Poursuivant sa politique consistant à museler toute expression critique vis-à-vis du gouvernement Ortega-Murillo, une majorité de députés à l’Assemblée nationale du Nicaragua a voté le 12 décembre, le retrait de la personnalité juridique du Centre Nicaraguayen des Droits humains (CENIDH). Le procédé expéditif adopté, qui de surcroît viole les règles administratives en vigueur dans le pays, constitue un pas de plus dans le verrouillage des libertés démocratiques et révèle, s’il en était encore besoin, le glissement accéléré, au cours des 8 derniers mois, vers un état policier.
Cette mesure a également touché l’organisation politique «Hagamos Democracia» (et avant l’ONG «Centro de Información y Servicios de Asesoría en Salud» dirigée par Ana Quirós, citoyenne nicaraguayenne d’origine costaricienne expulsée du pays il y a peu, ainsi que l’Instituto de Estudios Estratégicos y Políticas Públicas – IEEP). Elle s’inscrit dans le prolongement de mesures visant à criminaliser systématiquement les formes d’opposition collectives ou individuelles: 1° tout d’abord, la loi anti-terroriste, adoptée au mois de juillet 2018, qui sanctionne par de lourdes peines de prison le soutien et/ou le financement de toute manifestation (considérée arbitrairement comme une tentative de déstabilisation du régime) ; 2° ensuite l’obligation de demander l’autorisation de manifester, sachant que le gouvernement refuse systématiquement les demandes déposées par la société civile. Le CENIDH était justement à l’origine d’une demande d’autorisation, le 10 décembre, en vue de commémorer, comme dans de nombreux pays, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (adoptée en 1948).
Créé au début des années 1990, autour de madame Vilma Nuñez de Escorcia, ex-vice-présidente de la Cour suprême de justice durant le gouvernement sandiniste des années 1980, le CENIDH est le principal organisme de défense des droits humains au Nicaragua. Il a accompagné de nombreuses victimes d’atteintes aux droits humains, dans les villes, comme dans les campagnes, quelle que soit leur sensibilité politique et face à tous les gouvernements qui se sont succédé au Nicaragua ces 25 dernières années.
Les fallacieuses raisons administratives invoquées contre le CENIDH ainsi que l’accusation de «délinquante» portée contre madame Nuñez de Escorcia, présidente de l’organisation aujourd’hui âgée de plus de 80 ans, pourraient prêter à sourire si elles ne s’inscrivaient dans un contexte de répression généralisé, en vertu duquel plus de 500 personnes sont actuellement emprisonnées pour des raisons politiques.
Rappelons également que les deux autres organisations nationales de défense des droits humains: l’Association Nicaraguayenne Pro droits Humains (ANPDH) et la Commission Permanente des Droits Humains (CPDH) ont aussi fait l’objet de mesures de rétorsion. Ainsi, en raison des menaces, la CPDH a été obligée de fermer temporairement ses locaux, tandis qu’un des représentants de l’ANPDH, témoin des exactions commises par la police et les forces para-policières dans la ville de Masaya au cours du mois de juillet, a été contraint de fuir le pays pour protéger sa vie.
Par ailleurs, les diverses organisations internationales – émanant de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ou de l’Organisation des États Américains (OEA) – se voient systématiquement refuser l’accès aux informations et/ou locaux (prisons, tribunaux, morgues, hôpitaux) qui permettraient de vérifier la situation des personnes décédées, blessées, emprisonnées ou disparues lors des manifestations qui ont éclaté à la mi-avril et de la répression qui s’en est ensuivie.
Finalement, le 13 décembre, l’acharnement des parlementaires fidèles au régime s’est poursuivi contre cinq autres ONG: la Fondación Instituto de Liderazgo de las Segovias (ILLS); l’Institut para el desarrollo de la Democracia (IPADE) – fondée par l’ex-ministre de la réforme agraire Jaime Wheelock et dirigeant du FSLN – la Fondación del Río; le Centro de investigación de la Comunicación (CINCO) – cofondé par Carlos Fernando Chamorro, ex-directeur du quotidien Barricada et actuel directeur du journal en ligne Confidencial – et la Fondación Popolna, dirigée par la Commandante de la révolution sandiniste Monica Baltodano et Julio Lopez {ex-responsable des relations extérieures du FSLN). Toutes ces structures se sont vues également privées de leur existence légale.
Cette décision a été immédiatement suivie d’effet: à l’aube du 14 décembre, la police s’est introduite par la force dans les locaux de plusieurs des organisations sanctionnées ainsi que dans ceux de Confidencial et a procédé au saccage des installations, dans une évidente volonté d’intimider et leur retirer le peu de ressources dont ces organisations et ces médias disposent pour faire entendre leur voix.
Les organisations signataires dénoncent vigoureusement cette nouvelle atteinte aux libertés collectives et individuelles qui a pour seul objectif de laisser les citoyens sans défense face aux abus répétés du pouvoir en place. C’est pourquoi, elles exigent:
- Le rétablissement du statut légal pour toutes les organisations et l’arrêt de la stigmatisation des défenseur(e)s des droits humains, des journalistes et des citoyens critiques envers le régime.
- L’abrogation de la loi anti-terroriste; la garantie du droit de manifester; la libération de tout(e)s les prisonnier(e)s politiques; la fin de l’impunité pour les responsables des crimes commis.
Paris, le 14 décembre 2018
Premiers signataires:
Collectif de solidarité avec le peuple du Nicaragua (CSPN)
Centre Tricontinental (Belgique)
Collectif Guatemala
Autoconvocad@s solidari@s
Comité Catholique contre la Faim et pour le développement – CCFD –Terre solidaire
Alerte Honduras
Comité contre la répression au Nicaragua (Lausanne, Suisse)
France Amérique Latine (FAL)
Union syndicale Solidaires
Confédération paysanne (France)
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Dans les divers communiqués reçus, les para-policiers agresseurs – qui agissaient sur ordre de Daniel Ortega – ont dérobé le matériel informatique, les téléphones, etc., y compris les véhicules privés et/ou appartenant aux organismes mentionnés. Du point de vue juridique la suppression de la «personnalité juridique» n’implique en aucune mesure la possibilité de s’approprier des biens des ONG et autres organisations soumises aux décisions d’une Assemblée. (Réd. A l’Encontre)
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