Par John Hudson
L’administration Biden a approuvé le transfert de milliers de bombes supplémentaires à Israël le jour même où les frappes aériennes israéliennes à Gaza ont tué sept travailleurs humanitaires de l’organisation caritative World Central Kitchen, ont déclaré trois responsables états-uniens au Washington Post cette semaine, après que l’incident a suscité une condamnation mondiale.
Cette transaction démontre la détermination de l’administration à continuer à fournir des armes létales à Israël, malgré les meurtres très médiatisés de lundi et les appels de plus en plus nombreux à conditionner ce soutien à une plus grande protection des civils dans la zone de guerre. Un citoyen des Etats-Unis figure parmi les tués.
Cette décision jette également un nouvel éclairage sur la déclaration émue du président Biden, qui s’est dit «indigné et déchiré» par cette tragédie et a insisté pour que de tels événements ne se reproduisent plus jamais. «Ils fournissaient de la nourriture à des civils affamés en pleine guerre», a déclaré Joe Biden. «Ils ont été courageux et désintéressés.» La Maison Blanche n’a pas répondu à une demande de commentaire faite par le WP.
Le gouvernement israélien a confirmé avoir effectué la frappe de lundi, mais l’a qualifiée d’«involontaire», précisant que l’armée mènerait une enquête «transparente» et en rendrait les résultats publics.
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Le département d’Etat a approuvé le transfert de plus de 1000 bombes MK82 de 500 livres, de plus de 1000 bombes de petit diamètre et de détonateurs pour les bombes MK80. Des responsables – qui, comme d’autres, ont parlé sous le couvert de l’anonymat pour évoquer les transactions d’armes sensibles – ont déclaré que ces transferts étaient tous issus d’autorisations accordées par le Congrès plusieurs années avant le début des dernières hostilités entre Israël et le Hamas.
Un porte-parole du département d’Etat a confirmé l’approbation et a affirmé qu’elle avait eu lieu quelque temps «avant» que le drone israélien ne frappe le convoi d’aide.
Le gouvernement états-unien est habilité à suspendre un programme d’armement à tout moment avant sa livraison, suspension qui, selon le porte-parole, n’interviendra probablement pas avant 2025 ou plus tard. Dans ce cas, il ne l’a pas fait.
Lorsqu’on lui a demandé pourquoi l’administration Biden n’avait pas au moins suspendu le processus après l’incident ou jusqu’à ce que l’enquête israélienne soit terminée, le porte-parole n’a pas fourni d’autres commentaires.
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Les autorités israéliennes n’ont pas révélé publiquement le type de munition qui a frappé le camion d’aide, mais les bombes de petit diamètre que les Etats-Unis ont fournies à Israël sont «certainement comparables», a déclaré Josh Paul, un ancien expert en armement du département d’Etat qui a démissionné pour protester contre la politique de l’administration à l’égard de la bande de Gaza.
Dans la déclaration qu’il a faite à la suite de l’attaque, Joe Biden a formulé sa critique la plus virulente à ce jour concernant le traitement réservé par Israël aux humanitaires, dont le nombre de victimes est plus élevé que dans tout autre conflit récent (Washington Post, 3 avril 2024, article de Tim Carman et Emily Hell).
«Israël n’a pas fait assez pour protéger les travailleurs humanitaires qui tentent d’apporter aux civils une aide dont ils ont désespérément besoin. Des incidents comme celui d’hier ne devraient tout simplement pas se produire», a déclaré Joe Biden.
Le secrétaire d’Etat Antony Blinken a déclaré que les travailleurs tués, qui comprenaient des personnes originaires d’Australie, de Grande-Bretagne, des territoires palestiniens, de Pologne et une personne ayant la double nationalité états-unienne et canadienne, étaient des «héros». «Ils doivent être protégés. Nous ne devrions pas nous retrouver dans une situation où des personnes qui essaient simplement d’aider leurs semblables courent elles-mêmes un grave danger.»
Certains partisans démocrates de l’administration Biden ont critiqué ces déclarations, estimant qu’elles n’entraînent que peu de changements alors que les actions des Etats-Unis traduisent un soutien inconditionnel à la campagne militaire d’Israël à Gaza.
«Tant qu’il n’y a pas de conséquences concrètes, cette indignation ne sert à rien», a déclaré Ben Rhodes, ancien conseiller en politique étrangère du président Barack Obama, sur X. Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou «ne se soucie manifestement pas de ce que disent les États-Unis, ce qui compte c’est ce qu’ils font», a-t-il ajouté.
Les républicains du Congrès ont largement soutenu les transferts d’armes à Israël et ont défendu ses tactiques et ses méthodes dans le conflit qui dure depuis six mois. L’ancien président Donald Trump, candidat présumé du GOP (Parti républicain) aux élections de cette année, a déclaré que la tuerie perpétrée par le Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre était «l’une des choses les plus tristes que j’aie jamais vues», mais qu’Israël devait mettre fin à la guerre rapidement. «Il faut en finir, il faut en finir», a-t-il déclaré à un journal israélien le mois dernier.
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Jeudi 4 avril, World Central Kitchen a demandé qu’une enquête soit menée par une tierce partie sur les attaques et a exhorté les pays d’origine des travailleurs tués à se joindre à l’organisation caritative pour demander un examen indépendant.
Les frappes ont touché trois des véhicules de l’ONG alors qu’ils circulaient dans la bande de Gaza sur un itinéraire qui avait été coordonné et autorisé par l’armée israélienne, a déclaré l’organisation caritative. Les travailleurs ont été tués peu après avoir supervisé le déchargement de 100 tonnes de nourriture acheminées dans l’enclave par voie maritime.
José Andrés, le célèbre chef qui a fondé la World Central Kitchen, a affirmé qu’Israël avait pris pour cible les humanitaires «systématiquement, voiture par voiture». «Il ne s’agit pas d’un simple cas de malchance où une bombe a été larguée au mauvais endroit», a-t-il déclaré à l’agence de presse Reuters. «Il s’agissait d’un convoi humanitaire bien défini, sur une distance de 1,5 ou 1,8 kilomètre, avec des panneaux sur le toit, avec un logo très visible dont nous sommes évidemment très fiers», a-t-il ajouté. Il est «très clair qui nous sommes et ce que nous faisons».
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Israël a lancé son assaut militaire contre Gaza après que des militants du Hamas ont franchi la frontière le 7 octobre, tuant 1200 personnes et en prenant plus de 250 en otage. L’assaut israélien sur Gaza qui a suivi a tué plus de 33 000 Palestiniens, selon le ministère de la Santé de Gaza, qui ne fait pas de distinction entre les civils et les combattants et affirme que la majorité des morts sont des femmes et des enfants.
Le blocus israélien a créé une pénurie chronique de nourriture, d’eau et de médicaments, alors que le système de santé a été mis hors d’état de fonctionner et que des dizaines d’enfants sont morts de malnutrition et de faim, selon les Nations unies.
Les besoins pressants ont contraint les humanitaires du monde entier à apporter leur aide à l’enclave assiégée, mais les meurtres de lundi obligent les groupes d’aide à réévaluer l’environnement sécuritaire.
Les agences humanitaires de l’ONU ont interrompu leurs opérations nocturnes afin de procéder à une évaluation de la sécurité, a déclaré un porte-parole (Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l’ONU), mercredi 3 avril. Au moins deux autres groupes humanitaires ont également déclaré qu’ils interrompraient leurs opérations à Gaza en raison de problèmes de sécurité pour leur personnel. Selon les Nations unies, environ 200 travailleurs humanitaires ont été tués au cours de la guerre, la plupart d’entre eux étant des Palestiniens.
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Les derniers transferts d’armes représentent de petites fractions, évaluées à des millions de dollars, des ventes de matériel militaire à l’étranger, beaucoup plus importantes, qui ont été approuvées par le Congrès il y a des années. Mais ces dernières n’ont jamais été réalisées dans leur intégralité. L’utilisation d’autorisations de livraison plus anciennes signifie que le département d’Etat n’est pas tenu de fournir une nouvelle notification au Congrès, même si le contexte géopolitique et humanitaire a changé de manière significative depuis que les ventes ont été approuvées.
Interrogé mardi sur le rôle du département d’Etat dans la poursuite des transferts d’armes, Antony Blinken a cité les menaces régionales que l’Iran et le Hezbollah font peser sur Israël, expliquant que les armes «servent à la dissuasion, en essayant d’éviter d’autres conflits. Elles servent à reconstituer les stocks et les approvisionnements.»
Mais les armes livrées par les Etats-Unis sont également utilisées à Gaza, où les services de renseignement des Etats-Unis (WP, 11 mars 2024) et un nombre croissant de démocrates craignent que les groupes extrémistes cherchant à se venger de la politique de Washington ne constituent une menace pour la sécurité des Etats-Unis.
«Chaque moment où cette situation humanitaire cauchemardesque se poursuit à Gaza est un jour où les Etats-Unis sont moins en sécurité, car nous portons une responsabilité mondiale aux côtés d’Israël», a déclaré le sénateur Chris Murphy (démocrate, Connecticut) à la chaîne MSNBC mercredi 3 avril. «Jusqu’à ce que des engagements soient pris pour ouvrir davantage l’accès humanitaire, les Etats-Unis doivent cesser d’envoyer de l’aide militaire», a ajouté ce dernier. «Ce n’est pas seulement parce que nous espérons que cela aura un impact sur la prise de décision en Israël, mais aussi parce que nous pensons que cela nous met à l’abri d’une partie des répercussions qui se produiront au fur et à mesure que le recrutement de terroristes augmentera.» (Article publié par le Washington Post le 4 avril 2024; traduction rédaction A l’Encontre)
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