Par Dario Pignotti
Bolsonaro sait ce qui l’attend s’il casse l’omerta autour de Marielle. Trois parapoliciers, ou «miliciens», sont en prison pour leur participation présumée à l’assassinat de la conseillère municipale Marielle Franco, qui a eu lieu il y a deux ans et trois mois (14 mars 2018) à Rio de Janeiro. Deux des suspects, Ronnie Lessa et Elcio de Queiroz, ont été retrouvés ce jour-là sur le site où résidait l’actuel président, quelques heures avant l’attentat. Ce jour-là, Bolsonaro était à Brasilia, mais l’épisode a alimenté les soupçons. Le troisième accusé est Maxwell Simoes, arrêté début juin, accusé d’avoir jeté ses armes dans la mer.
Dans la nuit du 14 mars 2018, les tueurs ont intercepté la voiture dans laquelle Marielle Franco circulait et lui ont tiré quatre balles dans la tête. Son chauffeur, Anderson Gomes, est mort en même temps que la jeune leader du Parti Socialisme et Liberté (PSOL), qui s’était révélée comme une militante dans les favelas de Rio de Janeiro.
Un quatrième parapolicier, Fabricio Queiroz, un ami de Bolsonaro depuis l’époque où les deux hommes étaient membres de l’armée dans les années 1980, a été détenu pendant près de deux semaines dans une cellule isolée de la prison de Bangu, dans l’ouest de Rio de Janeiro. Il a gardé le silence. Personne ne sait s’il est prêt à respecter l’«omerta» qui lui est demandée au Palais du Planalto (résidence présidentielle de Bolsonaro).
Pour certains, c’est un «soldat» bolsonariste incapable de balancer son patron. Pour d’autres, la loyauté de Queiroz n’est pas certifiée car il craint d’être exécuté dans un incendie d’archives comme cela est arrivé à d’autres miliciens qui sont tombés en disgrâce. De plus, on ne peut exclure qu’il soit prêt à profiter de la récompense pour information afin de garantir la sécurité de sa femme, qui est en fuite.
On dit que Fabricio Queiroz sait tout sur Bolsonaro et sa famille. Bien qu’il ne soit pas accusé de l’attentat qui a coûté la vie à Marielle Franco, il pourrait avoir des informations sur cette affaire et sur d’autres crimes qui pourraient faire trembler les fines colonnes du palais présidentiel de Brasilia.
L’ancienne amie de Marielle, Monica Benicio, a parlé à Página/12 du réseau qui relie le dirigeant d’extrême droite à la «milice» homologuée, qui se sont transformés de tueurs à gages – et ce bond a beaucoup à voir avec l’arrivée de Bolsonaro au gouvernement – en un facteur de pouvoir ancré dans l’État. Ils ont leurs propres députés, de l’argent, des armes et des réseaux de renseignement. Un système utilisé par l’ex-capitaine président. C’est pourquoi ni les miliciens ni le dirigeant ne bénéficieraient de la clarification du crime.
Il arrive que lorsque ces contrats armés sont rompus, les conséquences sont imprévisibles, et l’affaire Marielle Franco ne peut rester impunie, car elle a pris une dimension politique et une projection internationale considérables. «Bolsonaro ne s’engage pas à résoudre le crime (…) il veut l’effacer (…) il a tout fait pour entraver les enquêtes en faisant pression sur la police fédérale. Pourquoi veut-il avoir le contrôle de l’enquête? Qui veut-il couvrir», demande l’ancien collègue de Marielle.
Monica Benicio est aussi catégorique dans ses convictions que mesurée dans l’analyse de l’évolution d’une affaire qui «prend trop de temps à être éclaircie». Elle évite de porter des accusations sans preuves. «Bolsonaro n’a jamais caché sa relation avec les milices, et les milices sont impliquées dans l’assassinat, mais il n’y a aucun élément permettant de dire que le président a participé à l’assassinat. Au moins pour l’instant, les preuves de la complicité de Bolsonaro n’ont pas été apportées. Nous ne pouvons pas être légers, nous devons attendre les résultats des enquêtes.»
«C’était un crime politique parfaitement planifié, je pense qu’il y a des éléments qui permettent de supposer que les miliciens emprisonnés étaient les auteurs matériels et les complices de l’assassinat. Nous espérons que d’ici la fin de l’année, des progrès importants auront été réalisés. Ces derniers mois, des mesures positives ont été prises, comme l’arrestation de Maxwell Simoes, qui pourrait nous permettre de trouver les armes de l’attentat. Son arrestation a également empêché que l’enquête passe de la juridiction de Rio à la juridiction fédérale comme le voulait Bolsonaro», explique l’architecte Monica Benicio.
«Celui qui a planifié un tel meurtre est quelqu’un qui doit être imprégné de la phobie LGBT, du racisme, de la misogynie, j’imagine que les auteurs pensaient que Marielle allait être oubliée comme tant de femmes noires qui ont été assassinées et ce ne fut pas le cas. Les répercussions que ce meurtre a eues ont dû les surprendre. Ces répercussions sont nourries par la pulsion de vie qu’elle avait. Il y a beaucoup de gens qui ont été touchés par sa mort et grâce à cette affaire la dimension politique s’est affirmée. Cela nous donne la force de continuer à nous battre.»
François au téléphone
«Je voudrais que le pape me reçoive, en mars j’ai entamé des conversations pour demander une rencontre avec lui, c’est quelqu’un qui représente beaucoup pour la démocratie brésilienne», dit Monica Benicio qui a rencontré les Mères et Grand-mères de la Place de Mai, en Argentine. En Suisse elle a été reçue par la haut-commissaire aux Droits de l’Homme, Michelle Bachelet.
En août 2018, le pape François s’est entretenu au Vatican avec la mère de Marielle, Marinete da Silva. «Cette réunion était très importante (…) pour donner une visibilité internationale à notre lutte pour la vérité», dit Monica Benicio. «D’un point de vue politique, j’ai beaucoup de sympathie pour le pape, même si je ne suis pas une catholique fervente, j’ai beaucoup de respect pour lui, pour ses positions, sa position est très importante.»
Jorge Mario Bergoglio (le pape) a gagné l’affection des Brésiliens lors de sa visite à Rio de Janeiro en juillet 2013, lorsqu’il a visité une favela et célébré une messe pour quelque deux millions de jeunes sur un autel installé devant les plages de Copacabana. Le premier contact direct du pape avec le meurtre a eu lieu en mars 2018 lorsque la fille de Marielle, la jeune Luyara, lui a écrit pour lui demander de prier pour la mémoire de sa mère. Quelques jours plus tard, le chef du Vatican a téléphoné à Marinete da Silva, qui a été stupéfaite d’apprendre qui était à l’autre bout du fil. «La mère de Marielle est très catholique, tout comme Marielle qui a été catéchiste pendant de nombreuses années dans l’église des Navigateurs de la favela da Maré», dit Monica Benicio. Et elle se souvient qu’elle a rencontré sa compagne à l’église des Navigateurs, dans la favela de Maré, au nord de Rio, où Marielle Franco a fait du travail social pendant des années. (Article publié dans le quotidien argentin Pagina 12, le 30 juin 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
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