Par Richard Abauzit
Un projet qui porte sur le droit du travail, fait par un ministre de l’économie, Emmanuel Macron, en fonction depuis le 26 août 2014. Pour la méthode, c’est un retour au milieu du XIXème siècle, avant qu’on invente un ministère du travail. Sur le fond, cela risque d’être un retour au début du XIXème siècle si la modification du code civil est maintenue. Un projet dont le titre III, étonnamment intitulé «travailler», donne toute la mesure. On ne fera pas l’injure de penser qu’une loi dite «Pour la croissance et l’activité» montre du doigt les fainéants de chômeurs ou l’indolence des travailleurs dans un pays où leur productivité est une des plus fortes du monde, mais on peut sans doute y voir le vivre pour travailler opposé au travailler pour vivre.
Un tel projet ne doit pas seulement être analysé pour ce qu’il est, il faut aussi le traduire avec nos mots, tant depuis une trentaine d’années la syntaxe patronale a envahi lois, accords collectifs, médias et hélas de plus en plus souvent contaminé le discours des «partenaires sociaux».
Des licenciements pour motif économique aux plans de «sauvegarde de l’emploi» en passant par les plans «sociaux», du chômage partiel à l’«activité partielle», de l’exploitation des travailleurs à la «compétitivité», des qualifications collectives aux «compétences» individuelles, du droit à la formation à l’obligation de «formation tout au long de la vie», des contrats de merde aux «contrats courts» ou «aidés», du revolver sur la tempe au «dialogue social», il est difficile d’échapper complètement au lavage de cerveau quotidien qui leur permet d’affirmer sans honte et sans grand risque d’être vraiment contredit que ce qui est noir est blanc.
Reste enfin la tactique qui consiste à mettre en avant, pour cacher le reste, ce qui fera discussion, en boucle, dans les médias: le travail du dimanche. Qu’on limitera ensuite volontiers à la question du nombre de jours, à la discrétion du maire (5 à 12), ce qui permettra ensuite, en fonction du rapport de forces, à trouver un nombre de jours qui apparaîtra comme un compromis et pourra laisser l’impression qu’il y a eu finalement beaucoup d’agitation pour rien. D’où l’urgente nécessité de détailler ce «rien».
1. Code civil: le retour à 1804 et la suppression du droit du travail
Le droit du travail repose sur la réalité de l’exploitation des travailleurs qui, en langage juridique, est nommée «subordination». Le salarié est aux ordres, soumis à son employeur pour son embauche, son contrat, l’exécution de son contrat et son licenciement. L’exact contraire du droit civil dans lequel les deux parties sont à égalité. Il a donc été ajouté dans le code civil actuel que les contrats de travail étaient exclus de ce droit entre égaux, le code du travail servant précisément à limiter pour partie l’arbitraire patronal.
Le projet Macron, sans qu’aucun média ne le soulève, abroge l’alinéa qui, dans le code civil, exclut les contrats de travail. Ce n’est ni plus ni moins que la suppression du droit du travail. Un retour à 1804, au code Napoléon, et à la loi Le Chapelier [1791, loi proscrivant les organisations ouvrières]: plus aucune entrave à la liberté d’exploiter. Il suffira au patron, pour chaque litige, d’obtenir «l’accord» du salarié et aucun juge, prud’homal ou non, ne pourra venir troubler cet «accord» au nom d’un quelconque droit du travail. Travailler le dimanche, la nuit, 12h par jour, 60h par semaine, pour un demi-SMIC…du moment que le salarié est «d’accord».
A y regarder de près, cette incroyable tentative du gouvernement et du MEDEF (Mouvement des entreprises de France) n’est pas si nouvelle: elle est ici et là inscrite déjà dans de plus en plus nombreuses dispositions du droit du travail, qu’il s’agisse d’«accords collectifs» signés par des organisations syndicales et/ou de lois: ainsi, dès décembre 1981, un accord collectif permettait de faire faire 12 h x 12 jours = 144 h à un salarié agricole avec son «accord», l’ANI [Accord national interprofessionnel] du 11 janvier 2013 et la loi du 14 juin 2013 permettent de ne pas respecter le plancher de 24 h avec l’«accord» du salarié. Et, pour le travail du dimanche, il serait, pour l’essentiel, réservé aux «volontaires». Ce «volontariat», dont Gérard Filoche ne cesse de répéter qu’il n’existe pas en droit du travail, on en mesure toute l’irréalité quand l’ex-présidente du MEDEF n’a pu trouver mieux que l’oxymore de «soumission volontaire».
2. Prud’hommes: la mise à mort
Le projet Macron est un nouvel arsenal pour casser plus encore ce qui reste souvent le seul recours pour les salariés. Les conseillers prud’homaux se voient soumis à un contrôle plus fort, une vraie tutelle; leurs conditions de travail ainsi que le rapport de force pour les conseillers salariés sont dégradés; se met en place une justice expéditive et forfaitaire répondant ainsi aux demandes constantes du Medef déjà avancées dans l’ANI du 11 janvier 2013 et la loi qui les ont consacrés:
1° Extension du pouvoir des juges départiteurs [1], qui pourront assister aux assemblées générales du conseil de prud’hommes, pourront réunir son président et vice-président, et pourront remplacer le conseil de prud’hommes en cas de problèmes de fonctionnement de celui-ci.
2° Extension de la formation restreinte (2 conseillers au lieu de 4), sur demande du bureau de conciliation. Une nouvelle procédure qui aura comme conséquence inéluctable un engorgement supplémentaire et des jugements expéditifs encore plus défavorables aux salariés.
3° Suppression possible de la case «bureau de jugement» et renvoi au juge départiteur («de droit» et sans possibilité de recours) dans les trois cas suivants: si le bureau de jugement estime que la formation restreinte décidée par le bureau de conciliation («et d’orientation») ne s’imposait pas; si le bureau de conciliation et d’orientation le décide dans le cas où «toutes les parties le demandent» ou bien en cas de partage du bureau de conciliation!
4° Contrôle et organisation de la «démission» des conseillers prud’homaux: un décret va désormais fixer un délai au-delà duquel un conseiller prud’homme sera désormais considéré comme «démissionnaire» s’il ne satisfait pas à une nouvelle «obligation de formation initiale et continue».
5° Une suspicion et un contrôle institutionnalisés: un décret va établir un «recueil des obligations déontologiques des conseillers prud’hommes». Le projet Macron donne une idée du contenu de ce recueil qui permettra toutes les mises à l’écart de conseillers qui déplaisent: à l’«indépendance» et à l’«impartialité», auxquelles sont astreints tous les juges, pour les conseillers prud’hommes, se rajoutent la «dignité», la «probité» et un comportement de nature «à prévenir tout doute légitime à cet égard», l’abstention «de tout acte ou comportement à caractère public incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions» et, last but not least, «leur est interdite toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions».
6° Des sanctions renforcées. Les conseillers prud’hommes sont considérés par la loi Macron comme des salariés soumis au pouvoir disciplinaire d’un employeur: sont créées deux nouvelles sanctions, l’«avertissement» (sans recours possible car censé ne pas être une sanction) et le «blâme»; est également créé l’équivalent de la mise à pied à titre conservatoire. Quant à la «déchéance» provisoire possible, elle est allongée (de 5 à 10 ans) et une déchéance définitive est créée. Une «commission nationale de discipline» est créée.
7° La représentation deviendrait obligatoire en appel, et les défenseurs syndicaux, déjà très peu nombreux, pourraient avec un nouveau statut être introuvables aussi bien aux prud’hommes qu’en appel. Désormais les salariés devront soit prendre un avocat, soit trouver un défenseur syndical dont le projet Macron prévoit un contrôle de sa désignation et la possibilité de radiation administrative.
8° Moins de juges pour juger et des juges «mieux» choisis. Le projet Macron innove en créant la notion de «litiges sériels». Sans recours possible, le premier président de la cour d’appel ou le président de la Cour de cassation pourra décider de faire juger plusieurs affaires par un seul conseil de prud’hommes, qu’il choisira! Et ce conseil pourra se dessaisir de lui-même ou «si toutes les parties le demandent» au profit d’un juge départiteur lui-même désormais choisis parmi les juges du TGI (Tribunal de grande instance), choisis eux-mêmes par le président du TGI «prioritairement en fonction de leurs aptitudes et connaissances particulières». Si avec ça, les patrons ne gagnent pas à tous les coups…
9° Un bonus, les avocats d’entreprise. Ce cadeau anglo-saxon est une bonne nouvelle pour les patrons qui pourront se payer ces DRH bis qui vont accroître l’inégalité des salariés devant la justice. Même si, contrairement au projet initial, ils ne plaident pas, comment ne pas voir le poids dont pèseront ces salariés qui devront leur emploi à leur capacité à conforter le pouvoir patronal, en leur évitant des erreurs préjudiciables, en préparant au mieux pour les prud’hommes arguments juridiques et fausses attestations de salariés mieux ficelées.
3. Inspection du travail et sanction de la délinquance patronale: toujours moins
L’inspection du travail a déjà vu son indépendance foulée au pied par le décret Sapin [Michel Sapin, ministre du travail et de l’emploi jusqu’en mars 2014, puis ministre des finances et des comptes publics] de mars 2014. Le projet d’ordonnance Macron en est la suite que Sapin n’avait pas eu le temps de terminer.
Pour les sanctions, les patrons vont échapper et aux juges et aux inspecteurs du travail: des amendes pénales vont être transformées en amendes administratives et l’administratif ne sera plus l’inspecteur du travail mais son supérieur hiérarchique au niveau régional, pas moins, le Directeur Régional des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation et, accessoirement du travail et de l’emploi (D.I.R.E.C.C.T.E) dont le seul intitulé permet de mesurer le degré d’indépendance par rapport au patronat qui échappe ainsi au procès pénal et accède à tous les arrangements possibles entre amis.
Une mention spéciale pour les délits qui concernent le droit syndical et les représentants du personnel: il est précisé que la peine d’emprisonnement sera supprimée car «susceptible de dissuader les sociétés étrangères d’investir dans les entreprises françaises…».
Et pour les élections professionnelles, les patrons vont échapper à l’inspection du travail: seront désormais transférées aux juges les décisions sur la mise en place de délégués de personnel de site; les décisions sur le nombre et de la composition de collèges électoraux ainsi que le nombre de sièges et leur répartition entre les collèges (en l’absence d’accord électoral); les décisions de reconnaissance d’un «établissement distinct» pour les élections de délégués du personnel ou de membres du comité d’établissement; les décisions de dérogation aux conditions d’ancienneté pour les électeurs et les éligibles aux élections de délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise.
4. Médecine du travail: la mise à mort
L’étude d’impact du projet Macron donne à voir les soubassements des changements législatifs envisagés: il y est expliqué clairement que l’obligation légale de la visite d’embauche ne peut être effectuée car il manque de médecins du travail et que «les employeurs sont donc dans une situation d’insécurité juridique» car la Cour de cassation sanctionnerait «lourdement» le non-respect de l’obligation de sécurité; et la larme vient également aux paupières, il est expliqué que les médecins du travail rédigent beaucoup trop d’avis d’aptitude comportant des restrictions d’aptitude ou des aménagements de poste, ce qui empêcherait par ce biais tout licenciement! («Tant que l’avis mentionne l’«aptitude», aucun licenciement ne peut être envisagé même si l’employeur est dans l’incapacité de suivre les recommandations et propositions du médecin du travail.»).
Les solutions envisagées sont donc: moins de visites médicales et des visites faites par «d’autres professionnels»; des avis d’aptitude faits par des «collaborateurs médecins» et un encadrement voire une suppression des «réserves». Licencier plus et plus vite pour inaptitude, telle est la sécurisation recherchée par le projet de loi.
5. «Simplifications» pour les entreprises: toujours plus
1° Licenciements pour motif économique. Grâce à la loi du 14 juin 2013, l’employeur pouvait déjà, sur les quatre critères de choix des licencié(e)s, retenir prioritairement le critère qu’il voulait, par exemple le critère arbitraire de la «qualité professionnelle» au détriment des critères sociaux (charges de famille, âge, handicap, ancienneté). Le projet Macron permet à l’employeur de moduler même les critères choisis en les fixant «à un niveau inférieur à celui de l’entreprise». En clair, pouvoir choisir de licencier qui on veut, où on veut:
• Le projet Macron simplifie les «petits licenciements» (de 2 à 9 salariés) dans les entreprises de plus de 50 salariés.
• Le projet Macron simplifie les efforts de reclassement pour les grandes entreprises.
• Le projet Macron simplifie beaucoup les licenciements dans les entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire.
• Le projet Macron simplifie beaucoup le licenciement sans retour et sans indemnités des salariés pour lesquels le tribunal administratif aurait annulé la décision de validation ou d’homologation.
2° Travail clandestin (= travail «illégal»). Sous couvert de «lutte contre la prestation de service internationale illégale», le projet Macron organise au contraire le laisser-faire pour les infractions au détachement illégal de salariés: «délai» pour se mettre en règle, «rapport administratif» de l’agent de contrôle à l’«autorité administrative» (re-bonjour le D.I.R.E.C.C.T.E) qui pourra «eu égard à la répétition ou à la gravité des faits constatés» (!) et par «décision motivée», suspendre la prestation mais pour «une durée ne pouvant excéder un mois». Il est prévu que le patron pourra passer outre (!), ne pas suspendre son activité illégale, et qu’en ce cas, il s’exposera – on tremble – à une «amende administrative» (!) mais que le D.I.R.E.C.C.T.E n’infligera – on est rassuré – qu’avec circonspection en tenant compte des «circonstances» et de «la gravité du manquement» mais aussi du «comportement de son auteur» ainsi que de «ses ressources et ses charges».
3° Travailleurs handicapés. Pour pouvoir se soustraire à l’obligation d’embaucher des travailleurs handicapés, les employeurs pouvaient déjà passer des contrats à des «entreprises adaptées», des «centres de distribution de travail à domicile», des «établissements ou services d’aide par le travail. Le projet de loi Macron voit plus loin: désormais, il suffira de faire appel: à des personnes que l’employeur ne paiera pas et qu’il n’aura pas l’obligation d’embaucher («personnes handicapées pour des périodes de mise en situation en milieu professionnel») ou à des non-salariés («travailleurs indépendants handicapés»)
4° Consultations des institutions représentatives du personnel. À la rubrique «Dialogue social», le projet Macron a inscrit, sans rire, la possibilité pour les entreprises, conséquences de l’ANI du 11 janvier 2013, de réduire désormais les consultations des institutions représentatives du personnel, par exemple pour les licenciements pour motif économique, à la fourniture au comité d’entreprise de la «base de données unique» dont le contenu limitatif est fixé par décret.
6. Travail le dimanche et la nuit: toujours plus
On retrouve ici la suppression du droit du travail avec la prétendue liberté du salarié «volontaire». Cette liberté dont profiteront toujours plus essentiellement des femmes et des jeunes qui subissent déjà temps partiel et horaires au sifflet, cette liberté va pouvoir s’exercer dans plus de zones et pour plus de dimanches. Ministres, préfets et maires vont pouvoir accorder des dérogations au repos dominical:
• pour préjudice «au public» ou «au fonctionnement de l’entreprise»
• dans des «zones touristiques internationales» (Ministres)
• dans des «zones touristiques» (Préfets)
• dans des «zones commerciales» (Préfets)
• dans les établissements situés dans l’emprise des gares elles-mêmes situées dans les trois zones précédentes (ministres)
• dans les établissements de la commune dont le maire pourra désormais autoriser l’ouverture pendant 12 dimanches et devra l’autoriser au minimum pour 5 dimanches, une obligation nouvelle oubliée des médias (jusqu’ici le maire peut autoriser le travail pour au maximum 5 dimanches, mais il n’y est pas obligé).
Pour bénéficier de ces dérogations, il faut des contreparties pour lesquelles le projet Macron renvoie au «dialogue social» dont la musique immuable commence à être connue: soit on trouve des organisations syndicales pour signer l’accord que l’employeur souhaite («accord collectif ou territorial») soit, comme pour les plans de licenciement, l’employeur décide seul («décision unilatérale de l’employeur») après un «référendum» dont le résultat est connu d’avance. En ce cas, le doublement du salaire ne sera pas une obligation pour les entreprises de moins de 20 salariés.
Et dans les «zones touristiques internationales», la loi déciderait maintenant que, dans ces zones, «la nuit commence après 24h» [2], alors il y sera possible de travailler de nuit. On appréciera à sa juste valeur la «contrainte» de l’employeur: il «veille» à ce que le salarié «dispose d’un moyen de transport pour regagner son domicile».
Il est grand temps de veiller et d’agir pour que le projet Macron regagne la nuit des rêves patronaux. (Publié sur Finances publiques, CGT Parlons-en)
_____
[1] En France: «Les conseillers prud’hommes siègent en nombre pair. C’est le seul exemple que nous ayons dans notre droit procédural dans lequel les magistrats siègent en nombre pair. Dans toutes les autres juridictions, les magistrats siègent en nombres impairs. Dès lors que les juges prud’homaux siègent en nombre pair, s’ils sont en désaccord sur la décision à prendre dans une affaire qui leur est soumise, ils doivent demander au juge du Tribunal d’instance le plus proche de les départager. Ce magistrat est désigné sous l’appellation de «Juge départiteur» et dans le langage du Palais ont dit dans ce cas que «l’affaire est appelée en audience de départage» (Dictionnaire de droit privé). (Réd. A l’Encontre)
[2] En Suisse, la loi sur le travail à propos «du travail de jour et du soir» : «Il y a travail de jour entre 6 et 20 heures, travail du soir entre 20 et 23 heures. Le travail de jour et du soir, soit l’intervalle de 6 heures à 23 heures (17 heures), n’est pas soumis à autorisation. L’employeur ne peut cependant introduire le travail du soir qu’après audition des travailleurs. Le début et la fin du travail de jour et du soir peuvent être fixés différemment entre 5 et 24 heures, avec l’accord de la majorité des travailleurs concernés. Dans ce cas également, le travail de jour et du soir doit être compris dans un intervalle de 17 heures au plus. Par contre, le travail de jour et du soir de chaque travailleur adulte doit être compris dans un espace de 14 heures, pauses et éventuel travail supplémentaire inclus.» (Réd. A l’Encontre)
Soyez le premier à commenter