FIFA. Blatter, spécialiste du corner rentrant

15279748FIFA-president-Joseph-Blatter-opens-the-envelope-to-reveal-that-Qatar-will-host-the-2022-WoPar Grégory Schneider

Malgré quatre autres candidatures, dont Luis Figo [Portugais, ex-joueur du real Madrid et du Barcelone], le président de la principale instance du foot mondial devrait, à 78 ans, se succéder à lui-même dans un simulacre d’élection.

La date limite de dépôt des candidatures relatives à l’élection du président de la Fédération internationale de foot (Fifa), dans la nuit de jeudi à vendredi, 29 au 29 janvier 2015, aura ainsi mis fin au carnaval. Cinq candidatures plus ou moins fantaisistes et une parodie d’élections à venir, le 29 mai : le Suisse Sepp Blatter pourra alors aller chercher un cinquième mandat à l’applaudimètre avant de gratifier l’assemblée d’un de ces discours mielleux dont il a le secret, invitant enfin un gosse en short à le rejoindre sur la scène avant de lui indiquer un point imaginaire dans les cintres de la salle des Congrès: «Tiens petit, regarde la Lune. On dirait un ballon.» Et c’est reparti pour quatre ans.

Une théorie s’est faite jour au fil des dernières semaines: au fond, le Valaisan (canton du Valais) de 78 ans est le seul à pouvoir tenir un bourrier [déchet] aussi dévoyé, aussi gangrené (cinq des quatorze votants ayant soutenu la candidature du Mondial qatari en 2010 ont depuis été rattrapés par des affaires ou soupçons de corruption), aussi ouvertement cynique que la Fifa. Blatter n’a jamais été mis en cause directement durant ses quatre mandats. En revanche, il a laissé faire. Et il les tient tous. Issa Hayatou, le président de la Confédération africaine, l’a assuré mardi non seulement de son soutien, mais de celui de chacun des pays du continent: le fait qu’aucun élu africain ne puisse voter en son âme et conscience n’a même pas étonné ni scandalisé qui que ce soit. Misère.

Aujourd’hui, 30 janvier, Blatter est assuré on ne peut plus officiellement du soutien de cinq des six fédérations continentales. Seule l’Union des associations européennes de football (UEFA) résiste. Mais bon. La Fédération française de foot (FFF), par exemple, a compris qu’il ne fallait pas se mettre en travers de la route du patriarche: elle postule à l’organisation du Mondial féminin de 2019 et Blatter a de la mémoire. Dans cette atmosphère de fin du monde, il aurait été bête de ne pas se servir. La candidature de David Ginola (joueur français, qui a commencé une carrière d’acteur en 2002), appuyée par un bookmaker irlandais à hauteur de 350’000 euros, avait ce sens-là : «Mon programme, c’est mon visage», a commencé par expliquer sans rire l’ancien international français. Avant de détailler quelques propositions bricolées sur un coin de table entre une opération sponsorisée et un plateau télé dans le Parisien de jeudi 29 janvier: ne manquait que «la guerre, c’est moche» pour achever l’opération «Enfonçage de portes ouvertes» de Ginola. Qui a retiré sa candidature dans la soirée de jeudi.

Un autre ancien joueur s’est aussi mis sur les rangs: le Portugais Luís Figo, ballon d’or en 2000, pas la moindre fonction élective mais membre depuis 2011 de la commission des joueurs de l’UEFA et qui a eu le bon goût de s’en tenir à une candidature de témoignage, exigeant par exemple la publication in extenso du rapport Garcia concernant les soupçons de corruption entourant l’attribution du Mondial 2022 au Qatar. Figo n’a aucune chance, il le sait, mais il sait aussi qu’il a une voix qui porte. Une candidature somme toute plus nette que celle du Français Jérôme Champagne (56 ans), ancien diplomate, qui s’est déclaré depuis plus d’un an. Une marionnette dans les mains d’un Blatter auquel on prêtait le calcul suivant: seul en lice avec Champagne, il aurait pu retirer sa candidature avec la certitude que son successeur ne remue pas trop en profondeur les dossiers – celui de l’attribution du Mondial 2018 à la Russie, quoique peu médiatisé, n’est pas des moindres – qui fâchent.

Sentant venir la manœuvre de loin, l’opposition à Blatter – au premier rang de laquelle on trouve le président de l’UEFA, Michel Platini – a envoyé un candidat crédible au feu: le Jordanien Ali ben al-Hussein, président de sa fédération, mais aussi membre du comité exécutif et vice-président de la Fifa. Platini déteste Champagne, qu’il tient pour un homme de peu d’envergure et qu’il soupçonne, pour le moins, d’alimenter la presse en informations visant à le fragiliser dans le dossier de l’attribution du Mondial 2022 au Qatar. Puisqu’Ali ben al-Hussein est dans le jeu, Champagne en sort et Blatter est contraint d’aller au bout, ce qui était du reste peut-être son intention initiale – les exégèses sur les subtilités tactiques et les intentions du Suisse ont leurs limites, même dans le milieu.

Mais, alors, quel est le sens de la candidature du cinquième larron, Michael Van Praag, 67 ans, président de la fédération néerlandaise qui a lancé sa campagne mercredi à Amsterdam ? Où que l’on tende l’oreille, la réponse est partout la même : le dégoût. «La Fifa a perdu toute crédibilité et elle a tourné le dos à l’avenir», a jugé Michael Van Praag, qui apparaît depuis qu’il a apostrophé Blatter en juin – «la Fifa est indissociable de la corruption, vous êtes responsable» – comme une sorte de chevalier blanc, voire d’idiot utile. Sinon, sa candidature est un pis-aller: elle dit que son président à l’UEFA, Michel Platini, n’a pas voulu s’y risquer. Beaucoup ont pourtant pressé le Français de sauter le pas ces dernières semaines. Il n’a pas cédé. A l’usage, on doit louer la célérité et le sens tactique du Français : pourquoi se serait-il prêté à ce simulacre grotesque? (Publié dans Libération, 30 janvier 2015)

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