La fragile accalmie aura été de courte durée: quatre jours après avoir annoncé une trêve dans son offensive sur le nord-ouest de la Syrie, Damas a repris, lundi 5 août, avec son allié russe, les raids aériens contre la province d’Idlib, tenue par des combattants anti-Assad.
Malgré le scepticisme sur sa durabilité, le répit, émaillé par des tirs d’artillerie de part et d’autre de la ligne de front, s’était accompagné de retours de civils vers le sud de cette région, le plus touché par trois mois d’offensive russo-syrienne. Certains étaient venus chercher leurs affaires. D’autres, trouver un abri, après avoir passé des semaines en plein air, à se serrer sous des oliviers dans le nord de la province, à l’écart des frappes aériennes.
«Tout le monde savait que le cessez-le-feu pouvait être rompu à tout moment. Mais on a vu, au cours de la trêve, un mouvement de civils désireux de rentrer chez eux au moins momentanément. C’est aussi faute d’alternatives qu’ils sont repartis vers le sud», explique Isam Khatib, directeur de Kesh Malek, une organisation de la société civile syrienne. L’aide humanitaire internationale a été insuffisante depuis le début de la crise, pourtant prévisible de longue date.
De nouveaux déplacements se profilent. Les raids aériens, lundi 5 août, ont fait au moins quatre morts. Ils se sont concentrés sur la ville de Khan Cheikhoun, déjà durement frappée, et sur une portion de la province attenante de Hama qui échappe au contrôle du régime.
Pour justifier la reprise des bombardements, Damas et Moscou ont accusé les combattants anti-Assad – des djihadistes de Hayat Tahrir Al-Cham (HTS), dominants, et des rebelles – d’avoir ciblé la base aérienne russe de Hmeimim, située à portée d’obus des insurgés dans la province de Lattaquié. Après des déclarations discordantes sur les pertes, Moscou a affirmé que trois roquettes s’étaient abattues sur un village voisin.
«Cela m’a rappelé Rakka»
Le cessez-le-feu annoncé le 1er août, alors que se tenaient des tractations entre Russie, Iran (parrains du régime) et Turquie (soutien des rebelles) au Kazakhstan, a fait suite à l’enlisement, malgré les intenses frappes aériennes, de l’armée syrienne au sol, face aux contre-attaques de ses ennemis.
«Les Russes ont obtenu l’opposé de ce qu’ils escomptaient: l’armée syrienne n’a pas été capable d’avancer, Moscou échoue à convaincre les milices iraniennes [qui on un rôle-clé dans d’autres offensives] de participer à la bataille, et HTS et les factions ont gagné en soutien populaire», analyse Dareen Khalifa, chercheuse sur la Syrie à l’International Crisis Group (ICG).
En se rendant sur place, en juillet, l’experte y a été impressionnée par «l’ampleur des destructions, catastrophique dans le sude de la province d’Idlib». «Presque chaque bâtiment y a été touché. C’est une zone déserte que j’ai vue, dit-elle. Cela m’a rappelé Rakka», détruite fin 2017 par les frappes de la coalition internationale menée par Washington. A Idlib, de nombreuses infrastructures civiles ont été réduites à néant par les raids aériens de Moscou et Damas, et près de 800 civils ont été tués entre fin avril et fin juillet.
«Nous n’avons nulle part ailleurs où aller»
Dareen Khalifa y a aussi perçu un soutien sans précédent de la population à HTS et aux autres factions». Le contrôle des djihadistes, coupables d’exactions, avait pourtant été dénoncé à de multiples reprises avant l’offensive par des militants civils locaux. «Cela ne veut pas dire que les gens partagent l’idéologie ou les projets politiques d’HTS, mais la menace imminente joue en faveur des factions, et en premier lieu d’HTS. Il y a un sentiment que ce qui se joue est existentiel: tout le monde me disait “Nous n’avons nulle part ailleurs où aller”», précise Dareen Khalifa.
Abou Mohammed Al-Jolani, le chef du puissant groupe djihadiste HTS, a exclu, samedi, tout retrait de la ligne de front. La mise en place d’une zone démilitarisée entre les territoires tenus par le régime et l’enclave insurgée, prévue par un accord russo-turc en 2018, semble vouée à rester lettre morte.
D’autres cessez-le-feu interrompront sans doute la bataille d’Idlib. Expert en politique de la terre brûlée, le camp prorégime est déterminé à reprendre le contrôle de la province. La Turquie, qui a approvisionné en armes les combattants anti-Assad, n’a pas intérêt pour l’instant à lâcher du lest sur cette région. «Elle lui sert de levier dans la guerre», juge un ancien responsable syrien. Selon lui, le sort d’Idlib est tributaire «d’un règlement sur tout le nord de la Syrie, incluant la question kurde, et donc les Américains». Otages de tractations entre puissances étrangères influentes, les civils restent pris au piège. (Article publié sur le site du quotidien Le Monde, en date du 6 août 2019, à 11h33)
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