cette allocation, une fois retraité on n’est plus considéré comme handicapés, dès le 20 du mois je n’ai plus d’argent je suis obligé de sauter des repas, deux repas par semaine et on ne nous donne rien et on ne parle pas de ces problèmes des handicapés, moi je me considère un déchu de la société. Werquin A.

  5. Cet article est intéressant, mais t(ous les pint évoqués seraient résolus avec des élections à laproportionnelle dans une nouvelle constituion o^tous ces demandes pourraient être inscrites
    URGENT:Dissolution et élection à la propotionnelle
    Evasion fiscale, niches fiscales et optimlisation fiscale combattues avec des sanctions allant de peines pénales à la confiscation des biens,
    Imposition immédiate de toutes les multinationales et des entreprises du cac40,retour de l’ISF
    Cela est posible sans attendre et doinner encore du temps libre aux escrocs aux voleurs et aux délinquants de toute espèce

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