Par Eric Nepomuceno
Ces derniers jours, la Police fédérale brésilienne a barré la route à au moins 200 Haïtiens qui tentaient d’entrer au Brésil par la frontière péruvienne, dans l’Etat de l’Acre, en Amazonie. Tous les jours, ils sont rejoints par 70 ou 80 personnes qui ont effectué le long, coûteux et dangereux voyage depuis Haïti en passant par la République dominicaine et ensuite par Panama et le Pérou, avant de tenter la traversée de la frontière brésilienne. Au Brésil, des offres d’emploi «sûres» les attendent, et surtout du rêve et l’espoir d’échapper à un pays détruit, ruiné et misérable.
Au moins quatre mille Haïtiens sont déjà arrivés et ont trouvé un travail. Ceux qui sont arrivés ces derniers jours à Iñapari, au Pérou, n’ont pas eu la même chance: ils n’auraient qu’un pont à franchir pour atteindre Assis Brasil, ville du sud de l’Etat de l’Acre; mais pour ce faire ils devront trouver des solutions légales pour se procurer un visa avant de traverser la frontière. Ils n’ont pas beaucoup de temps. Le Pérou vient de décider que dans quinze jours il exigera un visa d’entrée pour les Haïtiens. Ces derniers resteront donc dans une situation incertaine en attendant que l’on décide de leur sort. Sans argent, sans assistance, sans lieu où se loger. Chacun d’entre eux qui arrive au Brésil a dû payer – Dieu sait comment, car le revenu moyen d’un Haïtien est de deux dollars par jour – entre 2600 et 3000 dollars à un passeur déguisé en agent de voyages.
Personne ne sait précisément comment a débuté ce mouvement migratoire, mais actuellement un peu plus de 4000 Haïtiens se trouvent au Brésil, presque tous travaillant légalement. L’arrivée de nouveaux groupes constitue un problème juridique et légal assez compliqué. En effet, lorsqu’ils entrent sur le territoire brésilien, les Haïtiens – «mal conseillés» par les passeurs – demandent l’asile. Et il est vrai que ce ne sont pas des réfugiés politiques: ce sont des réfugiés économiques qui ont fui le malheur, des réfugiés de la vie. Si le Brésil respectait au pied de la lettre la loi et les accords internationaux, il devrait déporter tous ces demandeurs d’asile. [Pour rappel, l’armée brésilienne est responsable du «maintien de l’ordre» en Haïti.]
Pour tenter de contrôler l’arrivée de Haïtiens, le gouvernement de Dilmar Rousseff (PT) a annoncé des mesures spécifiques. Sous prétexte de raisons humanitaires, il a décidé d’attribuer, par l’intermédiaire de son ambassade à Port-au-Prince, cent visas mensuels à des Haïtiens qui voudraient se rendre au Brésil. Ce qui représenterait 1200 par année pour une période de cinq ans. La loi brésilienne assure le même droit à leurs parents, épouses et enfants [regroupement familial]. Ici, au Brésil, ils trouveront du travail dans la construction, dans l’entretien des routes, dans les divers travaux en préparation du Mundial de 2014. Certains pourraient même devenir des professeurs de français.
En même temps, les déclarations de fonctionnaires du gouvernement laissent clairement entendre qu’il y a deux types d’accueil pour ceux qui voient le Brésil comme une sorte de terre promise.
Entre janvier et septembre 2011, l’administration brésilienne a délivré 51’353 autorisations de travail au Brésil pour des immigré·e·s. Dans certains secteurs du gouvernement existe la ferme intention d’impulser une politique plus ample d’immigration, destinée à attirer de plus en plus d’immigré·e·s, mais uniquement ceux répondant à certains critères [«immigration choisie»]. Selon les déclarations de certains fonctionnaires, il existe un «volume d’accueil» à hauteur de 400’000 «immigrants qualifiés» qui sont disposés à s’installer au Brésil pour y trouver ce que la crise économique leur a dérobé dans leurs pays d’origine.
Par «immigrants qualifiés» il faut comprendre des professionnels ayant une formation universitaire. Autrement dit des immigrés de luxe, de préférence européens. Les Haïtiens sont, eux, considérés – bien que personne ne le dise à voix haute – comme étant des travailleurs «disqualifiés», puisqu’il s’agit de travailleurs humbles qui fuient la faim, la misère et le désespoir.
Le secrétariat des Affaires stratégiques de la présidence annonce avec une satisfaction évidente qu’il est en train d’effectuer les dernières retouches à une nouvelle politique nationale d’immigration, destinée exclusivement à des professionnels étrangers «hautement qualifiés». Lorsqu’elle sera appliquée, cette politique prévoit clairement de laisser les Haïtiens faire la queue tout en déroulant le tapis rouge pour les Européens.
Les fonctionnaires de ce secrétariat vantent sans état d’âme le fait que le Brésil est actuellement une «île de prospérité» et expliquent qu’il y a «beaucoup de gens de bonne qualité» qui veulent y venir. Au cours des quatre dernières années, alors que l’Espagne plonge dans un gouffre économique et social, le nombre de visas de travail et de résidence accordés à des Espagnols a augmenté de 45%. Les entreprises brésiliennes les reçoivent avec de bons salaires et des offres alléchantes.
Depuis 2008, 87’000 Espagnols ont bénéficié de la générosité brésilienne. Pourtant personne à Brasilia ne parle d’une «vague d’immigrants» espagnols, alors que c’est le cas lorsqu’on se réfère aux 4000 Haïtiens qui ont fui leur pays transformé en ruines depuis le tremblement de terre de 2010.
Dans les déclarations officielles on souligne les «raisons humanitaires» et la «générosité brésilienne» à l’égard des Haïtiens, mais personne n’admet que la politique prévue pour l’immigration sélective est beaucoup plus généreuse… pour les «hautement qualifiés». (Traduction A l’Encontre)
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Article publié dans le quotidien argentin Pagina 12 le 22 janvier 2012
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