Israël-Palestine. «Pourquoi les pogroms des colons déferlent-ils sur la Cisjordanie?»

Champ brûlé par des colons près du village palestinien de Qusra, le 22 juin 2023. (Flash 90)

Par Menachem Klein

Il y a parfois un événement si extrême qu’il déchire le voile de l’ignorance volontaire des yeux de la société israélo-juive. Le pogrom de Huwara en février dernier [voir sur ce site les articles publiés à ce sujet les 2 et 6 mars], au cours duquel des centaines de colons ont incendié la ville palestinienne en Cisjordanie occupée, était un événement de ce type. Les pogroms de la semaine dernière à Turmus Ayya, Urif et Umm Safa [voir l’article publié sur ce site le 23 juin] ont écarté encore plus le voile de l’ignorance, obligeant de nombreux Israéliens à regarder en face une réalité qui existe depuis longtemps et qui peut sans aucun doute s’aggraver.

Mais le principal problème ne réside pas dans le sous-produit de l’occupation – le terrorisme des colons juifs – mais dans l’activité routinière d’Israël dans les territoires. En effet, la décision des responsables de la «sécurité» israélienne de qualifier les pogroms de «terrorisme» indique que le voile n’a été que partiellement levé; ils ne veulent tout simplement pas que le terrorisme juif interfère avec l’autorité de l’armée, du Shin Bet (renseignement intérieur) et de la police ou les mette dans l’embarras.

La colonisation est en soi un acte violent, qu’elle se fasse en accord avec la loi israélienne ou avec la loi rétroactive. Elle est violente parce que les colons imposent leur présence aux autochtones et les privent de terre, d’eau, de liberté de mouvement et des droits de l’homme les plus élémentaires. Il s’agit d’un système de violence organisé au nom de l’Etat.

La symbiose entre l’armée et les colons ne se limite pas à la violence; elle existe également dans la perception de leur mission. Les colons définissent explicitement leur mission comme étant la judaïsation de la région, et ils s’en acquittent de manière efficace et cohérente. La mission de l’armée n’est pas d’assurer la sécurité de tous les résidents des territoires – comme le droit international l’exige de la puissance occupante – mais plutôt de protéger les colons des réactions des Palestiniens «de souche», qui ne sont pas autorisés à se défendre, ni avec l’aide des forces de sécurité palestiniennes, ni en établissant leur propre garde nationale. Le facteur qui détermine si la vie et les biens d’un résident de Cisjordanie seront protégés est le fait qu’il soit juif ou non.

L’expansion des colonies en réponse à l’assassinat d’Israéliens – comme des ministres de haut rang se sont engagés à le faire la semaine dernière [le ministre au ministère de la Défense Smotrich a annoncé la création de 5000 nouvelles résidences dans les colonies] – n’est pas non plus une action civile inoffensive. Il s’agit d’une violence sans effusion de sang immédiate, mais qui engendrera inévitablement une résistance palestinienne, suivie d’une répression sanglante de l’armée.

Les Palestiniens ne sont tolérés que s’ils s’assimilent au paysage, devenant des objets inanimés qui renoncent à leur identité collective. Mais tant qu’ils conservent cette identité, ils sont par définition des ennemis. L’armée et le Shin Bet continueront à les contrôler à l’aide de données biométriques et électromagnétiques qui permettent de suivre leur localisation, leurs actions et leurs pensées telles qu’elles s’expriment dans les appels téléphoniques et sur les médias sociaux. La dépendance totale des Palestiniens à l’égard d’Israël pour l’obtention de permis permet aux autorités israéliennes de recueillir facilement des informations sur leur situation familiale et médicale, leurs tendances sexuelles, leurs faiblesses personnelles et leurs structures sociales, et d’utiliser ces informations pour les forcer à collaborer.

La suprématie juive est claire comme de l’eau de roche, et le peuple palestinien est en train de saigner physiquement et politiquement. Cependant, à mesure que les colonies s’étendent et que l’armée opère, les frictions augmentent, de même que la motivation des Palestiniens à réagir. Aujourd’hui, la violence palestinienne n’a que peu d’espoir de libérer la Cisjordanie; la disparité de pouvoir entre les parties n’est que trop évidente. Elle vise plutôt à obtenir un prix, n’importe quel prix, de la part des colonisateurs.

Une colère dangereuse

Cette résistance est une source de colère pour les colons. Comment est-il possible que tout leur pouvoir et leur suprématie n’aient pas encore effacé l’identité et la résistance palestiniennes? Cette «frustration» est à l’origine de pogroms comme ceux que nous avons vus la semaine dernière, ce qui pousse l’armée et le gouvernement à utiliser encore plus de force pour étendre le projet de colonisation. Il y a quelques jours, le colonel (réserviste) Moshe Hagar, directeur de l’académie prémilitaire de la colonie [orthodoxe religieuse] de Beit Yatir [dans le sud de Hébron], a appelé à la destruction d’une ville ou d’un village palestinien afin de donner une leçon aux Palestiniens. Par ailleurs, Bezalel Smotrich, qui est à la fois ministre des Finances et ministre chargé des affaires civiles en Cisjordanie, a qualifié d’«erronée et dangereuse» toute comparaison entre ce qu’il appelle la «terreur arabe» et les «contre-opérations civiles».

Leur «frustration» est aujourd’hui plus grande qu’elle ne l’était dans le passé. Dans les années 1980 et 1990, les colons des territoires occupés sont passés d’un mouvement civil soutenu par l’establishment à l’establishment lui-même. Ils se sont frayé un chemin jusqu’aux niveaux exécutifs des organes civils et sécuritaires du gouvernement qui contrôlent la population palestinienne et ses terres. Aujourd’hui, sous l’actuel gouvernement d’extrême droite, ils ont atteint le sommet de leurs pouvoirs. Ils ne songent pas un instant à reconnaître les limites de leur pouvoir, car le vecteur de leurs ambitions politiques est linéaire et sans équivoque. Ils ne doivent pas reculer.

L’idée de contenir le conflit pour ne pas en perdre le contrôle – comme le souhaitent l’armée, le Shin Bet et la police – est inacceptable pour ceux dont la colère est à la hauteur de leur extrémisme politique et théologique. Les colons poussent les forces de sécurité à agir conformément à la vision de Moshe Hagar. Contrairement à l’opération «Bouclier défensif», au cours de laquelle l’armée israélienne a détruit physiquement et politiquement l’Autorité palestinienne en 2002 par des invasions urbaines dévastatrices, il n’y a plus aujourd’hui de dirigeants à décimer. L’Autorité palestinienne, sous la direction du président Mahmoud Abbas, l’a déjà fait au service d’Israël. L’appel de la droite israélienne à lancer le «Bouclier défensif II» est au contraire un appel à l’action qui place les civils palestiniens au centre de la cible, plutôt que de les considérer comme de simples et acceptables victimes collatérales.

La fin du conflit et la solution des deux Etats ne sont plus d’actualité pour le public israélien et la communauté internationale. Faute de solution – ou plus exactement de volonté d’en trouver une – les gouvernements étrangers, y compris les Etats arabes, ont permis à Israël de créer un régime unique dans toute la zone située entre le fleuve et la mer, sans avoir à déclarer officiellement l’annexion.

Le fait que deux groupes différents vivent sous deux ensembles de lois sous un même souverain signifie qu’Israël met en œuvre des pratiques d’apartheid, de suprématie raciale et de régime militaire non pas dans le cadre de sa politique étrangère, mais plutôt dans celui de sa politique intérieure.

C’est pourquoi, par exemple, le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir cherche à établir sa propre milice privée, à avoir le pouvoir de placer des citoyens israéliens en détention administrative et à renforcer la pénétration du Shin Bet dans la vie des citoyens palestiniens d’Israël. Et, à la suite des événements de mai 2021 [affrontements lors du Ramadan en avril-mai], l’armée israélienne a maintenant élaboré des plans pour agir contre les citoyens palestiniens en cas de conflit.

Les dirigeants israéliens se rendent compte qu’ils doivent encore plier la loi à leur volonté, sans quoi l’identité de toute la région située entre le fleuve et la mer ne sera jamais exclusivement juive. Et malheureusement, la gauche juive sioniste n’a ni la vision ni le courage d’empêcher cette tendance. (Article publié sur les site israélien +972 le 26 juin 2023, et publié en hébreu sur le Local Call; traduction rédaction A l’Encontre)

Menachem Klein est professeur de sciences politiques à l’Université de Bar Ilan. Il a été conseiller de la délégation israélienne lors des négociations avec l’OLP en 2000 et a été l’un des leaders de l’Initiative de Genève.

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