Par Pablo Stefanoni
La grève qui a commencé le 10 mai 2010, avec une marche sur La Paz représente le «plus grand mouvement» depuis l’élection – en décembre 2 009 – d’Evo Morales à la présidence, pour la seconde fois. Son mandat doit prendre fin en 2015. Evo Morales insiste sur le fait que le salaire a augmenté de plus de 45% au cours des quatre années précédentes. Cette grève semble être restée limitée, du moins jusqu’en date du 13 février 2010 et donc être un échec. Les principales critiques au gouvernement, issues du mouvement populaire, portent plus sur la façon dont Evo Morales a mis fin, avec la manière forte et policière, à la coupure de route à Carnavari, un bourg subtropical au nord-est de La Paz et qui se trouve dans une région ayant voté à 90% pour Evo. (Réd.)
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Le vice-président bolivien Alvaro García Linera a accusé la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) d’être «contre-révolutionnaire». Cette organisation faîtière, fort affaiblie, a été mise sous pression par des syndicats d’entreprises. Elle a déclaré une grève générale indéfinie depuis lundi 10 mai 2010. Cette mesure a été prise pour exprimer l’opposition à une augmentation salariale limitée à 5% accordée par le gouvernement aux travailleurs du public et du privé, exception faite des militaires et des policiers qui ne verront leur salaire augmenter que de 3%. La COB réclamait 12% [ce qui traduit un radicalisme rhétorique].
Avec tout cela, l’effet réel de la démonstration de force est douteux et le 9 mai 2010 des négociations avec le gouvernement ont commencé: la COB est loin d’être la «glorieuse» organisation ouvrière qui défilait fusil en main dans les années 1950, celle qui pouvait arrêter le pays d’un bout à l’autre dans les années 1980, et son habituel discours «trotskysant radical» paraît un peu vieilli. La grève générale du mardi 4 mai dernier a eu un impact très limité, malgré le fait qu’un groupe d’ouvriers industriels ait essayé de s’attaquer violemment au Ministère du Travail. Ils accusent le chef de la COB, Pedro Montes, de s’être vendu au Gouvernement.
Cependant, la décision syndicale a modifié les sentiments dans les sphères du pouvoir. Ce dernier doit faire face à des revendications sociales croissantes, avec, notamment, une grève de la faim menée par des épouses de policiers grugés et de dirigeants syndicaux d’entreprises. Il y a également un conflit, à l’origine peu important, dans les Yungas (au nord-est du siège du Gouvernement: La Paz) autour du lieu d’installation d’une entreprise d’Etat fabricant des jus d’agrumes. Ce mouvement a pris de l’ampleur suite à la passivité des autorités. Il a abouti à un conflit qui a mis sur pied de guerre des paysans de deux communautés et provoquer un blocus de douze jours qui a isolé toute la région. Jusqu’à ce que, le vendredi 7 mai 2010, le Gouvernement décide de mettre fin, avec force, à la coupure de la route déclenchant ainsi un véritable soulèvement qui a provoqué de nombreux blessés et la mort d’un étudiant, [de deux étudiants en réalité].
García Linera a dit ne pas douter du fait «que derrière la grève, il puisse y avoir des fonctionnaires de l’Ambassade des Etats-Unis qui, puisqu’ils ne sont pas arrivés à leurs fins avec le coup d’Etat contre le président Evo, le référendum révocatoire [de 2008] et diverses tentatives d’assassinat, cherchent maintenant à affaiblir le pays depuis l’intérieur, utilisant des revendications ouvrières légitimes afin d’obtenir un résultat politique contre-révolutionnaire». Le vice-président bolivien a rappelé que les grèves de la COB ont eu raison du gouvernement de gauche d’Hernán Siles Zuazo [président de 1956 à 1960 et de 1980 à 1985] dans les années 1980, ce qui a ouvert la porte à la droite dans un contexte infernal d’hyperinflation.
Ce fantôme n’est pas mort. Le ministre [secrétaire général] de la Présidence, Óscar Coca, a affirmé que «le grand risque est que se produise un processus inflationniste si l’on ne considère pas de manière adéquate la base productive et l’augmentation de la masse salariale». De son côté, García Linares a insisté sur le fait que les bonus sociaux mis en place par Evo Morales étaient des salaires indirects et que pour pouvoir redistribuer plus, il fallait créer plus de richesses. «Etre un gouvernement de travailleurs ne signifie pas être un gouvernement démagogue», a-t-il fait remarquer.
Selon le Centre d’Etudes pour le Développement du Travail et de l’Agriculture: «en 2009, 31% des travailleurs gagnaient moins que le salaire minimum et 60% moins de deux salaires minimaux, pas même l’équivalent du coût du panier alimentaire de base». Certains secteurs s’interrogent donc sur l’achat prochain d’un avion présidentiel français [Evo Morales voyage dans un avion ancien datant de 1975 et envisage d’acheter un Falcon produit par Dassault] et d’armes russes pour un montant de plus de 150 millions de dollars.
Alors que des ouvriers et des enseignants considèrent l’augmentation de 5% insuffisante, les policiers en tenue demandent eux aussi que l’on reconsidère leurs 3%. Mais les mesures de pression prises par leurs épouses – puisqu’eux-mêmes n’ont pas le droit de faire grève – ont reçu une réponse surprenante de la part du vice-ministre de l’Intérieur et ex-député du MAS [Mouvement vers le Socialisme], Gustavo Torrico. Il a demandé aux policiers de vivre de «pain et de café» s’ils ne recevaient pas leur salaire. Il a dit que lui-même avait recours à cette méthode lorsqu’il ne disposait pas de revenus suffisants. (Traduction A l’Encontre)
* Pablo Stefanoni est directeur de l’édition bolivienne du Monde Diplomatique et collaborateur du quotidien argentin Clarín.
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