Venezuela. Les scénarios des affrontements au Venezuela

Nicolàs Maduro et le bras armé de Diosdado Cabello

Par Ociel Ali Lopez

Maduro reprendra le pouvoir avec une opposition fragmentée et une situation économique et politique hors de tout contrôle. Les tensions géopolitiques aggravent la situation précaire du pays. Des voix dissidentes se font entendre dans le camp chaviste. Le 10 janvier 2011, lorsque Maduro revêtira à nouveau la présidence, le nouveau scénario de confrontation sera évident.

Nicolás Maduro prendra possession de son deuxième mandat présidentiel dans une situation paradoxale. Il a été réélu, mais sans concurrence effective sur la scène électorale et politique. Son parti gère 20 des 24 gouvernorats, 310 des 335 mairies et l’ensemble de l’Assemblée nationale constituante [issue d’un décret et qui annule le pouvoir de l’Assemblée législative dans laquelle son parti-Etat était minoritaire]. En outre, le plan de Relance économique annoncé quelques semaines après son triomphe électoral du 20 mai 2010 a été anéanti et donc reste sans résultat tangible d’amélioration.

En effet, l’hyperinflation, la chute du PIB et d’autres indicateurs économiques montrent qu’après quatre mois d’application d’une mythique «Relance» la dégradation du pays ne semble pas s’être arrêtée. Maduro revient donc au gouvernement sans grand-chose à proposer, puisque son principal engagement électoral, qui consistait en un programme de Relance économique, a échoué entre les élections du 20 mai 2018 et l’inauguration de son deuxième mandat présidentiel, le 10 janvier 2019. Il n’est donc pas en mesure de démontrer qu’il sera en mesure de contrôler la situation économique chaotique au cours des six prochaines années.

Les projets économiques de Maduro sont épuisés, mais l’opposition semble écrasée et extrêmement atomisée. Elle n’a pas la force d’appeler à une mobilisation. Même son discours concernant l’aide humanitaire s’est écroulé. Elle n’a plus qu’à attendre un «coup de forces» [intérieur ou extérieur], un scénario qui la divise encore plus. Les sanctions économiques affectent également les entrepreneurs qui la soutiennent. La situation de l’opposition étant ce qu’elle est, le départ de Maduro – que certains porte-parole des gouvernements voisins considèrent comme étant «imminent» [ce qui s’est entendu lors de la réunion de l’OEA] – ne pourra se produire que dans le cas d’une intervention militaire interne ou externe.

La montée des gouvernements de droite dans la région, désormais pilotée par le Brésil, a entraîné une hausse de la tonalité des déclarations. Non seulement ils qualifient le gouvernement de Maduro d’être «illégitime», mais ils évoquent publiquement quelques méthodes d’intervention – y compris par la voie militaire. La Colombie et le Brésil sont-ils donc prêts à participer à une guerre contre le Venezuela?

La tension s’est encore accrue suite aux changements stratégiques russes, qui, en décembre dernier, ont envoyé pendant quelques jours les bombardiers stratégiques TU-160 en visite officielle au Venezuela; visite qui a été précédée par l’octroi de crédits de l’ordre de 6 milliards de dollars. La Chine avait déjà accordé des prêts d’un montant de 5 milliards, à investir exclusivement dans l’industrie pétrolière vénézuélienne, dont la production continue de baisser malgré la hausse des prix du pétrole [et dont la Chine espère tirer profit].

Face au positionnement de la Russie et de la Chine et la visite du président turc Recep Tayyip Erdogan à Caracas, la position des Etats-Unis n’est pas clairement visible. Les sanctions de Donald Trump contre les responsables vénézuéliens ont fini par les rapprocher encore davantage du pouvoir. En outre, les sanctions qui ont été lancées contre l’activité économique vénézuélienne dans le pétrole, l’or et les monnaies cryptées, affectent l’ensemble du pays, mais au lieu d’affaiblir Maduro, elles donnent plutôt raison à sa logique politique.

10 janvier: un nouvel événement

Le 20 décembre, le Groupe de Lima s’est réuni à Bogota. Il était composé de vice-ministres et de coordinateurs nationaux d’Argentine, du Brésil, du Canada, du Chili, de Colombie, du Costa Rica, du Guatemala, du Guyana, du Honduras, de Jamaïque, du Mexique, du Panama, du Paraguay, du Pérou et de Sainte Lucie. A l’exception du Mexique, ces pays ont assuré qu’ils ne reconnaîtraient pas l’investiture de Maduro pour son nouveau mandat puisqu’il ne répondait pas aux «normes démocratiques minimales». Ils n’ont toutefois pas précisé s’ils mèneraient l’une ou l’autre des actions conjointes qui ont fait l’objet de rumeurs, telle que le retrait des ambassadeurs ou l’application de sanctions économiques.

Plus précisément, le vice-président élu du Brésil, le général Hamilton Mourão, qui dirigeait autrefois l’ambassade militaire au Venezuela, a prédit un coup d’État dans lequel «les Nations Unies devront intervenir par le biais de troupes de la paix. (…) Voilà le rôle du Brésil : diriger les troupes de la paix». Nous verrons s’il maintiendra cette ligne dure après son entrée en fonction commencée le 1er janvier [qui est sur le plan de ladite «sécurité» déjà marquée par des affrontements dans l’Etat du Céara, dont la capitale est Fortaleza, région dans laquelle se combinent des affrontements entre gangs qui testent le nouveau pouvoir de Bolsonaro et des mesures répressives étatiques contre les forces du MST- Mouvement des Travailleurs sans terre].

Il convient de noter que la position de l’Union européenne (UE) commence à se différencier de celle de ces pays. Après une année de sanctions, l’organisation du Vieux Continent gère la création d’un «groupe de contact international» pour faciliter le dialogue, impulsé par l’Espagne, dont le Chancelier a déclaré que ce groupe devait faire preuve de «bonne volonté», afin de démontrer qu’il veut obtenir un autre type de relations avec Maduro, qui ne passe pas par une politique de sanctions.

Comme nous pouvons le voir, les paradoxes du Venezuela n’affectent pas uniquement Maduro, mais le monde entier. C’est probablement ce qui a amené les États-Unis à ne pas précipiter une décision finale concernant le 10 janvier.

Face à cette complexité géopolitique et au remaniement des cartes des puissances mondiales au sujet du Venezuela, on peut se demander dans quelle mesure le monde se préoccupera de la légitimité de Maduro et s’il ne donnera pas la priorité à d’autres intérêts. Faut-il s’attendre à un affaiblissement de la démocratie et à une augmentation de la crise sociale face à la pression internationale?

Encore six ans avec Maduro (2019-2025)

Le Groupe de Lima et les États-Unis ne reconnaissent pas l’élection de Maduro, élection à laquelle la plupart des membres de l’opposition n’ont pas participé, à l’exception de quelques leaders de l’opposition (Henry Falcón, membre de la coalition d’opposition Mesa de la Unidad Democrática et Javier Bertucci, du parti évangélique Esperanza por el Cambio). La vérité est que, malgré les obstacles techniques et judiciaires dictés par les institutions de l’Etat vénézuélien – entraves telles que la disqualification des candidats et des partis politiques – la décision de ne pas participer aux élections était un choix politique et stratégique des partis et des dirigeants de l’opposition en l’absence d’une autre ligne d’action. Cette décision a conduit à l’affaiblissement et à une division entre ceux qui ne voulaient pas laisser la voie ouverte à Maduro sur le plan institutionnel et ceux qui refusaient de participer à des élections jusqu’à changement total de l’institution et que Maduro quitte le pouvoir, ce qui semble très éloigné de la réalité.

Pour Maduro, la situation politique est très claire. Il vient de remporter une élection présidentielle avec 67% des voix et sera en poste pour les six prochaines années. Ce qui ne semble pas clair, en revanche, c’est comment on peut gouverner un pays dont économie est totalement hors de contrôle et sous le coup une crise sociale croissante.

L’opposition ne voit pas de solution alternative et affronte un nouveau test décisif le 5 janvier, lorsqu’elle devra décider – par consensus selon des accords préétablis depuis 2015 – de l’orientation de l’Assemblée nationale qu’elle contrôle par une solide majorité. Cette année, c’est au parti le plus radical, Volonté Populaire, qu’il appartiendrait de présider l’Assemblée: outre le fait que ses principaux dirigeants sont en prison, ce parti s’oppose au dialogue ou à tout rapprochement avec le gouvernement et qualifie de «capitaliste» et de «collaborationniste» toute personne qui tente de dialoguer ou de participer à des élections. Le reste de l’opposition estime que si ce parti dirigeait l’Assemblée nationale, cela ne ferait qu’engendrer une confrontation encore plus importante et finirait par unifier les forces chavistes. Si elle n’arrive pas à s’entendre avant le 5 janvier, l’opposition vénézuélienne finirait par se dissoudre.

[L’Assemblée nationale, le 5 janvier a déclaré «illégitime», en tant «qu’usurpateur», le président Maduro, avant la prise de son mandat le 10 janvier. Le 5 janvier: «Deux des dirigeants les plus radicaux, Antonio Ledezma et María Corina Machado, ont exigé que l’Assemblée législative installe un “gouvernement de transition” ce samedi pour combler le vide qu’ils disent que Maduro va laisser derrière lui. Ils demandent l’appui des forces armées.» Mais tout cela semble hors de la réalité des rapports des forces, comme le souligne le site d’information Infobae en date du 5 janvier 2019.]

La décision des Etats-Unis d’emprisonner Alejandro Andrade, un important militaire chaviste qui avait accepté le rôle de «témoin protégé», envoie un message direct aux militaires vénézuéliens, qui peuvent désormais suspecter l’existence d’un pacte secret avec les Etats-Unis pour trouver une solution de facto. Cela ne fait que durcir le commandement militaire chaviste et consolider sa loyauté à l’égard du président Maduro.

Peut-il y avoir une autre sortie pour Maduro?

Alors que l’opposition est pratiquement inexistante et qu’il n’existe pas d’orientation politique pratique effective de la part de l’administration des Etats-Unis et de leurs alliés dans la région pour renverser Maduro, le seul scénario plausible est sa perpétuation jusqu’à la fin de son mandat en 2025. Cela à moins que le chavisme ­– en tant que force populaire et militaire – ne se divise ou se dresse contre lui. Ce scénario est peu probable en raison du contrôle interne maintenu par Maduro et par son principal allié, Diosdado Cabello [le militaire], président de l’Assemblée nationale constituante et homme fort qui contrôle le parti au pouvoir et les Forces armées.

Cependant, depuis le triomphe de Maduro en mai de cette année, de nombreuses voix se sont élevées contre la ligne officielle. Des ministres, des partis alliés, des secteurs sociaux comprenant des quartiers entiers ainsi que des secteurs paysans se sont soulevés et mis en avant différentes revendications. En fait, plusieurs d’entre eux ont connu des purges internes. Les éléments plus politisés ont abandonné une ligne de confrontation et sont restés sur le terrain de la «critique obéissante», mais cela génère beaucoup de débats et d’expectatives.

Par contre, dans les secteurs populaires où le chavisme l’a emporté, les manifestations pour l’eau, le gaz domestique, l’alimentation et les transports se sont multipliées ces dernières semaines. Ces protestations se déroulent de manière non coordonnée mais deviennent progressivement plus intenses. Certaines d’entre elles ont été réprimées par les forces de l’ordre.

Il est peu probable que ces escarmouches se terminent par un soulèvement majeur dans les mois à venir, surtout face au 10 janvier (date à laquelle le chavisme deviendra encore plus unifié), mais il est probable que chavisme ne réussira pas à maintenir l’unité jusqu’à la fin du septennat et que le mécontentement des secteurs populaires s’aggravera contre la forme de gouvernement du nouvel establishment, qui a été perturbé par de nombreux cas de corruption, de mauvaise gestion des ressources et la chute de la productivité [ou plus exactement une productivité en panne complète qui n’est pas le résultat d’une politique écologique] dans la fameuse industrie pétrolière.

Rien de tout cela ne constitue une justification suffisante pour décréter l’illégitimité de Maduro. D’abord, parce que le décret d’illégitimité venant des pays voisins et des Etats-Unis ne semble pas ébranler le gouvernement en tant que tel et pourrait même le renforcer. Mais aussi parce que ce type de scandale n’existe pas seulement au Venezuela, mais aussi dans d’autres pays de la région, sans pour autant que des groupes de pays ne s’entendent pour déclarer leur illégitimité. Imaginons que le péronisme [le kirchnérisme dans la dernière période] ou le Parti des travailleurs (PT) n’aient pas participé aux élections dans leurs pays respectifs: pourrait-on déclarer l’illégitimité des gouvernements issus de ce type d’élections auxquelles l’une des principales forces ne participe pas? Cela constituerait-il une raison impérieuse pour intervenir militairement dans un pays?

Le plus inquiétant est que la consolidation de l’affrontement géopolitique entre la Chine, la Russie et les Etats-Unis fait du Venezuela un pays où la légitimité des décisions du gouvernement, la crise sociale et la démocratie elle-même sont des considérations secondaires par rapport aux pressions internationales qu’il subit. On verra ce qui se passera dans les mois à venir. (Article publié dans la revue Nueva Sociedad, en fin décembre 2018; traduction et édition A l’Encontre)

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PS. Le président vénézuélien, Nicolas Maduro, a été investi, jeudi 10 janvier 2019, pour un deuxième mandat de six ans.Le successeur d’Hugo Chávez a remporté en mai dernier des élections qui ont été remises en question faute de garanties démocratiques et d’observateurs indépendants. Les forces d’opposition majoritaires ont refusé de participer, provoquant une abstention historique de plus de 54%. Le président, entré en fonction en avril 2013 dans la foulée de la disparition de Chávez, a recherché la légitimité face aux pressions accrues et à la détérioration des droits. En bref, commencer un nouveau cycle. Le 10 janvier, le début de cette étape a été formalisé. Il commence précisément par une anomalie, reflet de ce qu’est le Venezuela aujourd’hui.

En effet Maduro a prêté serment devant la Cour suprême de justice (TSJ) plutôt que devant l’Assemblée nationale, comme le prévoit la Constitution. La raison en est que le parlement majoritaire de l’opposition, élu en 2015, est déclaré coupable «d’outrage». Il n’existe plus pour le gouvernement Maduro. Ce même tribunal l’a démis de ses fonctions et en juillet 2017, après trois mois de protestations qui ont fait de nombreux morts, il a été procédé à l’élection d’une Assemblée constituante nationale. Dans la pratique, il s’agit d’un organe législatif – présidé par le numéro deux du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), le militaire Diosdado Cabollo – au service de l’exécutif.

Le Venezuela est plongé dans une catastrophe économique sans précédent où les problèmes de pénurie ont été aggravés par une hyperinflation exorbitante – le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une hausse des prix de 1’800’000% en deux ans – et une dépendance des classes populaires à l’égard des aides gouvernementales. Ce sont là quelques-unes des causes d’un exode qui, selon les Nations Unies, s’est accéléré au cours des derniers mois et s’élève maintenant à trois millions de migrants, dont plus d’un million se sont installés en Colombie voisine.

La décomposition du régime bolivien dans toutes ses dimensions suscite les offensives de l’impérialisme états-unien et de ses alliés juniors de la région (Groupe de Lima). La riposte de Maduro fut de présenter lors de son investiture ses alliés «démocratiques» en présentant le texte d’un accord: la Turquie d’Edogan, la Russie de Poutine, Cuba de Miguel Diaz-Canel et la Bolivie de Morales. En outre, la Chine de Xi Jinping a acquis des droits d’exploitation massifs dans l’Orénoque pour divers minerais; et elle est déjà présente dans la captation de ressources pétrolières. Un des thèmes centraux du discours de Maduro le 10 janvier: «nous allons bâtir une démocratie de type nouveau». Or, la conquête d’une démocratie qui intégrerait les promesses de Chavez ne peut s’instaurer qu’avec une libre activité sociale et politique des secteurs sociaux et productifs du pays et non par l’hégémonie partito-militaro-étatique du madurisme étayé sur un PSUV contrôlé de A à Z. (Rédaction A l’Encontre)

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