Allemagne. Des retraité·e·s de plus en plus plongés dans la pauvreté. Une voie de sortie?

Par Stefan Sell

A quoi faut-il s’attaquer après cette élection du 26 septembre? Dans l’une des nombreuses récentes enquêtes, les personnes interrogées ont indiqué: «la» pension (retraite) est la principale priorité, et de loin. Les gens ont une idée concernant les grands chantiers sociaux du pays. Or, la plupart des partis ne font pas de propositions concrètes sur ce qui devrait être différent.

Un nouveau relèvement de l’âge de la retraite est alors vite arrivé, car «l’espérance de vie» augmente – puisque «nous» vivons plus longtemps, «nous» pouvons travailler un peu plus longtemps; en général, «les» retraités s’en sortent plutôt bien en moyenne.

Lorsque le mot «nous» est mentionné, tous les voyants d’alarme devraient s’allumer. Car l’augmentation de l’espérance de vie est très inégalement répartie. Il y a des gagnants et des perdants. Une augmentation uniforme de l’âge de la retraite constituerait une nouvelle réduction sévère des pensions, en particulier pour les personnes «au bas de l’échelle» – dont les montants de pension sont déjà faibles – qui en plus ont des réductions du nombre d’années de cotisation. [Pour les salarié·e·s, les rentes complémentaires n’existent, pour l’essentiel, que dans les branches ayant de solides conventions collectives.]

Dans le même temps, les baby-boomers prendront leur retraite dans les années à venir. Plus de retraités et des pensions meilleures pour ceux qui ont gagné moins que la moyenne ou «trop peu» au cours de leur vie active, cela nécessite de redistribuer plus d’argent de haut en bas. Dans aucun pays comparable, ils ne sont aussi mal protégés qu’en Allemagne, ce que l’OCDE critique depuis des années. Il ne s’agit pas d’opposer «les» vieux et «les» jeunes.

La pension légale par répartition était un modèle performant – jusqu’à ce que les réformes des pensions depuis le début des années 2000 [les années du «social-démocrate Gerhard Schröder, chancelier fédéral entre octobre 1998 et novembre 2005] ne la fassent basculer sur une pente glissante. En outre, depuis le milieu des années 1990, de plus en plus de personnes ne sont plus en mesure de remplir les conditions nécessaires à la réalisation du modèle de pension légale. Selon la formule de calcul de la pension, les personnes doivent avoir travaillé à temps plein, pendant toute la vie, si possible sans interruption, et au moins avec un salaire moyen.

Prenons le cas du «retraité du coin»: il a travaillé pendant 45 ans sans interruption et a toujours payé des cotisations correctes, il perçoit une pension mensuelle brute de 1539 euros, et le montant net est actuellement de 1369 euros. Mais seulement s’il a toujours obtenu le revenu moyen au cours de chacune des 45 années. En 2021, le revenu moyen représente 3462 euros brut par mois! Pour les millions de personnes qui perçoivent moins ou qui ont travaillé à temps partiel, cela a l’effet d’un coup de massue: elles reçoivent des pensions souvent encore plus basses que ce qui peut être perçu comme allocation de base assurée pour la vieillesse, c’est-à-dire celui défini par Hartz IV [en 2005] pour les personnes âgées. La perte de valeur de la pension, fabriquée politiquement, est gigantesque. Prenons le cas d’une femme qui doit travailler au salaire minimum, actuellement de 9,60 euros par heure. Si elle devait travailler toute sa vie active au salaire minimum, il lui faudrait 55 années de cotisation pour bénéficier d’une pension légale égale au montant de l’allocation de base assurée pour la vieillesse. Si la salariée au salaire minimum ne pouvait durer (travailler) «que» 45 ans, le salaire minimum actuel devrait déjà être de 16,15 euros pour «gagner» l’allocation de base assurée pour la vieillesse. Un système défaillant.

Le système d’assurance vieillesse polarise socialement, et de façon considérable. Si rien ne change fondamentalement, la paupérisation des personnes âgées augmentera massivement. Aujourd’hui déjà, trois millions de personnes âgées vivent sous le seuil officiel de pauvreté. Et ceux, nombreux, qui cumulent plusieurs «mauvais risques» – c’est-à-dire qui ont gagné moins que la moyenne, qui ont été plus souvent au chômage, qui ont travaillé dans des secteurs sans pension complémentaire d’entreprise, qui n’ont pas pu se constituer un patrimoine et vivent dans un logement loué – n’arrivent que maintenant à la retraite. Dans le même temps, le nombre de personnes âgées qui peuvent se permettre une belle retraite va augmenter. Le fait est que nous avons besoin d’une pension minimale protégeant de la pauvreté – plus et mieux que ce que le gouvernement actuel a fait naître comme «pension de base» au prix d’une naissance douloureuse. Or, dans le système actuel, il n’y a aucun moyen de se passer d’une augmentation des bas salaires.

Une véritable pension de base peut libérer des forces productives positives inimaginables dans la société: Si les gens bénéficiaient, en perspective d’une sécurité de base et que l’accès à celle-ci n’était pas pavé par des obstacles bureaucratiques dégradants, ils seraient alors prêts à accepter les changements importants dans l’organisation du travail, tels que les formes d’emploi «hybrides», c’est-à-dire des modèles d’activité qui ne correspondent plus à un emploi à temps plein chez un seul employeur pendant une longue vie professionnelle.

Mais le véritable tour de force nécessaire serait le suivant: les charges financières doivent être réparties de manière égale et en fonction des «gains» économiques entre tous les titulaires de revenus. Mais cela n’est pas possible dans les structures traditionnelles actuelles. Une assurance-emploi complète avec un revenu minimum à l’épreuve de la pauvreté devrait s’affranchir de la charge unilatérale du travail salarié soumis aux cotisations sociales et être liée à la valeur ajoutée économique (richesse) croissante par le biais d’une cotisation sur cette dernière. Pendant de nombreuses années, la CDU, la CSU et le SPD se sont distingués par leur refus de l’envisager. Une telle réforme du système devrait-elle maintenant devenir plus probable à l’époque des projets de coalitions gouvernementales avec vraisemblablement plus de trois partenaires? (Article publié dans l’hebdomadaire Der Freitag, le 13 septembre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

Stefan Sell enseigne l’économie et la politique sociale à l’Université des sciences appliquées de Coblence.

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