Les «gilets jaunes»: pourquoi et comment en être?

Par Alain Bihr

Il n’est plus nécessaire de rappeler l’ampleur d’un mouvement qui n’a eu d’égale que la surprise générale qu’a provoqué son déclenchement et que prolongent sa durée et sa radicalisation. Par contre, son existence même et son devenir continuent à poser quelques questions théoriques et politiques.

Les caractéristiques sociologiques du mouvement

Les reportages journalistiques à chaud tout comme les témoignages de militants ayant pris part au mouvement de blocages permettent d’en souligner l’hétérogénéité en termes de composition de classe qui contraste avec sa concentration spatiale[1].

Sa composition pluriclassiste ne fait guère de doute, le gros en étant cependant constitué par des prolétaires (ouvriers et employés, salariés ou non), auxquels s’ajoutent des membres des couches inférieures de l’encadrement (agents de maîtrise, techniciens) ou de la petite-bourgeoisie (artisane essentiellement, souvent des auto-entrepreneurs, mais aussi paysanne et même intellectuelle, par exemple des infirmières libérales) et même des éléments du petit patronat. On peut aussi relever la présence de femmes et de retraité-e-s bien plus importante que dans les mobilisations dont nous avons l’habitude.

Si cette hétérogénéité n’a pas nui au mouvement, c’est que tous et toutes partagent un certain nombre de points communs ayant rendu possible leur convergence. Ce sont autant de victimes des politiques austéritaires pratiquées par l’ensemble des gouvernements depuis près de quatre décennies. Elles se sont traduites pour elles par la dégradation de leurs conditions d’emploi, de travail et de rémunération; par la difficulté grandissante de «joindre les deux bouts en fin de mois»; par l’angoisse grandissante du lendemain pour soi et pour les siens (les enfants notamment); par la dégradation ou même la disparition des services publics et équipements collectifs auxquels elles pouvaient naguère encore avoir accès; par le sentiment de n’être plus représentées (prises en compte et en considération) par personne (notamment les organisations syndicales, professionnelles, politiques), si ce n’est quelquefois les maires (mais qui ont de moins de moins de pouvoir); par le sentiment d’être abandonnées et laissées à elles-mêmes et d’être franchement méprisées, par des gouvernants qui n’ont plus d’yeux, d’oreilles et de voix que pour «les premiers de cordée»!

Ces «dépossédés» disposent cependant encore de cette force collective qu’est la solidarité locale, basée sur des liens de parenté et de voisinage, faite de connaissance et de reconnaissance réciproques, mais aussi de toute une «économie souterraine» d’entraide, d’échanges de services, de dons et de contre-dons, qui assure au-delà de la survie la possibilité de «s’en sortir». Sans quoi on ne s’expliquerait pas que des hommes et des femmes aient participé aux opérations menées par les «gilets jaunes», dans la froidure de novembre, plusieurs jours de suite et jusqu’à plus de dix dans certains cas.

La seconde caractéristique sociologique notable du mouvement est sa localisation dans le rural périurbain. C’est que les catégories sociales précédentes sont de plus en plus expulsées des centres urbains et même des périphéries urbaines immédiates sous l’effet de l’augmentation des prix du foncier et de l’immobilier urbains et de l’étalement spatial des villes (développement du rurbain). D’autre part, dans cet espace, la dépendance à l’égard de l’automobile individuelle est maximale: il y faut au moins une automobile par ménage non seulement pour aller au boulot, mais aussi pour faire ses courses, emmener les enfants à l’école et aux activités périscolaires, se rendre chez le médecin, effectuer les démarches administratives indispensables, participer aux activités associatives locales, etc., du fait de la concentration grandissante des équipements et des services, privés ou publics, dans les centres ou les périphéries urbains, de l’absence ou de la carence des moyens de transport en commun, de la préférence accordée à l’habitation individuelle favorisant la dispersion de l’habitat.

D’où, le caractère contraint des dépenses de carburants pour ces ménages[2] et, par conséquent, vu leur précarité budgétaire, l’extrême sensibilité de ces populations au prix des carburants. Ce sont leur augmentation continue au cours de ces derniers mois, suivant en cela le cours du pétrole sur le marché mondial, et l’annonce de leur augmentation prochaine (au 1er janvier : + 6,5 centimes par litre de gazole, + 2,9 centimes par litre de SP95) sous l’effet de l’alourdissement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qui ont constitué la goutte d’eau qui a mis le feu aux poudres ! D’autant plus que, parce que le gazole a été longtemps sous-taxé relativement aux autres carburants, le parc des voitures individuelles compte encore aujourd’hui plus de 60% de véhicules à moteur Diesel. D’où aussi le choix de leurs modes d’action (bloquer ou filtrer la circulation automobile pour sensibiliser les automobilistes) et le choix du symbole de ralliement (le fameux gilet jaune).

Des caractéristiques politiques et idéologiques du mouvement

La composition sociologique du mouvement suffit pour l’essentiel à en expliquer les limites originelles sur le plan politique et idéologique. Ses revendications immédiates se sont limitées à exiger une baisse du prix des carburants, notamment des taxes entrant pour 60% dans ce prix. Mais cette dimension antifiscale ne s’en est prise qu’à un aspect mineur de la politique fiscale du gouvernement, sans remettre en cause l’ensemble de celle-ci, notamment l’augmentation de la fiscalité indirecte au bénéfice de la fiscalité directe et, au sein de cette dernière, de la fiscalité sur les revenus du travail au bénéfice des revenus du capital, donc des hauts revenus et des grandes fortunes: voir la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés (les entreprises: IS), la flat tax sur les revenus du capital, la suppression des tranches supérieures de l’impôt sur le revenu (IRPP), la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF)[3]. Et les «gilets jaunes» n’ont pas davantage immédiatement contesté l’affectation des recettes fiscales (le volet dépenses publiques) au bénéfice là encore du capital (voir par exemple le crédit compétitivité emploi – CICE – d’un montant de quelque cent dix milliards sur cinq ans) au détriment du travail (les coupes claires dans le financement des services publics et des équipements collectifs, dont une partie constitue la part socialisée du salaire). Mais pareilles limites n’étaient a priori pas étonnantes de la part de populations qui n’ont eu jusqu’à présent, pour l’immense majorité d’entre elles, aucune expérience ni formation politiques et dont c’étaient souvent la première mobilisation revendicative.

C’est en tirant argument de pareilles limites immédiates que différentes voix se sont fait entendre pour discréditer le mouvement ou, du moins, jeter la suspicion sur lui. Passons sur le mépris ordinaire de «premiers de cordée» pour le «bas peuple». Plus étonnantes et inquiétantes ont été celles de ces voix en provenance de la gauche et même de l’extrême gauche. Le mouvement a ainsi été qualifié de poujadiste. Dans la seconde moitié des années 1950, le poujadisme a été un mouvement essentiellement composé d’éléments de la petite-bourgeoisie (notamment commerçante) et du petit capital menacé par la pénétration du grand capital (en devenir oligopolistique) dans certaines branches de l’industrie, du commerce et des services ainsi que par la mise en place des institutions caractéristiques du compromis fordiste entre capital et travail salarié (notamment la Sécurité sociale). Alors que le présent mouvement est à dominante des éléments du prolétariat menacés par le démantèlement continu des acquis du compromis fordiste. Seul point commun: l’antifiscalisme; mais alors qu’il a été un point de fixation pour le mouvement poujadiste, le présent mouvement des «gilets jaunes» l’a déjà dépassé, comme on le verra plus loin.

Nos «belles âmes» de gauche et d’une partie de l’extrême gauche ont aussi accusé ce mouvement d’être à la traîne de la droite dure et de l’extrême droite. Ces accusations ont été lancées sur la base de l’observation de propos, slogans ou comportements sexistes et racistes au sein des collectifs de «gilets jaunes»; de la présence dans des collectifs de symboles ou de marqueurs de la droite ou de l’extrême droite nationaliste (le drapeau tricolore, La Marseillaise); du soutien immédiat recueilli par les «gilets jaunes» de la part de des leaders d’extrême droite ou de la droite extrême (Le Pen, Dupont-Aignan, Vauquiez) tendant de récupérer le mouvement à leurs fins propres et de la participation de militants d’extrême droite à certains de leurs collectifs.

Bien qu’à de multiples reprises les «gilets jaunes» aient déclaré se vouloir «apolitiques» (il est vrai que l’apolitisme est plutôt de droite), répondons quand même aux accusations précédentes. Outre que les actes et paroles racistes ou sexistes sont restés minoritaires en leur sein, les «gilets jaunes» n’ont malheureusement pas le monopole ni du sexisme ni du racisme. De ce point de vue, des militants et organisations de gauche et d’extrême-gauche feraient bien de balayer devant leur propre porte. De plus, attendre qu’un mouvement populaire spontané soit idéologiquement pur pour le soutenir et y intervenir, c’est se condamner à l’impuissance et mettre la charrue avant les bœufs: exiger comme point de départ ce qui ne peut être qu’un point d’arrivée. Par ailleurs, il est discutable de faire du drapeau tricolore et de La Marseillaise des marqueurs de la seule droite ou extrême droite nationaliste; on peut tout aussi bien rappeler l’héritage révolutionnaire qui y est attaché, le seul à la disposition de populations privées de tout autre héritage révolutionnaire. Enfin et surtout, ce n’est pas tant la présence d’éléments de la droite et l’extrême nationalistes dans le mouvement des «gilets jaunes» dont il faut s’alarmer que l’absence de la gauche et de l’extrême gauche pour leur faire contrepoids et les chasser du mouvement.

Critique de l’attitude des organisations syndicales et politiques de gauche
et d’une partie de l’extrême gauche

Dans leur ensemble, ces organisations se sont en effet tenues à l’écart de ce mouvement, au moins dans un premier temps. Du côté politique, on a assisté à un soutien du bout des lèvres du côté du PS (pas encore remis de sa déconfiture de l’an dernier) et du PC (occupé par son congrès), à un soutien plus résolu du côté de la FI, du NPA ou d’AL (Alternative libertaire) mais sans pour autant appeler à une participation massive au mouvement – quelques individualités mises à part (Ruffin, Besancenot, Poutou). Quant aux organisations syndicales, elles ont présenté un dégradé d’attitudes allant de l’indifférence à la franche méfiance confinant à l’hostilité (le pompon revenant comme d’habitude à la CFDT, dont le secrétaire général y aura vu «une forme de totalitarisme») – à l’exception de quelques structures locales ou fédérales (CGT métallurgie, Sud industrie, SUD PTT, FO Transports) et, bien évidemment, de ceux de leurs militants ou membres qui ont, au contraire, plus ou rapidement fait le choix contraire.

Photo publiée dans Mediapart du 1er décembre 2018 (Mathilde Goanec) – Paris 1er décembre 2018

Les raisons d’une telle attitude sont multiples. Y ont eu leur part les critiques précédentes du mouvement, assorties de l’accusation de rouler pour le patronat… de l’industrie de transport routier, qui a soutenu le mouvement du fait de sa revendication-phare, avant de se rétracter rapidement en protestant contre les blocages routiers. Plus profondément, il faut sans doute incriminer l’hostilité de principe à l’égard de mouvements sociaux spontanés (le mouvement des «gilets jaunes» est parti d’une pétition qui a circulé dans les «réseaux sociaux») de la part d’états-majors qui ont l’habitude de faire défiler leurs troupes où et quand eux seuls l’ont décidé. Enfin, il faut encore pointer leur extériorité à l’égard de toute cette partie des couches populaires dans laquelle ces organisations n’ont pas (plus) aucune implantation et qui leur est devenue aussi étrangère et invisible qu’elle l’est pour le pouvoir. Ce qui en dit long sur leur manque d’ancrage dans le «pays réel» et a valu à ces soi-disant avant-gardes de se retrouver à la traîne d’un mouvement populaire, au moins à ses débuts.

Évidemment, pareille attitude est non seulement une erreur mais une faute politique grave. Le mouvement des «gilets jaunes» est certes composite, partagé entre des tendances divergentes, gros de possibles contraires. Sa plate-forme revendicative initiale était pauvre et son horizon politique limité (pour ne pas dire inexistant). Mais son potentiel de lutte était et reste énorme, comme l’ont déjà prouvé l’enrichissement de la première et l’élargissement du second[4]. Et c’est précisément la mission des organisations syndicales et politiques anticapitalistes d’intervenir en son sein et à ses côtés pour amplifier accélérer ce double processus et orienter le mouvement dans un sens globalement favorable aux intérêts de classe de ses membres. Reste à déterminer comment.

Propositions pour pérenniser, étendre et renforcer le mouvement

Surtout ne pas intervenir en donneurs de leçons et, encore moins, en donnant l’impression de vouloir récupérer le mouvement au profit d’une organisation quelconque ou d’un programme politique défini. Défendre au contraire l’autonomie intégrale du mouvement par rapport à l’extérieur et la démocratie interne. Et se contenter de défendre, en son sein, un certain nombre de propositions parmi lesquelles je livre les suivantes à la discussion.

Quant aux formes d’organisation. Promouvoir la démocratie assembléiste dans les collectifs. Faire de chaque rassemblement un lieu de discussion et de délibération. Défendre l’autonomie des collectifs locaux tout en plaidant pour la plus large coordination possible entre les collectifs locaux sur une base territoriale définie par eux. Mandater strictement les délégués aux coordinations en question. Ne pas accepter l’institution de soi-disant représentants nationaux chargés de négocier avec le gouvernement. Mais chercher autant que possible à favoriser le rapprochement avec les organisations et mouvements qui se seront déclarés favorables au mouvement et lui auront apporté leur soutien, sans tentative d’instrumentalisation de part ou d’autre, à commencer par celles et ceux (essentiellement les organisations syndicales et les mouvements lycéens et étudiants) qui sont déjà engagés dans des actions revendicatives sur leur terrain propre. Car le potentiel de mécontentement et de révolte est immense dans l’ensemble du pays, comme l’ont prouvé le samedi 1er décembre des scènes d’émeute à Paris mais aussi en province (Marseille, Saint-Étienne, Le Puy-en-Velay, Tours), qui n’ont pas été le fait des seuls «casseurs» habituels.

Quant au contenu revendicatif. Proposer l’élaboration d’une plate-forme revendicative intégrant des revendications immédiates tout en défendant la nécessité de les élargir et de les approfondir. A titres d’exemples :

  • Baisse immédiate du prix des carburants par l’intermédiaire de la TICPE, qui constitue actuellement la quatrième source de recettes fiscales de l’Etat (après la TVA, l’IRPP, et l’IS). Institution d’un prix administré de manière à éviter les dérapages à la pompe.
  • Forte revalorisation des principaux revenus dont vivent les couches populaires mobilisées: porter le Smic et les pensions de retraite au niveau du salaire médian actuel (environ 1700 €); revalorisation équivalente de l’ensemble des prestations sociales; porter les minima sociaux au-delà de l’actuel seuil de pauvreté (par exemple à 1200 €).
  • Adoption et mise en œuvre urgente d’un plan de lutte contre la misère. Relogement de tous les SDF dans des logements vacants comme la loi l’y autorise.
  • Instaurer un encadrement des loyers. Lancement d’un programme pluriannuel d’isolement de l’ensemble des logements, sociaux ou non, financés sur fonds publics, en commençant par ceux occupés par des ménages en état de précarité énergétique.
  • Allègement de la fiscalité indirecte (par exemple élargissement du panier des biens et services soumis au taux de TVA réduit avec imposition d’un prix plafond – pour éviter que les commerçants n’empochent la différence). Allègement de la fiscalité directe pesant sur le travail (par exemple des taux de la CSG). Alourdissement de la fiscalité directe sur le capital, les hauts revenus et les grandes fortunes: rétablissement des tranches supérieures de l’IRPP ; augmentation du taux d’imposition des revenus de la propriété au titre de protection sociale ; forte taxation de la part des profits distribués sous forme de dividendes ; augmentation du taux de l’IS ; rétablissement de l’ISF. Suppression du CICE et de l’ensemble des niches fiscales, dont le montant sera réaffecté au financement des différentes mesures écologiques et sociales énoncées par ailleurs.
  • Adoption d’un moratoire sur la dette publique. Ouverture d’une procédure d’audit de cette dette pour en déterminer la part illégitime qui ne sera pas remboursée.
  • Élaboration d’un cahier revendicatif contre la dégradation des services publics et, inversement, pour le renforcement de ces services, notamment en matière de transports (réouverture de lignes locales de chemin de fer fermées, gratuité des transports en commun), de santé (institution d’une période de présence obligatoire des jeunes médecins dans les déserts médicaux, réouverture des hôpitaux et services hospitaliers fermés, en les dotant de moyens supplémentaires) et d’éducation (aucune fermeture de classe dans le primaire, institution d’une distance minimale à parcourir par les élèves de l’enseignement secondaire et mise en place de ramassage scolaire systématique, des moyens supplémentaires pour les activités périscolaires).
  • Abrogation de l’ensemble des mesures visant au démantèlement de la protection sociale : abrogation des mesures de déremboursement des médicaments ; plan d’urgence pour pouvoir les hôpitaux publics de moyens supplémentaires et abandon de toute subvention aux cliniques privées ; instauration d’un droit à la retraite pour tous après 30 ans d’activité sur la base de 75% du meilleur revenu brut d’activité plafonné à deux fois le SMIC.[5]

Quant aux formes d’action. Sans abandonner les opérations de blocage ou de filtrage de la circulation automobile aux abords des villes (pour discuter avec les automobilistes, les inciter à rejoindre le mouvement, leur faire connaître les revendications), adopter des formes d’action adaptées aux revendications précédentes (par exemple blocage ou occupation de services publics pour appuyer les revendications des personnels de ces services et informer les publics des revendications à leur sujet; investissement des mairies, des conseils départementaux et régionaux, des permanences des députés et sénateurs pour les contraindre à relayer les revendications précédentes).

Mais, surtout, il me paraît nécessaire de privilégier les actions décentralisées mais coordonnées en province plutôt que des actions centralisées sur Paris: pour permettre au maximum de personnes d’y prendre part ; pour permettre aux collectifs locaux de rester maîtres de leurs décisions et de leur calendrier ; pour paralyser progressivement le pays ; pour épuiser le gouvernement et ses soi-disant «forces de l’ordre» en les obligeant à multiplier leurs points d’intervention et leur déplacement.

Par-delà les propositions précédentes, qui peuvent et doivent être débattues collectivement au sein du mouvement, c’est surtout la nécessité et l’urgence d’intervenir au sein de celui-ci pour lui permettre d’aller le plus loin possible qui ne devrait plus faire débat au sein des organisations syndicales et politiques anticapitalistes. Et, quelle que soit son issue, ce mouvement aura révélé l’existence d’un immense champ de couches populaires qui doit constituer une véritable terre de mission pour ces organisations dans les mois et années à venir. Sans quoi il ne faudra pas s’étonner et se plaindre de voir ces couches populaires céder encore un peu plus aux sirènes de l’extrême droite qui sauront, pour leur part, y attiser le ressentiment, y semer la xénophobie et racisme et y favoriser le repli identitaire. (2 décembre 2018)

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[1] A ces deux sources d’information, je me permets d’en ajouter une troisième, plus restreinte spatialement mais plus directe et plus compréhensive, plus subjective aussi. Depuis plusieurs années, je passe les deux tiers de mon temps dans un petit village en Déodatie (la région de Saint-Dié-des-Vosges), ce qui m’a permis d’observer directement bon nombre de phénomènes qui éclairent le déclenchement du mouvement des «gilets jaunes». Lors du premier week-end de mobilisation de ces derniers, dans un rayon de dix kilomètres autour de ce village, ce ne sont pas moins de cinq blocages qui y ont eu lieu (deux aux principales entrées dans Saint-Dié, un à Moyenmoutier, un à La Petite Raon, un à Raon-L’Étape). Le département des Vosges a connu ce weekend-là quelque quatre-vingt points de blocage, la plupart concentrés dans l’est du département, au pied du massif vosgien même, quelques-uns dans des localités que vous aurez du mal à situer sur une carte : Provenchères-sur-Fave, Frapelle, Anould, Le Syndicat, etc.

[2] Comme l’a opportunément rappelé Michel Husson, «Les fondements microéconomiques de la connerie», http://alencontre.org/economie/les-fondements-microeconomiques-de-la-connerie.html

[3] Selon une estimation de l’OFCE, ce sont les 5% de ménages les plus riches qui seront les principaux bénéficiaires de la politique socio-fiscale de l’actuel gouvernement, qui (indépendamment d’autres facteurs) leur vaudra de connaître une augmentation de pouvoir d’achat de 2,2% fin 2019 par rapport à fin 2017, alors que les 5% de ménages plus pauvres n’y auront gagné que 0,2% : onze fois moins ! Cf. M. Plane et R. Sampognaro, «Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités», Policy Brief de l’OFCE, n° 30, janvier 2018. https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2018/Pbrief30.pdf

[4] Voir par exemple la plate-forme revendicative adoptée le 28 novembre en prévision de la réception d’un certain nombre de délégués à Matignon (qui n’a finalement pas eu lieu) : https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/zero-sdf-retraites-superieures-a-1-200-euros-salaire-maximum-a-15-000-euros-decouvrez-la-longue-liste-des-revendications-des-gilets-jaunes_3077265.html?fbclid=IwAR0JFfwjPHMqH28JEzSiLtdKp3_YuHGxEPoZAIhNBznMn6OIC4qaZXydFeA Cf. aussi la vidéo visible à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=gJV1gy9LUBg. Ainsi que la liste des revendications dans les «cahiers de doléances» publié, ce 2 décembre 2018, sur le site alencontre.org [http://alencontre.org/europe/france/france-debat-les-cahiers-de-doleances-des-gilets-jaunes.html]

[5] Une bonne partie de ces mesures font déjà partie de la plate-forme revendicative signalée dans la note précédente.

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2 Commentaires

  1. Une analyse très éclairante.
    Cela concorde avec ce que j’ai vu à Paris durant toute la journée du samedi dernier 1er décembre.
    Ce qui s’est passé à Paris était clairement une “émeute” selon la définition que lui donne Alain Bertho, en particulier le fait que les participants se fichent des risquent qu’ils courent en y participant.
    que leur participation pourrait avoir pour eux.
    Le ministre de l’intérieur a implicitement reconnu l’ampleur du phénomène en affirmant que 3000 à 5000 personnes ont eu un comportement de casseur ce samedi, que seulement 600 à 800 personnes avaient manifesté dans la “fan zone” des Champs Elysées encerclés par la police, alors que la police a donné une participation de 8000 personnes à Paris
    https://blogs.mediapart.fr/rene-monzat/blog/021218/gilets-jaunes-si-macron-ne-comprend-pas-maintenant-c-est-qu-il-est-vraiment-sourd

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