Quelle perspective de relance de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien?

Par Yassamine Mather

Après des semaines de spéculation, des négociations ont débuté le 6 avril à Vienne entre les représentants de l’Iran, de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de la Russie, de la Chine et de l’UE. Il s’agit probablement de la première partie d’un processus long et difficile visant à ramener les États-Unis dans l’accord nucléaire (Joint Comprehensive Plan of Action-JCPoA, de 2015) et à ouvrir la voie à l’annulation par l’Iran de sa récente augmentation du niveau d’enrichissement de l’uranium [voir note 1 sur «l’acte de sabotage» ayant frappé la centrale de Natanz].

Les premiers signes indiquant que des pourparlers étaient en cours sont venus du secrétaire d’État américain Antony J. Blinken, qui a informé les ministres européens des Affaires étrangères, le 2 avril, que les États-Unis se joindraient à eux pour tenter de rétablir l’accord nucléaire de 2015, qui, selon lui, «était une réalisation clé de la diplomatie multilatérale».

En réponse à cela, le ministère iranien des Affaires étrangères a maintenu la position initialement déclarée par le guide suprême de la Révolution islamique, Ali Khamenei, selon laquelle les Iraniens n’entameront pas de négociations «directes» avec les États-Unis tant que les sanctions qu’ils ont imposées ne seront pas levées. Le 4 avril, le vice-ministre des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, a déclaré aux journalistes qu’il n’y aurait pas de négociations directes ou indirectes avec les États-Unis, un jour avant de se rendre à Vienne, où devaient se tenir ces négociations très attendues. Il a insisté: «Notre principale condition est que les États-Unis remplissent d’abord toutes leurs obligations et lèvent toutes les sanctions, puis nous le vérifierons et reviendrons à une pleine application du JPCoA.» Selon le ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, les États-Unis ont imposé, réimposé ou redéfini quelque 1600 mesures de sanction contre l’Iran, infligeant des dommages économiques directs et indirects d’un montant de 1000 milliards de dollars.

Bien que l’Iran souhaite que les sanctions soient levées avant toute négociation directe, on ignore comment les États-Unis entendent révoquer ces sanctions ou combien de sanctions devront finalement être levées avant que l’Iran n’accepte de revenir sur les conditions imposées au développement nucléaire du pays par le plan d’action global conjoint (JCPoA) concernant l’enrichissement de l’uranium. Selon l’envoyé spécial des États-Unis pour l’Iran, Robert Malley, qui dirige la délégation américaine à Vienne, son objectif est de «voir si nous pouvons nous mettre d’accord sur une feuille de route permettant aux deux parties de revenir à la conformité». Il a déclaré que les États-Unis savaient qu’ils allaient devoir «lever les sanctions qui sont incompatibles avec l’accord conclu avec l’Iran» (BBC) .

Le 3 avril, un porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères a rejeté une proposition des Etats-Unis de lever progressivement les sanctions imposées par l’administration Trump. Cependant, malgré toute la rhétorique des deux côtés, les gros titres indiquent déjà les objectifs de Vienne. Le 2 avril, ils racontaient tous la même histoire: «Les États-Unis et l’Iran conviennent de reprendre les négociations sur l’accord nucléaire» (Wall Street Journal); «La réunion de Vienne signale un nouvel élan pour relancer l’accord nucléaire iranien» (Politico); et «Accord nucléaire iranien: les États-Unis font les premiers pas vers le retour à l’accord avec des discussions la semaine prochaine» (Sky News).

Mais il ne devait pas y avoir de rencontres officielles en face à face entre les responsables iraniens et américains – l’équipe états-unienne était dans la capitale autrichienne pour des «contacts séparés». La délégation américaine logeait même dans un hôtel différent de celui de l’équipe iranienne, sans doute pour éviter de les croiser dans le couloir, et il a été question de trois chambres séparées au Grand Hotel et à l’Imperial Hotel de la capitale autrichienne, où se déroulent les négociations. Les scénarios de qui était où et à quel moment varient selon les agences de presse, mais il semble que l’équipe américaine était dans une pièce et les Iraniens dans une autre, les Européens faisant la navette entre les deux. Ce qui n’est pas clair, c’est la place de la Russie et de la Chine dans tout cela, mais on suppose qu’elles étaient dans la même pièce que les principales équipes de négociation européennes et iraniennes.

Bien sûr, tout cela était plus simple lorsque le Royaume-Uni faisait partie de l’UE, mais lorsqu’il s’agit des détails des négociations, on s’attend à ce que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni présentent une sorte de front uni. Selon les communiqués de l’UE, les pourparlers de Vienne visent à résoudre ou du moins à progresser sur deux questions: l’identification des mesures que les États-Unis doivent prendre en matière de sanctions, d’une part, et celles que l’Iran doit prendre concernant son programme nucléaire, d’autre part.

Le premier cycle de négociations s’est achevé le 6 avril. L’ambassadeur russe auprès des organisations internationales à Vienne, Mikhaïl Oulianov, a déclaré que ce cycle avait été «fructueux», deux groupes d’experts sur la levée des sanctions et les questions nucléaires ayant été chargés d’identifier des mesures concrètes pour aller de l’avant. Mikhaïl Oulianov a ajouté que les experts ont commencé leur travail immédiatement, mais a prévenu que le rétablissement de l’accord ne se ferait pas rapidement. Toutefois, «le plus important […] est que les travaux concrets visant à atteindre cet objectif ont commencé».

Tout cela suit le schéma des négociations de 2015-16, lorsque des «équipes d’experts» traitaient les détails entre les réunions ministérielles. Et il est probable que les discussions aboutissent à un accord, car l’économie iranienne risque de s’effondrer totalement, en partie à cause des sanctions, tandis que de leur côté, les États-Unis ne veulent pas voir l’Iran devenir un allié de la Chine ou de la Russie.

Chine

Fin mars, l’Iran et la Chine ont finalement signé l’accord de 25 ans dont on parlait tant. Certains détails restent secrets, l’Iran affirmant que c’est à la demande de la Chine, les commentateurs pro-Téhéran affirmant que la Chine a fait plus de concessions à l’Iran qu’à tout autre pays de la région. Contrairement aux commentaires des analystes iraniens de droite, il semble que la Chine souhaite vivement que l’accord sur le nucléaire iranien progresse. Selon le ministre iranien des Affaires étrangères, «nous avons pu relancer l’accord stratégique avec la Chine grâce à la signature du JCPoA. Avant cela, les Chinois ne répondaient pas à nos ouvertures.» Les dirigeants chinois ont eux-mêmes fait des déclarations similaires dans le passé.

Comme je l’ai écrit l’année dernière [voir sur ce site l’article publié en date du 13 août 2020], aucune des affirmations sensationnelles de l’opposition iranienne pro-Trump n’était vraie. Il n’y a aucun projet d’«acquisition de terres», et aucune île iranienne n’a été vendue/donnée aux Chinois… En fait, comme l’ont souligné de nombreux commentateurs questions internationales, l’accord – en tout cas ce qui a été publié jusqu’à présent – traite d’autres questions non contraignantes, sans qu’aucun contrat spécifique ne soit convenu. Par exemple, il existe un accord général sur la proposition de vente de pétrole iranien, vraisemblablement à bas prix, à la Chine pour les 25 prochaines années en échange d’investissements chinois dans les aéroports et les ports, les télécommunications et les transports, les champs de pétrole et de gaz, les infrastructures et les banques, la Chine acquérant ainsi des actifs iraniens tout en contribuant à répondre aux besoins d’investissement non satisfaits de l’Iran.

Le mois dernier, un certain nombre de médias ont cité le chiffre de 400 milliards de dollars et les rumeurs à ce sujet persistent. Les médias sociaux en langue persane regorgent de messages de droitiers iraniens pro-Trump appelant leurs compatriotes à «reprendre notre pays à la Chine». Comme toujours, les fake news ont créé leur propre effet boule de neige, où les faits concrets ne découragent personne.

En ce qui concerne l’avenir à long terme de l’économie iranienne, nous devons nous rappeler que les sanctions des Etats-Unis, y compris celles imposées par Donald Trump, ne sont qu’une partie du problème. À l’heure où la plupart des pays du monde, y compris les États-Unis eux-mêmes, repensent le rôle dominant du marché et préconisent l’intervention de l’État pour reconstruire l’économie dans l’ère post-covid, à l’heure où l’administration Biden semble abandonner les politiques économiques néolibérales qui ont dominé le capitalisme occidental depuis l’ère Reagan/Thatcher, le régime iranien reste un partisan résolu de la privatisation et de la réduction de l’intervention de l’État dans l’économie.

Cette situation, associée à une corruption endémique, a ouvert la voie à l’effondrement économique et, même si le pays parvient à relancer l’accord nucléaire, il est peu probable que la levée des sanctions, associée à la reprise des échanges économiques avec l’Europe occidentale, la Chine et, dans une moindre mesure, la Russie, profite à la classe ouvrière iranienne appauvrie et opprimée. Mais au moins, si les sanctions sont levées, le régime aura une excuse de moins pour justifier la situation économique actuelle, et les «initiés» (ceux qui sont proches des centres de pouvoir) qui ont contourné les sanctions et réalisé d’énormes profits sur le marché noir devront trouver d’autres moyens de gagner de l’argent dans la République islamique capitaliste corrompue. (Article publié sur le site Weekly Worker, le 8 avril 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Les autorités iraniennes, suite à «l’acte de sabotage» ayant frappé l’usine d’enrichissement d’uranium du complexe nucléaire de Natanz (au centre de l’Iran) le dimanche 11 avril 2021, affirment qu’il est «trop tôt» pour déterminer les dommages matériels causés par l’attaque. «Il faut inspecter chacune des centrifugeuses pour donner un bilan des dégâts», a déclaré Saïd Khatibzadeh, porte-parole des iranien des Affaires étrangères. Au-delà des hypothèses sur l’origine de «cet acte de sabotage» (encore relativement floue) et sur l’ampleur des dégâts causés, Ali Vaez, chargé du dossier iranien à l’ONG International Crisis Group, déclare, selon Le Monde du 12 avril 2021: «Si l’Iran ne riposte pas, cherchant ainsi à donner une chance à la diplomatie nucléaire, il accorde à Israël la victoire d’un revers gratuit mais dévastateur sur le programme nucléaire iranien. Et si Téhéran décide de riposter, il risque de faire dérailler la diplomatie nucléaire, ce qui sera conforme aux objectifs de Tel-Aviv.» Mercredi 14 avril, les négociations devraient reprendre à Vienne au niveau des vice-ministres des Affaires étrangères. Si cette nouvelle phase des négociations se concrétise, il s’agira alors d’examiner la relation entre «l’acte de sabotage» et l’évolution de celles-ci, ainsi que les réactions respectives des participants. Il faut avoir à l’esprit que Hassan Rohani avait inauguré, le samedi 10 avril, «Journée nationale de la technologie nucléaire», la mise en service de nouvelles centrifugeuses modernisées sur le site de Natanz. (Réd.)

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