Etats-Unis. Les travailleurs de GM acceptent un contrat bien qu’il soit peu satisfaisant

Par Chris Brooks

La grève des travailleurs de l’automobile contre General Motors a pris fin ce week-end après six semaines d’organisation de piquets, les travailleurs ayant voté en faveur de la ratification d’une convention collective à laquelle manifestement ils n’adhéraient que de manière partielle, mais qui a été acceptée par un vote favorable de 57% d’entre eux [voir les articles consacrés à cette grève publiés sur ce site en date du 27 septembre et du 18 octobre].

«Je ne pense pas que nous en tirerons davantage», a déclaré Nelson Worley, qui travaillera depuis 42 ans chez GM en mars 2020. Bien qu’il ait qualifié l’accord proposé de «mitigé au mieux», il avait l’intention de voter oui, inquiet de la «perception par l’opinion publique» qui jugerait les travailleurs de GM comme «une bande de pleurnicheurs».

Près d’un baril brûlé devant l’usine d’assemblage Detroit-Hamtramck, Bruno a dit mercredi qu’il voterait oui parce que «nous n’en tirerons plus rien. C’est dommage qu’on ait dû faire grève pour avoir la même chose qu’avant.»

Bruno, qui ne voulait pas donner son nom de famille, a fait remarquer que l’offre actuelle a été construite sur une base de concessions antérieures du syndicat: «Nous avons accepté des intérimaires dans les contrats précédents, et nous avons réduit le nombre de métiers spécialisés [historiquement mieux payés et mieux protégés] à la mécanique et à l’électricité, et l’idée de deux niveaux de salaires.»

Nelson Worley s’inquiétait de l’avenir du syndicat: «Ils disent “nous les aurons la prochaine fois”, dit-il, mais il n’y aura peut-être pas de prochaine fois. Nous avons perdu 30’000 emplois au cours des 10 dernières années.»

Des profits record et le FBI

Les membres de l’UAW ont dû faire face à une série de possibilités et de défis au début de ces négociations, certains sans précédent, d’autres familiers: plusieurs responsables syndicaux ont déjà été inculpés et le président de l’UAW Gary Jones fait l’objet d’une enquête du FBI pour corruption; les sociétés automobiles ont fait des profits record; le niveau de l’emploi dans le secteur est au plus bas; des usines ont fermé; se profilent déjà des changements dans le secteur, en vue de la production de véhicules électriques.

Lorsque l’UAW s’affronta à General Motors en 1970, alors la plus grande et la plus puissante entreprise industrielle du pays, 470’000 membres du syndicat pouvaient être mobilisés dans des piquets de grève. Après des décennies d’accroissement de la vitesse des chaînes de montage, d’externalisation des emplois, de délocalisation des usines et de diminution de la part de marché, le nombre de syndiqués est tombé à moins de 50’000.

Lors de la grève de 1970, le syndicat a formulé des revendications claires et agressives: un régime de retraite après 30 ans de travail et des augmentations de salaires suivant l’évolution du coût de la vie – et il a gagné. Cette fois, le syndicat était plus vague: «des salaires équitables, la sécurité de l’emploi, notre part des profits, des soins de santé abordables et de qualité, et une voie définie vers le passage à des contrats à durée indéterminée pour les travailleurs temporaires», indiquaient les communiqués de presse de l’UAW. Et les membres n’en ont pas appris plus.

Eléments clés de l’accord

Sécurité d’emploi. Bien que les représentants syndicaux aient parlé de leur désir de ramener la production du Mexique, le contrat est muet à ce sujet, et trois usines américaines et un dépôt de pièces vont fermer.

Bruno s’est moqué des chiffres d’investissement globaux que les journaux de Detroit qualifient de «gagnés» par l’UAW – comme si le contrat contrôlait les décisions d’investissement. «7,7 milliards de dollars? Ils doivent le faire pour suivre le rythme de la technologie», dit-il.

GM affirme que ses investissements aboutiront à «conserver ou créer» 9000 emplois. Mais GM a régulièrement bafoué ses dires sur l’investissement et la sécurité d’emploi. Lorsque, dans les années 1980, ses déclarations excluaient les fermetures d’usines, GM a plutôt «mis au ralenti» les usines. Le terme le plus récent est celui d’unités productives «non attribuées» [à des investissements] – comme si tout ce qui était nécessaire pour vaincre l’ex-puissant UAW était un thésaurus (lexique). En fait, le contrat stipule que l’UAW retirera sa plainte contre GM pour la fermeture de son usine de Lordstown, dans l’Ohio. La plupart des travailleurs de Lordstown ont été mutés ailleurs, mais les autres ont voté non à 412 contre 61.

Statuts salariaux. Le contrat maintient tous les niveaux du contrat précédent et peut-être plus – au moins 10. Les travailleurs de Lordstown peuvent recevoir le prix de consolation d’une usine de batteries électriques ouverte dans leur région, mais au salaire de 17 dollars l’heure.

L’un des niveaux est en voie d’élimination: le premier niveau [le statut salarial le plus élevé]. Ainsi, les travailleurs de niveau 2 (que GM appelle poliment «en progression») – ceux embauchés depuis 2007 – atteindront finalement le même salaire que les travailleurs de niveau 1 à la fin de ce contrat – un résultat positif –, mais ils n’auront toujours ni pension ni soins médicaux pour les retraités. Certains intérimaires actuels, qui représentent maintenant environ 7% de la main-d’œuvre, auront un contrat permanent de deuxième niveau, mais d’autres temporaires seront embauchés pour les remplacer.

Le processus de conversion au statut de salariés fixe comporte des échappatoires; les travailleurs ne lui font pas confiance. «GM sait comment contourner ce problème», a déclaré un travailleur à GM depuis quatre ans qui s’est identifié comme «un membre du syndicat inquiet». Il a dit qu’il votait non parce que le contrat «n’est pas égal pour tout le monde».

Sauver une entreprise. Il n’a pas été impressionné non plus par le fait que GM affirme qu’elle construira une usine de camions électriques à Detroit-Hamtramck, qui produit maintenant les modèles Chevrolet Impala et Cadillac. Bien que les grévistes aient été assez heureux d’apprendre ce projet, ils étaient unanimes à dire que le camion électrique avait été planifié depuis longtemps et qu’il n’était pas le fruit d’âpres négociations.

Comment les membres ont voté

Outre les travailleurs de Lordstown et ceux qui estimaient qu’ils n’avaient tout simplement pas gagné assez pour justifier six semaines de grève, les membres de ce qu’on pourrait appeler les troisième, quatrième et cinquième statuts salariaux ont voté contre l’accord à une large majorité. Ils travaillent dans des usines produisant quatre types différents de composants et dans des entrepôts de pièces après-vente. Leur salaire atteindra 22,50 dollars et 25 dollars, respectivement, après une période de huit ans d’expérience. Cela représente 70% ou 81% de la rémunération maximale de 32,32 dollars des autres travailleurs. Les nouveaux intérimaires gagneront 16,67 dollars.

Les travailleurs des métiers spécialisés (mécanique et électricité) ont voté oui dans des pourcentages plus élevés que les travailleurs de la production, ce qui va à l’encontre de leur tendance habituelle. (En fait, les gens de métier qualifiés de GM ont voté contre le contrat de 2015, mais l’UAW International l’a quand même fait passer.) Ils ont obtenu une garantie de 400 nouveaux apprentis et un meilleur système pour les choisir, qui avait été précédemment sous-traité à une tierce partie.

Jessie Kelly, apprentie faisant des moules [par exemple pour l’injection de plastique] au GM Tech Center près de Detroit, a déclaré que, contrairement au passé, GM ne sera pas en mesure de réduire le nombre d’apprentis promis lorsqu’un ouvrier qualifié qui a été embauché de force dans la production reprendra son métier dans le secteur de la fabrication des moules.

Elle a averti, cependant, que «le plus gros problème des métiers spécialisés est que 60% de l’entreprise sera touchée lorsque nous passerons aux moteurs électriques. Ce que les métiers spécialisés ont obtenu, c’est du vent», dit-elle. «J’aimerais qu’on obtienne plus pour des choses qui concerneraient l’ensemble des travailleurs.»

Maintenant, quoi?

Que signifient les résultats du vote pour l’avenir du syndicat? Le meilleur résultat serait pour les membres de se souvenir de ce que les permanents ont dit, aux travailleurs, sur les piquets: qu’ils entraient en grève pour l’égalité [or, les statuts spécifiques ont été maintenus et même multipliés]. Et d’utiliser l’impulsion d’une activité syndicale de grève pour s’organiser dans leurs sections locales afin d’élire des dirigeants qui appliqueront ce contrat et surtout se battront pour en obtenir un meilleur.

Il est également possible que le résultat de ces six semaines de grève soit plus décourageant, c’est-à-dire que les membres en arrivent à la conclusion qu’on ne peut pas gagner grand-chose même quand on se bat.

Jessie Kelly espère que la grève a stimulé la popularité du syndicat en général et qu’elle pourra aider l’UAW à organiser les usines automobiles appartenant à des investisseurs étrangers, principalement dans le sud des Etats-Unis [où les firmes ont implanté des entreprises étant donné l’extrême faiblesse syndicale], où les campagnes de syndicalisation ont échoué trois fois au cours des cinq dernières années [le syndicat, dans diverses entreprises, n’a pas obtenu la majorité de votes lui permettant d’être reconnu et de fonctionner légalement]. «Les gens ont le droit d’être contrariés par ce contrat, dit Jessie Kelly, parce qu’il ne correspond pas à ce que nous essayions d’atteindre. Il est complètement insuffisant. Mais quand nous avons fait la grève, les gens ont été attirés par ça. Les gens ont vu que le syndicat ne se contentait pas de percevoir des cotisations et d’être corrompus. C’était la réputation de ma génération. Quand ils voient que le syndicat est ce qu’il est censé être, ils s’y intéressent.» (Article publié sur le site de Labor Notes, le 25 octobre 2019; traduction rédaction A l’Encontre)

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