Israël. «Puissent les manifestations anti-Netanyahou réussir. Et ensuite, que se passe-t-il avec les Palestiniens?»

Tel-Aviv, 4 février 2023

Par Gideon Levy

La fureur est compréhensible, l’inquiétude justifiée. Il est de plus en plus clair que l’inquiétude n’est pas exagérée, que l’objectif du plan est de soumettre le pouvoir judiciaire, laissant le pouvoir entre les mains de la branche exécutive du gouvernement, qui en Israël contrôle également la branche législative. Le pays ne ressemblera plus à une démocratie libérale, comme les Israéliens aiment à définir (à tort) leur système de gouvernement. Nous sommes confrontés à une tentative de coup d’Etat de type hongrois. Par conséquent, la protestation semble justifiée. Je lui souhaite de réussir.

Tout comme les protestations précédentes, devant la résidence du Premier ministre, à Jérusalem, leur seul objectif est de renverser, d’écarter ou d’arrêter une personne ou un processus. A l’époque, c’était «tout sauf Bibi». Maintenant, c’est «tout sauf un coup d’Etat». Hier comme aujourd’hui, il n’y a pas de plan B. Supposons que vous vous débarrassiez de Netanyahou, qui le remplacera? Supposons que vous arrêtiez le coup d’Etat; qu’est-ce qui viendra à sa place? Les gens diront: «Occupons-nous d’abord du danger immédiat, puis nous verrons. Une étape à la fois. C’est ce qui est urgent maintenant, ce qui doit pousser tout le reste de côté.»

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Supposons que les protestations et la pression internationale réussissent au-delà de toute attente et que Netanyahou soit déclaré inapte à servir, que Yariv Levin [ministre de la Justice depuis le 22 décembre 2022] redevienne ministre du Tourisme [mandat qu’il occupa de mai 2015 à mai 2020] et qu’Israël redevienne ce qu’il était avant. La Cour suprême conserve son indépendance, sans entrave, et continue à légitimer: les détentions sans procès, les punitions collectives [des Palestiniens, infligées par l’armée], les colonies et la déportation des demandeurs d’asile.

La procureure générale, Gali Baharav-Miara [en poste depuis le 7 février 2022], recommencera à faire ce qu’elle a fait toute sa vie professionnelle: cette héroïne du mouvement de protestation recommencera à défendre inlassablement l’establishment de la défense, comme le décrit Hilo Glazer dans un article de fond retraçant sa carrière (Haaretz, 3 février 2023).

«Elle a adhéré à cette fonction dès le début», dit l’article, en faisant référence à son grand succès pour rejeter un procès clairement justifié. «Cela correspondait à son programme consistant à protéger de toutes ses forces les soldats des FDI (Armée de défense d’Israël).» Le procès a été intenté par la famille de la militante Rachel Corrie, qui demandait des dommages et intérêts après que leur fille a été écrasée à mort par un bulldozer des FDI dans la bande de Gaza en 2003 [1]. Quel grand triomphe en salle d’audience et quel manquement moral, comme lorsqu’elle a réussi à disculper le lieutenant-colonel Shalom Eisner dans un autre procès visant à obtenir des dommages et intérêts après qu’il a été filmé en train d’agresser vicieusement un Palestinien et un manifestant danois. Dans le mémoire de défense de Baharav-Miara, le soldat brutal est devenu une victime.

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Baharav-Miara a également été responsable du rejet d’une demande de compensation du père de trois filles tuées à Gaza, le Dr Izzeldin Abuelaish [voir article paru dans Haaretz, le 26 novembre 2021 par Ravit Hecht], et d’une autre demande de la famille d’une fille tuée à Gaza, sur laquelle on a tiré une seconde fois pour s’assurer qu’elle était bien morte. L’avocat des droits de l’homme Eitay Mack a déclaré que l’accusation dirigée par Baharav-Miara a mené une campagne tous azimuts contre ces justes revendications. Le journal Makor Rishon a écrit qu’elle avait pris ces affaires en charge comme un «projet personnel». C’est cette personne que les protestations encensent. Si elle réussit, elle reviendra en force.

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Les personnes en Israël qui subissent les crimes de l’occupation ont du mal à se joindre à une manifestation avec ces objectifs et ces héros. Il est vrai que les choses pourraient être pires – le coup d’Etat diminuera la démocratie – mais comment pouvons-nous continuer à fermer les yeux sur les agissements d’Israël lorsque nous luttons pour sa démocratie?

On ne peut pas parler de démocratie uniquement pour les Juifs, ni même pour les seuls citoyens et citoyennes d’Israël. Toute lutte pour la démocratie qui ignore la dictature militaire qui est une partie inséparable des régimes d’Israël n’est pas une manifestation à laquelle on peut se joindre. Le fait que l’on parle enfin de démocratie et que des collectifs importants de personnes soient prêts à se battre pour elle est un signe d’espoir. Respect est dû aux lauréats du prix de la défense d’Israël [Israel Defense Prize qui est distribué depuis 1958 par le Président d’Israël, actuellement Isaac Herzog], aux architectes, aux avocats, aux psychiatres, aux hommes d’affaires et à tous ceux qui se mobilisent. Mais une manifestation qui ne s’intéresse pas au véritable état de la démocratie, qui ne propose aucune alternative au statu quo et qui est incapable de faire passer la conversation sur la démocratie à une réflexion effective sur sa véritable signification – autrement dit, la démocratie pour tous – est moralement défectueuse.

Bonne chance à vous, mes amis, du fond du cœur. Mais même si vous gagnez, c’est la pratique d’apartheid qui restera, pas la démocratie. (Article publié dans Haaretz du 5 février 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Rachel Corrie était militante américaine pro-palestinienne et membre de l’International Solidarity Movement. Elle décède le 16 mars 2003 dans la bande de Gaza, durant la Seconde Intifada, ensevelie sous des amas poussés par un bulldozer israélien à proximité duquel elle manifestait. (Réd.)

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