Etats-Unis. Trump et le jour de terreur

Par Matt Ford

Trump, toujours le showman de la téléréalité, gouverne par le spectacle. Quoi de plus spectaculaire qu’un raid national massif contre les migrants sans-papiers? Mettez de côté la moralité ou l’éthique pour un moment, comme le fait régulièrement le président. Les arrestations prévues dimanche 14 juillet de plus de 2000 familles sont un coup parfait pour sa base alors qu’il se prépare pour sa réélection. Les chaînes «d’information» en continue vont faire parler de cette opération pendant des jours avec des images d’immigrant·e·s arrêtés et d’agents de l’ICE (United States Immigration and Customs Enforcement) frappant aux portes. C’est la publicité de campagne la plus chère de l’histoire américaine.

Une grande partie de la présidence de Trump est nouvelle ou sans précédent, mais rassembler des populations indésirables à cette échelle ne l’est pas; il ne sera pas le premier président américain à tenter d’expulser des immigrants en masse, ni le premier à utiliser des raids coordonnés dans de multiples Etats pour faire son travail. Ce qui distingue Trump ici, ce ne sont pas les méthodes ou les stratégies qu’il utilise, mais l’absence d’objectifs stratégiques à long terme qui les sous-tendent. Des milliers de vies sont sur le point de changer pour que le président puisse entendre ce qu’il a à dire sur Fox News.

Le parallèle historique le plus évident est l’«opération Wetback» [wetback: terme négatif utilisé pour désigner les immigrants, en particulier les Mexicains], le nom donné à la campagne du gouvernement fédéral pour déporter et chasser les immigrants mexicains dans les Etats frontaliers en 1954 et 1955. Les agents de l’immigration ont passé au peigne fin le Sud-Ouest pour rassembler plus d’un million de migrants mexicains dans cette région et les ont «renvoyés» par camion, par train et par bateau, sans procédure régulière. Bien qu’elle ait duré moins d’un an, cette politique a marqué le début de la militarisation de la frontière sud qui se poursuit encore aujourd’hui. Trump lui-même a vanté l’opération comme un modèle pour sa propre approche (dans son style)

«Dwight Eisenhower, un bon président, un grand président, les gens l’aimaient bien», a-t-il déclaré lors d’un débat présidentiel républicain en 2015. «J’aime bien Ike, non? L’expression. J’aime bien Ike. Il a fait sortir un million et demi d’immigrants illégaux de ce pays, les a déplacés juste au-delà de la frontière. Ils sont revenus. Il les a encore déplacés, de l’autre côté de la frontière. Ils sont revenus. Il n’a pas aimé ça. Il les a déplacés loin vers le sud. Ils ne sont jamais revenus. Dwight Eisenhower. Tu ne deviens pas plus gentil, tu ne deviens pas plus amical. Ils ont déplacé un million et demi de personnes. Nous n’avons pas le choix.»

Les prochains raids de Trump seront bien en deçà de l’opération Wetback. On estime à dix millions et demi le nombre d’immigrants sans papiers aux Etats-Unis. La recherche, la détention et l’expulsion de la totalité ou de la plupart d’entre eux relèvent d’un exploit logistique qui dépasse les ressources actuelles du gouvernement fédéral. Et alors que Trump lui-même a dit qu’il en éliminerait le plus grand nombre possible pendant les élections de 2016, dans sa campagne électorale il a affirmé qu’il essaierait plutôt d’en expulser deux ou trois millions. L’administration de George W. Bush, par comparaison, a déporté environ deux millions de personnes pendant toute sa présidence, tandis que Barack Obama a supervisé l’expulsion d’un nombre record de deux millions et demi.

Même l’objectif de rassembler, ce dimanche 14 juillet, 2000 familles est probablement irréalisable. Les fonctionnaires américains de l’immigration ne profitent plus de l’effet de surprise, grâce aux tweets de Trump et aux fuites internes en direction des médias. La présidente (de la Chambre des représentants) Nancy Pelosi a exhorté jeudi les démocrates de la Chambre à informer les sans-papiers de leur circonscription de leur droit de refuser l’entrée chez eux d’agents de l’ICE. Et l’expulsion de ceux qui sont détenus sera toujours difficile. Les avocats spécialisés en droit de l’immigration tenteront de rouvrir leur dossier, ce qui retardera l’expulsion tant que les procédures judiciaires se poursuivront. L’American Civil Liberties Union a intenté une action en justice, jeudi 11 juillet, à New York pour demander à un juge fédéral de bloquer le renvoi des familles requérantes d’asile jusqu’à ce qu’elles aient été entendues.

Rien de tout cela ne devrait diminuer l’immense impact sur ceux et celles pris dans les raids. Alors que l’ICE viserait les nouveaux arrivants aux Etats-Unis, l’agence procède souvent à des arrestations «collatérales» si des agents rencontrent d’autres candidats à l’expulsion en cours de route. Cela peut inclure des amis, des voisins, des collègues de travail et même des membres de la famille. Certains pourraient être envoyés dans le réseau sordide des centres de détention familiale de l’ICE. Le New York Times a rapporté que certains agents de l’ICE ont «exprimé des appréhensions» au sujet de l’arrestation de bébés et de jeunes enfants lors des raids à venir. Cela ne les arrêtera probablement pas, les ordres étant des ordres.»

Compte tenu des erreurs tactiques et de l’effet pratique limité que ces raids auront, pourquoi se produisent-ils? Une partie de la stratégie semble être politique. Après que Trump a annoncé les raids le mois dernier, il les a arrêtés publiquement suite à la prétendue requête de Pelosi, afin que les législateurs puissent faire avancer un projet de loi sur le financement de la surveillance frontalière. Le président justifie souvent ses politiques d’immigration draconiennes en prétendant qu’elles sont nécessaires parce que les démocrates au Congrès ne veulent pas adopter de nouvelles lois ou financer ses plans pour un mur le long de la frontière sud du pays. Ce jiu-jitsu rhétorique est sa façon d’échapper à sa responsabilité pour les abus qui s’y produisent.

Mais il y a peut-être une autre stratégie à l’œuvre. L’administration de Trump prévoit ses raids d’expulsion non pas pour les rendre plus «efficaces», mais pour semer la peur dans les communautés défavorisées et pour signaler à ses partisans qu’il fait exactement cela. Trump s’efforce constamment d’étancher la soif insatiable de sa base pour des politiques plus sévères envers les immigrant·e·s. J’ai déjà écrit sur la façon dont la frontière elle-même, et tous les maux sociaux que Trump lui attribue, agit comme une sorte de baleine blanche pour sa présidence. La série TV Cops (flics) au même titre que le drame des raids à venir de l’ICE est de la viande rouge pour les téléspectateurs de Fox News et les lecteurs de Breitbart (le site d’extrême droite)

Les immigrants en Amérique ont déjà été la cible de sensationnalisme politique. L’exemple le plus connu est sans doute celui des raids Palmer [du nom d’Alexander Mitchell Palmer, procureur général], qui ont eu lieu à l’automne 1919 et au printemps 1920. Ce fut une période de troubles politiques et sociaux intenses. Les tenants de la suprématie blanche avaient tué des dizaines d’Afro-Américains dans des émeutes raciales dans le Sud et le Midwest. Les organisateurs syndicaux avaient mené des grèves dans les industries du charbon et de l’acier. Les chefs d’entreprise et de gouvernement, ainsi qu’une partie de l’opinion publique américaine, craignaient que les attentats anarchistes n’annoncent une révolution comme celles qui ont eu lieu en Allemagne et en Russie. Une bombe postale a même explosé sur le porche du procureur général A. Mitchell Palmer, cet été-là.

Sous la direction de Palmer, le ministère de la Justice lança en novembre 1919 un raid simultané massif contre des communistes présumés, arrêtant des milliers de membres présumés dans plus de douze Etats. La croyance en la cause communiste, et non la participation à un crime présumé, justifiait les arrestations. Bien que le ministère de la Justice ait d’abord proclamé l’idéologie politique des détenus, leur statut d’immigrants a également défini les raids. «C’est le premier grand pas pour débarrasser le pays de ces fauteurs de troubles étrangers», a déclaré le bureau de Palmer au New York Times après la première vague d’arrestations en novembre [des immigrants italiens et juifs d’Europe centrale constituaient la cible principale de cette chasse aux militant·e·s de gauche].

L’influence de Palmer s’est estompée après que ses avertissements d’un soulèvement socialiste en 1920 ne se sont jamais matérialisés, et les fonctionnaires du ministère du Travail ont bloqué certaines des déportations qu’il avait demandées. Cette première frayeur rouge est passée dans la mémoire publique comme une leçon sur les conséquences de la remise de l’appareil gouvernemental aux mains des démagogues. «Le gouvernement, selon Palmer, consiste à devenir aussi frénétique que possible, à confondre ses propres nerfs fougueux avec les résultats obtenus et à essayer de noyer le souvenir d’un échec après l’autre en annonçant la création du suivant», a écrit The New Republic [fondé en novembre 1914] dans un éditorial cette année-là.

Trump n’essaie pas de résoudre un «problème d’immigration». Le président n’a pas la capacité d’expulser toutes les personnes sans papiers du pays ou la plupart d’entre elles, et il n’a pas le désir de normaliser leur statut juridique d’une manière significative. Ses propositions législatives sont trop extrêmes, même pour les membres de son propre parti, alors que ses tactiques de négociation sont au mieux des ultimatums, au pire des prises d’otages. Il s’agit d’une survie politique brute: terroriser ceux que ses partisans détestent, pour qu’il reste celui qu’ils aiment. (Article publié dans The New Republic le 12 juillet 2019; traduction A l’Encontre)

Matt Ford est membre de la rédaction de The New Republic, une publication «progressiste»

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