Pérou. Une intervention policière dans l’Université San Marcos: une action plus vue depuis la dictature d’Alberto Fujimori

La police avec un engin blindé entre dans l’Université San Marcos

Par Carlos Noriega (Lima)

Dimanche soir 22 janvier, le ministère public a ordonné la libération de 192 manifestant·e·s et étudiant·e·s arrêtés samedi à l’Universidad Nacional Mayor de San Marcos [à Lima]. L’un d’entre eux a été détenu pour avoir été destinataire, selon les autorités, d’un acte d’accusation. Parmi les détenus se trouvait une fillette de huit ans, qui avait été emmenée au poste de police avec sa mère. Au moment de la mise sous presse, les détenus n’avaient pas encore été libérés. Ils sont détenus dans les locaux de la police, une partie dans ceux de la direction de l’antiterrorisme et un autre auprès de la direction de la criminalistique.

La Coordination nationale des droits de l’homme (CNDDHH) et l’Institut de défense juridique (IDL) avaient présenté une pétition d’habeas corpus demandant la libération des 200 personnes qui ont été détenues samedi lors d’une opération de police dénoncée comme illégale. L’habeas corpus alléguait que des droits constitutionnels avaient été violés et que les détentions étaient illégales. Les détenus, qui ont été traités comme de dangereux criminels lors de l’opération de police à l’université [en Amérique latine, ces dernières jouissent d’un statut d’autonomie, la police habituellement ne peut y entrer], auraient été maltraités, menacés, auraient reçu des insultes racistes, auraient été battus et harcelés.

Intervention illégale à l’université

Les images de chars défonçant les portes de la plus ancienne et de la plus grande université du pays, et de centaines de policiers pénétrant violemment dans le centre d’études pour procéder à des arrestations massives, ont ravivé les souvenirs de sombres périodes autoritaires. Une intervention policière dans une université comme celle de ce samedi à San Marcos n’a pas été vue depuis la dictature d’Alberto Fujimori dans les années 1990. Un pas de plus dans l’avancée autoritaire d’un gouvernement comme celui de Dina Boluarte, allié à l’extrême droite, et qui est soutenu par une répression qui a déjà fait 46 morts sous les balles de l’armée et de la police.

La plupart des personnes arrêtées à San Marcos étaient des manifestant·e·s venus de l’intérieur du pays pour protester dans la capitale en demandant la démission de Boluarte et qui logeaient dans l’école. Les étudiant·e·s qui se trouvaient avec les manifestant·e·s de l’intérieur du pays au moment de l’opération de police ont également été arrêtés. Cette action policière avait clairement pour objectif d’intimider les manifestant·e·s anti-gouvernementaux de l’intérieur du pays qui s’étaient rassemblés à Lima [et dont une partie avait trouvé les locaux universitaires pour se loger momentanément], de les démobiliser, de les pousser à retourner dans leurs régions. Mais les protestations anti-gouvernementales continuent.

Protestations et barrages routiers

Des manifestations et des blocages de routes ont lieu quotidiennement dans différentes régions du pays. Ce dimanche 22 janvier, des affrontements ont eu lieu entre la police et des manifestant·e·s dans la région d’Arequipa, lorsqu’un poste de police a été attaqué dans la zone de La Joya. Les mobilisations se sont répétées à Lima. Elles y sont quotidiennes depuis jeudi, lorsque la dite «prise de Lima» a commencé par une mobilisation anti-gouvernementale massive dans les rues du centre de la capitale – qui a été interrompue par la répression – avec la participation active de délégations des provinces. Celles-ci ont été attaquées lors de l’opération policière à l’Université San Marcos. Ce dimanche, les manifestations anti-gouvernementales se sont répétées dans différentes rues de Lima. Au moment de la mise sous presse, elles se déroulaient sans incident notable.

Tôt le matin, un groupe important s’est rassemblé devant le poste de police où sont détenus les prisonniers du San Marcos, pour demander leur libération. Ils sont restés là pendant plusieurs heures. Des manifestations de célébration ont eu lieu lorsqu’ils ont appris la décision du ministère public de les libérer, qu’ils espéraient voir exécutée.

«Cette opération de police à San Marcos a été illégale et arbitraire. Elle a commencé sans la présence des procureurs, ce qui a ouvert un scénario de violations des droits fondamentaux des détenus. Ils ont été jetés à plat ventre sur le sol, menottés, maltraités, insultés, harcelés, certains battus, privés de l’assistance en temps voulu d’avocats, et montrés à la télévision comme des criminels. Il s’agit d’une violation très grave de la légalité, quelque chose que nous n’avions vu que sous l’ère Fujimori [1990-2000]», a déclaré Carlos Rivera, avocat de l’Institut de défense juridique (IDL).

Carols Rivera a souligné que l’état d’urgence, utilisé par les autorités comme excuse pour justifier l’intervention de la police, ne donne pas le feu vert à ce type d’action. «Il s’agit d’une action irrationnelle et disproportionnée qui enfreint même ce qu’autorise l’état d’urgence.» L’avocat a annoncé de dépôt de plaintes légales contre le ministre de l’Intérieur, Vicente Romero, et les chefs de la police responsables de cette opération policière et de ces arrestations. «Nous allons déposer les plaintes pénales et constitutionnelles correspondantes. Nous ne pouvons pas permettre que les humiliations à la dignité et à la liberté des personnes passent inaperçues.»

Une «marche nationale» avec le mot d’ordre «Dina démissionne maintenant» a été convoquée pour mardi 24 janvier. La plate-forme des protestations exige également la démission du président du Congrès, le général d’extrême droite José Williams, au passé chargé d’accusations de violations des droits de l’homme, qui devrait [selon les normes constitutionnelles] remplacer Dina Boluarte si elle démissionnait – ce qui n’est pas accepté par la mobilisation populaire. Les autres revendications qui stimulent les protestations – que la répression brutale n’a pas réussi à arrêter – sont les suivantes: la condamnation des responsables des morts par la répression, des élections anticipées cette année, un référendum pour une Assemblée constituante et, dans une moindre mesure, la libération de Pedro Castillo. (Article publié par quotidien argentin Pagina/12, le 23 janvier 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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