Par Fernanda Paixão
Sept femmes sur dix productrices de biens alimentaires ont accès à des terres pour les produire, mais seules trois d’entre elles possèdent des titres de propriété sur les champs et les terres où elles travaillent. Ce fait a été révélé dans le rapport «Elles nourrissent le monde» publié le lundi 6 décembre et élaboré par le média féministe LatFem et l’organisation internationale We Effect.
L’enquête aborde les impacts de l’inégalité sur les femmes paysannes, indigènes et afro-descendantes en Amérique latine dans des domaines tels que l’accès à la terre, l’impact de la pandémie de Covid-19, les droits à l’alimentation et la défense des terres dans la région la plus dangereuse au monde pour les activistes environnementaux, selon Global Witness. Les pays analysés dans l’enquête sont la Bolivie, la Colombie, le Guatemala, le Salvador et le Honduras.
Selon la Commission interaméricaine des femmes (CIM) de l’Organisation des Etats américains (OEA), les femmes représentent 50% de la main-d’œuvre formelle engagée dans la production alimentaire dans le monde. Cependant, ce sont elles qui ont le moins de droits sur les terres où elles produisent, comme le révèle le rapport «Elles nourrissent le monde».
Bien qu’elles garantissent l’alimentation de leurs familles et de leurs communautés, la grande majorité des productrices qui accèdent à la terre n’ont pas de droits sur celle-ci.
«Désormais, la femme qui devient propriétaire de sa terre doit être veuve, divorcée ou séparée», explique l’une des personnes interrogées, Ana Rosalía, du Comité d’unité paysanne (CUC) au Guatemala. «C’est le seul moyen pour une femme de prendre possession de sa terre.»
La plupart acquièrent le droit par héritage – lorsqu’elles deviennent veuves ou orphelines – sur des parcelles de terre pour la production. C’est le cas de 38% des personnes interrogées en Bolivie, 24% au Guatemala, 23% au Salvador, 16% en Colombie et 14% au Honduras. Chez les afro-descendants, les registres sont pratiquement inexistants. Dans l’enquête, seules huit femmes de ce groupe apparaissent comme propriétaires – et d’une superficie de moins d’un quart d’hectare.
L’enquête souligne le fait que la structure patriarcale qui infériorise le rôle des femmes est également reproduite dans les bois, les forêts et les champs, au-delà des quatre murs de la réalité domestique urbaine. «Leur travail et leurs activités quotidiennes, comme une réplique de ce qui se passe dans l’univers du care, a historiquement été invisible ou naturalisé comme faisant partie d’un “doit être”.»
Il n’est pas surprenant que les femmes et les jeunes filles soient plus contraintes au travail forcé, comme l’ont récemment révélé des rapporteurs indépendants de renom pour le Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
Le droit à l’alimentation et l’impact de la pandémie
Selon le rapport, 57% des femmes rencontrent des difficultés pour accéder à la nourriture en raison de la crise sanitaire. Ces données sont associées à une augmentation de la pauvreté à des niveaux jamais vus depuis 20 ans dans la région. Selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), en 2020, l’extrême pauvreté touchait 12,5% de la population en Amérique latine et dans les Caraïbes, et la pauvreté frappait 34%. Cela représente un total de 209 millions de personnes, soit 22 millions de plus qu’en 2019.
Face à la difficulté de se nourrir, la plupart des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête mentionnée ont déclaré avoir résolu le problème au sein de leur communauté, en échangeant des aliments et en se soutenant mutuellement dans des réseaux coopératifs. Seuls 7% ont déclaré avoir demandé et reçu une aide du gouvernement, et 17% n’ont pas encore pu résoudre le problème du manque de nourriture.
La Bolivie est le pays où ce problème est le plus rapporté par les femmes paysannes (22%), suivie par le Salvador (21%), la Colombie (20%), le Guatemala (19%) et le Honduras (18%).
A cet égard, l’étude conclut que la pandémie renforce les carences du système alimentaire prédominant, qui produit suffisamment de nourriture pour toute la population mondiale, tout en maintenant plus de 800 millions de personnes dans des degrés d’insécurité alimentaires dans le monde.
En outre, de nombreuses productrices doivent chercher à produire sur des terres peu propices à la culture de denrées alimentaires, sur des terres de mauvaise qualité, soit pour nourrir leur famille (57%), soit pour la vente (36%). 73% des femmes interrogées ont accès à moins d’un hectare pour produire et 26% produisent sur moins d’un quart d’hectare – bien moins qu’une petite exploitation qui, selon la Banque mondiale, fait deux hectares. Seuls 20% ont accès à entre 1 et 5 hectares et 2% à plus de 20 hectares.
Un autre facteur important pris en compte dans cette recherche était le rôle joué par des femmes issues des communautés indigènes et quilombolas [communautés noires fondées par des esclaves marrons – qui ont échappé à leur propriétaire] en tant que gardiennes des semences traditionnelles dites créoles [contrôlées par les productrices]. En plus de servir à la subsistance, la culture alimentaire ainsi que la conservation et la transmission des connaissances depuis des générations ont été la seule pratique capable de protéger les variétés de semences indigènes dans les sociétés dominées par l’agro-industrie et les semences transgéniques et de garantir la souveraineté alimentaire de ces communautés.
«Pour que nous ayons la souveraineté alimentaire, nous avons besoin d’une réforme agraire», a déclaré Yasmín López, coordinatrice générale du Conseil pour le développement intégral des femmes paysannes (Codimca) au Honduras. «Il y a six ans, nos organisations paysannes ont présenté un projet de loi de réforme agraire, intégrant une équité de genre, pour la souveraineté alimentaire et le développement rural. Cette loi propose des modalités pour créer des moyens de subsistance pour les paysans, pour établir des marchés locaux et des marchés artisanaux, et pour mettre en avant le rôle que les femmes ont historiquement joué dans la production alimentaire.»
Lutte à haut risque
Outre l’inégalité entre les sexes à laquelle sont confrontées les femmes, la défense des terres et des biens communs est particulièrement dangereuse en Amérique latine et dans les Caraïbes. Si 30% des femmes interrogées ont déclaré avoir subi des violences ou des menaces pour le rôle qu’elles jouent dans leur communauté, 58% n’ont pas déposé plainte pour les persécutions subies et 83% de celles qui l’ont fait ont déclaré ne pas avoir eu de réponse des autorités.
La Colombie – le pays où, en 2020, ont été tués le plus de militants écologistes au monde, selon Global Witness – est en tête de liste des femmes qui ont déclaré avoir subi des menaces pour le rôle qu’elles jouent dans leur communauté, soit 60% des interrogées. Ensuite, la même chose a été signalée au Guatemala (29%), au Honduras (27%), en Bolivie (26%) et au Salvador (8%).
Selon les auteurs et autrices, l’enquête révèle que l’accès et le contrôle de la terre sont l’un des problèmes centraux des femmes, ajouté au manque de politiques publiques et face à l’absence de priorité accordée à cette question par les Etats. En conclusion, il est affirmé: «Que les femmes paysannes, rurales, indigènes, autochtones et afro-descendantes aient accès à la terre et la contrôlent est une condition fondamentale de leur autonomisation économique, de leur autonomie et de leur droit à une alimentation équitable, et contribue à réduire les inégalités entre les femmes et les hommes.» (Article publié par Brasil de Fato, le 6 décembre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)
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