Iran-Tribune: «Nous, prisonnières politiques, vivons dans une prison où plane l’ombre des peines de mort»

«Nous, femmes prisonnières politiques, vivons dans une prison où l’ombre des peines de mort et les menaces de mort pèsent sur nombre de nos codétenues», écrit l’avocate Nargess Mohammadi dans sa cellule d’Evin. (Compte Twitter @LettresTeheran)

Par Hasti Amiri, Noushin Jafari, Raha Asgarizadeh, Sepideh Qalyan, Nargess Mohammadi, Alieh Motlebzadeh, Bahareh Hedayat

«La peine de mort, en privant du droit à la vie, est l’une des violations les plus flagrantes des droits de l’homme. Pendant des décennies, la société iranienne a souffert de l’exécution de ses proches, et ces jours-ci, nous avons de nouveau assisté à l’exécution d’un certain nombre de jeunes manifestants, d’autres risquent toujours d’être exécutés.

Nous, femmes prisonnières politiques, vivons dans une prison où l’ombre des peines de mort et les menaces de mort pèsent sur nombre de nos codétenues. Parmi elles, Sepideh Kashani et Niloufar Bayani, deux militantes écologistes, saluées par les Iraniens pour avoir œuvré à la préservation de l’environnement et l’avenir de notre terre, en font partie. Il y a cinq ans, elles ont été arrêtées suite à une affaire montée de toutes pièces par les Gardiens de la révolution. Elles ont subi à des pressions psychologiques et physiques pendant deux ans dans des cellules d’isolement du quartier de sécurité, afin qu’elles avouent ce qu’elles n’ont pas fait et que leurs interrogateurs puissent justifier leur exécution. L’un des outils les plus écœurants utilisés par les Gardiens de la révolution pour obtenir des aveux est de mettre les détenues face à la mise en scène de leur propre exécution. Etre menacé de mort dans la solitude d’une cellule n’est pas loin d’une véritable exécution. Sepideh Kashani et Niloufar Bayani, ainsi que d’autres militantes écologistes ont été traduites en justice dans ces circonstances et ont été accusées d’espionnage sans aucune preuve légale, et ont même été accusées de «corruption sur Terre» [la charge la plus grave du Code pénal iranien qui entraîne généralement la peine capitale].

Une autre de nos codétenues, Maryam Haj Hosseini, scientifique renommée du pays, a été emprisonnée pendant 412 jours dans le quartier sécurisé du ministère de la Défense dans une région éloignée de Téhéran (une région montagneuse) et a été, chaque jour, menacée d’exécution. Elle a été accusée de «corruption sur Terre».

Mahahvash Shahriari et Fariba Kamalabadi (deux bahá’íes, une minorité religieuse persécutée en Iran) sont placées à l’isolement depuis de longs mois et soumises à d’intenses pressions mentales et physiques. Depuis leur arrestation, en raison de leurs croyances, elles ont été menacées de mort pour «corruption sur Terre» et espionnage. Lors de leur dernière arrestation, leurs interrogateurs ont évoqué clairement la volonté du ministère du Renseignement de pendre sept bahá’íes.

Zeinab Jalalian (militante Iranienne en faveur des droits des femmes kurdes) a subi des tortures mentales et physiques pour lui faire avouer une participation à une opération de lutte armée, ce qu’elle n’a jamais accepté. Shirin Alam Holi, militante kurde, a subi les mêmes méthodes et la violence du système judiciaire a conduit à son exécution.

Il est vrai que nous ne pouvons pas comprendre la profondeur de l’angoisse et la souffrance qu’elles ont subies, mais nous avons le devoir de pousser un cri contre les exécutions, et ce procédé qui consiste à menacer de mort des femmes dans la solitude de leur cellule.

Nous, prisonnières politiques du quartier des femmes de la prison d’Evin, avons décidé de déclarer notre soutien à ces militantes écologistes car cela fait cinq ans qu’elles sont en détention et de demander le soutien des institutions internationales des droits de l’homme, des combattants de la liberté et de l’opinion publique pour leur libération.

A cet égard, nous soulignons l’importance du récit afin d’enregistrer des faits historiques. Raconter les tortures est le seul moyen d’arrêter les tragédies humaines. Nous soutenons et apprécions l’acte des prisonnières telles que Sepideh Kashani et Nilofar Bayani, qui ont raconté le crime et la répression dans les chambres noires de salles d’interrogatoire et ont participé à sensibiliser l’opinion publique.

Nous déclarons notre rejet de la peine de mort, de la privation du droit à la vie et de toute forme de torture physique et psychologique, nous demandons à l’opinion publique internationale de lutter sans cesse pour arrêter la condamnation à mort des manifestants.»

Signataires

Hasti Amiri est étudiante, militante de droits humains. Elle a été arrêtée suite à l’organisation d’une manifestation étudiante le 8 mars 2022 et a été condamnée à un an de prison pour «propagande contre le système» notamment pour ces positions contre la peine de mort.

Noushin Jafari est photographe et journaliste, elle a été condamnée en 2019 à cinq ans de prison pour «insulte envers l’islam» et «propagande contre le système».

Raha Asgarizadeh est photographe, journaliste et militante de droits humains, elle a été condamnée en 2022 à deux ans de prison pour «complot en réunion contre la sécurité nationale».

Sepideh Qalyan est militante des droits civiques. Elle a été condamnée en 2020 à cinq ans de prison pour «complot en réunion contre la sécurité nationale».

Nargess Mohammadi est avocate, militante des droits de l’homme et vice-présidente du Defenders of Human Rights Center, dirigé par la lauréate du prix Nobel de la paix Shirin Ebadi. En 2016, elle est encore condamnée à seize ans d’emprisonnement pour avoir créé et dirigé «un mouvement de défense des droits de l’homme qui milite pour l’abolition de la peine de mort».

Alieh Motallebzadeh est photographe, journaliste et militante des droits des femmes et vice-présidente de l’association de la défense de la presse libre en Iran. Elle a été condamnée en 2020 à trois ans de prison pour «complot en réunion contre la sécurité nationale».

Bahareh Hedayat est militante pour les droits des femmes. Elle a travaillé sur la campagne «One Million Signatures» pour changer les lois discriminatoires à l’égard des femmes en Iran. Elle a déjà été emprisonnée pendant sept ans depuis 2009 et à nouveau condamnée en 2020 à quatre ans de prison. (Tribune publiée sur le site du quotidien Libération, le 4 février 2023)

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