Brésil: en pleine crise financière, le gouvernement se fait plus néolibéral

Dilma Rousseff et Guido Mantega

Par Paulo Passarinho

Le mois de juillet 2012 devrait être considéré par la présidente Dilma Rousseff comme un révélateur des limitations absurdes de son gouvernement, quand l’on considère toutes les décisions erronées que celle-ci a prises depuis le début de son mandat.

Le début de la gestion du gouvernement actuel a été marqué par la crainte d’une nette recrudescence de l’inflation, ce qui l’a conduit à décider, au travers de la Banque Centrale, une élévation systématique du taux Selic [taux d’intérêt fixé par la Banque centrale du Brésil pour ajouter les liquidités dans le cadre d’une politique de ciblage de l’inflation], cela en cinq fois consécutives.
Le ministre des Finances [Guido Mantega du Parti des Travailleurs] déclarait alors que son objectif était de produire une décélération dans le rythme de l’activité économique permettant de faire baisser la pression inflationniste qui, semblait-il, représentait un danger tendanciel à combattre. L’élévation du taux de change du real face au dollar représentait également une préoccupation explicite de l’équipe économique, spécialement en raison des effets négatifs produits sur les résultats de la balance commerciale [car affaiblissant la compétitivité à l’exportation].

Pourtant, dès le milieu de l’année passée, la perception des gestionnaires de la politique économique allait se modifier, la décélération économique se faisant sentir de manière plus intense que ce qui pouvait être considéré comme désirable et l’aggravation de la crise européenne venant se rajouter aux préoccupations du gouvernement. Au troisième trimestre 2011, les mesures de hausse des taux d’intérêts ont fini par produire un essoufflement économique et les mesures d’injection de liquidités – adoptées par les banques centrales nord-américaine et européenne – ont maintenu à un niveau élevé les flux de capitaux spéculatifs [qui cherchent des rendements élevés: taux intérêt en comparaison de l’UE et des Etats-Unis, plus valorisation du real] vers des pays comme le Brésil, contribuant ainsi à la hausse indésirable du real.

Dans ce contexte, l’année 2012 a commencé avec une Dilma Rousseff très soucieuse d’éviter la misérable croissance du PIB observée en 2011 (2,7%), une croissance inférieure à la moyenne mondiale et la plus faible même parmi les pays d’Amérique du Sud. Pour le gouvernement, l’idée était de chercher à assurer une croissance du PIB à hauteur de 4,5%. En ce qui concerne le change, des mesures cherchant à empêcher des opérations de prêts et de financements entre des filiales de transnationales et leur maison mère ont contribué à ralentir le flux d’entrée de capitaux spéculatifs dans le pays. De plus, le fait que des étrangers sortent leurs capitaux du pays pour les investir sur les marchés financiers et ceux des matières premières a fini par produire une relative dévalorisation du real.

De fait, du point de vue du rythme de l’activité économique, les résultats ne pourraient être plus décevants. Depuis le début de l’année 2012, bien que le gouvernement et les institutions liées au marché aient effectué des réévaluations successives, il existe aujourd’hui un consensus sur le fait que dans la meilleure des hypothèses, l’économie brésilienne devrait croître de 2% au maximum. Les diverses mesures qui ont été annoncées, toujours sur le thème d’exonération fiscale et du subsides accordés à des secteurs d’entrepreneurs, paraissent ne pas produire l’effet escompté. Le capital privé hésite à faire de nouveaux investissements et, du côté de la consommation, les réponses se montrent timides en raison du fort endettement des familles qui ont contracté toutes ces dettes au cours des années passées de politique d’abaissement des taux d’intérêts.

Une alternative importante qui pourrait être choisie par le gouvernement serait d’opérer un «écart» dans ce qu’on appelle les dépenses publiques, autant en termes de nouveaux investissements que d’augmentation des coûts de fonctionnement, en donnant notamment une réponse positive aux revendications salariales des fonctionnaires. Pour cela, la diminution des objectifs du solde budgétaire primaire [endettement avant le paiement des intérêts de la dette] pourrait ouvrir une marge de manœuvre importante pour le gouvernement. Mais ce type de mesure est quasiment interdit dans le cadre de la logique du gouvernement.

Afin de rompre de manière conséquente et durable avec la véritable dictature que représente la fixation du solde primaire du budget, il faudrait impérativement un vaste changement dans l’ensemble de la politique macro-économique. Mécanismes de contrôle des flux de change, plus grande efficacité en ce qui concerne les impôts payés par les banques et changement substantiel du modèle d’administration de la dette publique, avec une forte réduction des taux d’intérêts des titres publics qui irait bien plus loin que la réduction du taux Selic. Ce serait là des mesures essentielles.

Il faudrait également accorder une forte attention à nos comptes extérieurs, fortement mis sous pression par le poste des services [invisibles liés au commerce: assurances, transports; redevances diverses sur les brevets, etc.] et par la réduction du déficit commercial, ce qui, année après année, augmente le déficit des transactions courantes du pays. Le contrôle des envois des profits vers l’étranger et l’accroissement de la compétitivité de nos exportations au moyen d’un taux de change dévalorisé seraient également des mesures importantes pour une transition ayant pour objectif une nouvelle réalité économique, favorable au capital productif, à la création d’emplois de qualité et à l’augmentation des dépenses publiques.

La plus grande difficulté pour un changement de cette nature ne se trouve pas dans la sphère technique. Les obstacles sont de nature politique. L’adoption d’une politique économique alternative impliquerait de rompre avec le pacte de pouvoir hégémonique construit depuis le milieu des années 1990 qui trouve ses actionnaires et bénéficiaires principaux dans les banques et les transnationales. Mais il faudrait beaucoup de courage politique pour affronter les actuels seigneurs du pouvoir.

Comme tout l’indique, le gouvernement de Dilma se trouve pris dans un piège dicté par ses options de gouvernabilité héritées du gouvernement Lula. Ayant renoncé à jouer le rôle protagoniste qui devrait guider l’Etat dans un pays dominé par le capital financier, le gouvernement va répondre à la recrudescence des difficultés actuelles en faisant de plus grandes concessions encore au capital privé. Des changements dans la législation du travail sont à nouveau à l’ordre du jour et, sous prétexte d’investissements, ce qui s’annonce est un ensemble de mesures visant à livrer les secteurs d’infrastructure à l’initiative privée.

Aéroports, voies ferrées, autoroutes et ports devront être concédés à des opérateurs privés, même étrangers, au travers de partenariats public-privé où curieusement, comme cela se produit depuis le début de la tragédie des privatisations, la toujours présente Banque Nationale de Développement Economique et Social (BNDES) sera là pour financer ces opérations.

Ainsi, en pleine aggravation de la crise du capital financier dans le monde développé et en pleine difficulté où se trouve l’Etat brésilien pour faire face à ses obligations constitutionnelles à l’égard de notre peuple (en termes d’éducation, de santé, de logement populaire et de transports publics), nous continuons à approfondir les principes et les politiques dictés par le néolibéralisme à un pays périphérique.

Le prix de cette option, le fait de condamner le Brésil à une condition de subalterne subissant des pressions «privatistes» et étrangères est un acte grave. Nous maintenons ainsi notre triste trajectoire de renonciation à la souveraineté, à l’autodétermination et à l’utilisation de notre propre intelligence, tout cela en raison de l’incapacité et de la lâcheté des élites économiques et politiques. (Traduction A l’Encontre)

Paulo Passarinho est économiste et présentateur du programme de radio Faixa Livre. Article publié 1er août 2012 dans Correio da Cidadania.

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