Algérie. 16e vendredi de mobilisation: rejet de la feuille de route de Bensalah

Par Abdelghani Aichoun

Les Algériens sont sortis en masse, vendredi 7 juin, pour la 16e fois de suite, à travers plusieurs villes du pays pour réclamer le «départ du système». A Alger, la mobilisation reste intacte.

Même s’il n’y avait pas les foules impressionnantes des 1er et 8 mars derniers par exemple, il n’en demeure pas moins que le nombre de manifestants reste très élevé. Peut-être même plus que lors des quatre vendredis du mois de Ramadhan.

En effet, hier, les places de la Grande-Poste et Audin ainsi que plusieurs boulevards, Didouche et Amirouche, entre autres, étaient noirs de monde.

Comme ce 16e vendredi intervient après l’annonce, le 2 juin, par le Conseil constitutionnel de l’«impossibilité» d’organiser l’élection présidentielle du 4 juillet prochain, et surtout quelques heures après le discours du chef de l’Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, au cours duquel il a réitéré son appel au dialogue, les Algériens ont profité de cette occasion pour exprimer leur rejet de tout dialogue ou toute élection avec les «symboles de la bande».

Les manifestants ne veulent toujours pas d’un processus électoral préparé et mené par Bensalah et le Premier ministre, Noureddine Bedoui. «Hier (jeudi), lorsqu’ils ont annoncé qu’il allait y avoir un discours de Bensalah à 20h, on s’attendait à ce qu’il y ait du nouveau. Au moins le départ de Bedoui. Finalement, rien n’a changé», nous a déclaré un manifestant. «Makanch intikhabat ya el issabat» (Pas d’élection avec les bandes), «Makanch mouchawarat maa el issabat» (Pas de dialogues avec les bandes) ou bien «Bensalah dégage» ont, entre autres, été scandés par les manifestants de la capitale, apportant ainsi leur réponse à la proposition du chef de l’Etat. «Pas de dialogue avec les imposteurs», lit-on par ailleurs sur une grande banderole brandie par des jeunes. Dans son discours d’avant-hier, le chef de l’Etat par intérim a invité les partis politiques, les personnalités et la société civile à dialoguer. Bensalah a pour l’occasion annoncée qu’il resterait en poste jusqu’à l’élection du futur Président.

Or, le considérant comme l’un des symboles de l’ancien régime, les Algériens réclament unanimement son départ, tout comme celui de Bedoui, depuis plusieurs semaines déjà. Mais le pouvoir en place ne semble pas pour l’instant prêt à s’écarter de sa feuille de route. Ce qui est le cas aussi de la population, qui n’est pas disposée à faire cette concession, à savoir aller vers un processus électoral sous Bensalah et Bedoui.

Bien évidemment, les manifestants ont également scandé leurs slogans habituels, tels que «Klitou lebled ya sarakin» (Vous avez ruiné le pays, voleurs), «Gaïd Salah dégage!», «Djeich chaab khawa khawa, Gaïd Salah maa el khawana !» (Armée peuple, frères, Gaïd Salah avec les traîtres), «Ya hna ya ntouma maranach habssin» (C’est nous ou c’est vous, on ne s’arrêtera pas), «Dawla madania machi askaria» (Etat civil et non militaire) et «Echaab yourid itnahaw gaa» (Le peuple veut qu’ils partent tous). En somme, les Algériens ont réexprimé, durant ce 16e vendredi, leurs slogans phares de rejet du système, tout en profitant de l’occasion pour réagir au dernier discours du chef de l’Etat. 

Une mobilisation toujours intacte

Pour un premier vendredi après le mois de Ramadhan, durant lequel, faut-il le rappeler, les citoyens et ciytoennes sont sortis en masse, la mobilisation donne l’air de repartir de plus belle, et il est fort à parier qu’elle sera plus importante mardi, avec la manifestation des étudiants, et vendredi prochain. Ceci sachant que les autorités ont procédé, hier encore, au «bouclage» de la capitale, avec l’installation de barrages routiers filtrant l’accès à Alger, notamment de son côté est.

De plus, le stationnement sur plusieurs axes de la capitale est devenu plus compliqué. «J’ai l’habitude de me stationner du côté de la Pêcherie. Aujourd’hui, des policiers étaient postés sur place et nous ont interdit de garer nos voitures», nous a affirmé un manifestant. Tout est apparemment fait pour dissuader les citoyens de venir manifester.

Par ailleurs, les services de sécurité, mobilisés pour la circonstance, ont interpellé plusieurs personnes durant la matinée. L’association RAJ Rassemblement Actions Jeunesse) a dénoncé «l’arrestation au niveau de la Grande-Poste, à Alger, des militants Fouad Ouicher, secrétaire général de l’association, Fares Labdouci du RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie), et des dizaines d’autres manifestants, alors qu’ils s’apprêtaient à participer au 16e vendredi de mobilisation contre le système». Ces interpellations le matin des vendredis de manifestation sont devenues fréquentes depuis la deuxième semaine du mois de Ramadhan.

Des partis politiques y ont vu une «répression» visant à affaiblir le hirak. En tout cas, plus de trois mois après le début du mouvement populaire, la mobilisation ne semble pas fléchir pour l’instant, même si, entre-temps, plusieurs acquis ont été arrachés, comme l’annulation de deux élections présidentielles et l’arrestation ou le lancement de poursuites judiciaires à l’encontre de plusieurs personnalités.

Les «réponses» apportées jusque-là par le pouvoir aux revendications citoyennes n’ont pas, selon toute vraisemblance, convaincu beaucoup de monde, d’où la poursuite de la contestation populaire et le maintien de la mobilisation. (Publié par El Watan, en date du 8 juin 2019)

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Tizi Ouzou: «Ni dialogue, ni élection, la Constituante est la solution»

Par Hafid Azzouzi

Malgré la chaleur caniculaire de ce début de mois de juin, la marche de vemdredi a enregistré une mobilisation grandiose à Tizi Ouzou, où une marée humaine a déferlé sur les ruelles de la ville des Gênets [Tizi-Ouzou signifie en kabyle «le col des genêts»]. «La résistance continue», clame un marcheur, à 13h, pour, dit-il, ne pas décourager les autres manifestants qui arrivaient par petits groupes. «La déferlante commence généralement après 14h», ajoute un autre.

Oui, effectivement, moins d’une heure plus tard, nous avons assisté à l’arrivée d’une masse humaine qui a envahi la rue mitoyenne au campus universitaire de Hasnaoua et même la montée du stade du 1er Novembre, où des manifestants ont entamé la marche en mettant en avant l’emblème national et le drapeau amazigh, tout en constituant de manière spontanée des carrés.

Les mots d’ordre brandis par la foule sont pratiquement les mêmes que ceux de la semaine dernière, puisque les marcheurs ont réitéré leur refus de dialogue avec «la caste au pouvoir». «Non au dialogue avec la mafia», lit-on, entre autres, sur les milliers de pancartes suspendues par les citoyens qui ont pris part à cette 16e démonstration de rue pour exiger le départ du système.

«La victoire du peuple approche», est-il mentionné sur une autre portée par un père de famille accompagné de sa femme et ses deux enfants. L’ambiance est conviviale, puisque, comme chaque vendredi, des femmes et même des personnes âgées participent à la manifestation, dont la procession devient compacte, notamment sur la rue Lamali jusqu’à la grande rue, où il était vraiment très difficile de se frayer un chemin dans la foule. D’ailleurs, nombreux étaient ceux qui étaient obligés de marcher sur les trottoirs.

Le discours prononcé par Abdelkader Bensalah, jeudi, a essuyé une indifférence remarquable chez les manifestants qui campent sur leurs positions, à savoir le départ de l’actuel chef de l’Etat. «Bensalah dégage !», ont-ils scandé, à gorge déployée. Il en est de même pour le chef d’état-major de l’armée, Gaïd Salah, qui a été aussi stigmatisé par la foule qui a continué son parcours jusqu’à la placette du mémorial des martyrs de la Guerre de Libération nationale, en face de l’ancienne gare routière où les médias s’approchaient des manifestants pour recueillir des déclarations.

Ces dernières convergent sur l’exigence du départ de tous les symboles de l’ancien régime. «L’avenir de l’Algérie appartient à la jeunesse. Les vieillards doivent céder la place à la compétence juvénile», a déclaré un enseignant qui prend part aux marches du vendredi à Tizi Ouzou depuis le 22 février. «Notre combat se veut sans armes et sans larmes», ajoute un autre, médecin de son état. En somme, la mobilisation est toujours au rendez-vous, d’autant plus qu’hier, des centaines de milliers ont battu le pavé dans la capitale du Djurdjura.

Ils sont, d’ailleurs, venus des différentes localités de la willaya de Tizi Ouzou pour prendre part à la marche qui se veut, selon plusieurs participants, une action qui s’inscrit dans la continuité du mouvement populaire. «Rien ne peut ébranler le peuple qui réclame le changement du système. L’Assemblée constituante souveraine est la seule solution pour la sortie de crise que vit le pays», a martelé un étudiant qui a mis en avant une pancarte où on pouvait lire: «Ni dialogue, ni élection, la Constituante est la solution». 16h, des groupes de citoyens continuaient à affluer vers la ville de Tizi Ouzou. La marche d’hier était imposante. (Publié dans El Watan en date du 8 jun)

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