Par Gideon Levy
Les lendemains d’élections ont montré que la société israélienne est devenue en partie religieuse et en grande partie raciste [1], la haine des Arabes étant son principal carburant, sans personne pour s’y opposer
Que pensiez-vous qu’il allait se passer? Que pensait la gauche sioniste, qui a sombré dans le coma après les Accords d’Oslo [de 1994]? Qu’il était possible de revenir au pouvoir en sortant du coma? Les mains vides? Sans alternative et sans leadership? Sur la seule base de la haine de Netanyahou? En dehors de cela, cette gauche sioniste n’avait rien à offrir.
Personne ne devrait être surpris par ce qui s’est passé [l’obtention d’une majorité de sièges à la Knesset – 64 sur 120 – de la coalition menée par Benyamin Netanyahou du Likoud et Itamar Ben-Gvir du Otzma Yehudit]. Il ne pouvait en être autrement. Cela a commencé avec l’occupation [en 1967] – pardonnez cette mention ennuyeuse et clichée [2] – mais c’est alors que cela a vraiment commencé. Il fallait que cela débouche sur un gouvernement ouvertement raciste et de «transfert» des Palestiniens. Cinquante ans de propagande contre les Palestiniens et de manœuvres de terreur à leur égard ne pouvaient pas aboutir à «un gouvernement de paix». Cinquante ans de soutien presque total à l’occupation, de la part de la gauche et de la droite sionistes, ne pouvaient se terminer autrement qu’avec Ben-Gvir comme héros populaire [3]. Une occupation sans fin ne pouvait que conduire au gouvernement Benyamin Netanyahou-Itamar Ben-Gvir. Car si vous devez avoir une occupation, alors vous devez embrasser sa version authentique, celle qui ne s’en gêne le moins du monde, c’est-à-dire la version Ben-Gvir.
Il était tout simplement impossible de poursuivre les illusions – Juif et démocratique, occupation éclairée, occupation temporaire – et tout ce répertoire de phrases usées. Le temps de la vérité était arrivé, et c’est ce que Netanyahou et Ben-Gvir vont nous expliquer.
Hier [2 novembre], Israël s’est réveillé à l’aube d’un nouveau jour, dans lequel tous les bavardages et les euphémismes appartiennent désormais au passé. Désormais, l’occupation n’est plus que occupation. Il en va de même pour la suprématie juive en Israël. Désormais, le sionisme est promu au rang de racisme déclaré. Hier, la mort de la ligne verte [frontière établie le 4 juin 1967] a également été officiellement déclarée: l’occupation est ici et partout. Quiconque pensait que ce qui se passe à Yitzhar [colonie israélienne au sud de la ville de Naplouse] ne reste qu’à Yitzhar ne faisait que se tromper. Quiconque pensait que Yesha [coopérative agricole établie dans le Néguev se réclamant initialement du sionisme de gauche] est là-bas et pas ici se trompait. Depuis longtemps, maintenant, Yesha se rapproche à grands pas d’Israël, avec son nationalisme et son fondamentalisme enracinés. Pendant toutes ces années, personne ne s’est levé pour l’arrêter. Aujourd’hui, il est trop tard. Il y a deux jours, cette dynamique s’est conclue.
Il est inutile de poursuivre, maintenant, une campagne de dénonciation. Yair Lapid a siphonné les votes travaillistes, les travaillistes n’ont pas fusionné avec le Meretz [formation dite de gauche qui ne dispose plus de sièges à la Knesset], Balad [formation nationaliste palestinienne] n’a pas rejoint la liste commune. Tous ces éléments n’auraient été que des analgésiques temporaires pour une maladie incurable. Même si tout cela ne s’était pas produit, rien du tableau général n’aurait été différent: la société qui s’est formée dans ce pays est en partie religieuse et en grande partie raciste, la haine des Arabes étant son principal carburant, et il n’y avait personne pour s’y opposer.
Ce qui s’est passé il y a deux jours n’a pas commencé il y a deux jours. Peut-être que c’est Golda Meir [première ministre de mars 1969 à juin 1974, antérieurement ministre du Travail et de la Sécurité sociale de 1949 à 1956, puis des Affaires étrangères de 1956 à 1966] qui a commencé, peut-être Shimon Peres [plusieurs fois premier ministre, entre septembre 1984 et octobre 1986, entre novembre 1995 et juin 1996], mais quoi qu’il en soit, aucun de leurs successeurs n’a essayé de faire autrement pour endiguer la marée. Avez-vous vraiment pensé que Yair Lapid [ministre des Affaires étrangères de juin 2021 à fin juin 2022, puis premier ministre dès le 1er juillet 2022], un droitier modéré et creux, rempli de bonnes intentions, était capable d’offrir une alternative à Ben-Gvir? Quelle alternative? Tuer en douceur? Embrasser Emmanuel Macron [lors de sa réception à l’Elysée le 22 août 2022]? Maintenant, Israël a décidé qu’il préférait ne pas être gentil quand il s’agit de tuer. Le prochain gouvernement évitera au moins de faire de l’esbroufe.
Pendant des années, une gauche et un centre à la dérive qui manquent de leadership et de courage ont désespérément essayé de se prosterner devant la droite et de lui ressembler. Il fallait que cela se termine avec Ben-Gvir et avec le nationaliste Shas [parti religieux ultraorthodoxe créé en 1984]. Il n’y avait pas d’autre issue possible.
Pendant des années, les Israéliens ont parlé du «peuple élu», de l’Holocauste après lequel tout est permis, des Arabes qui veulent nous jeter à la mer, de notre droit à la terre en raison des récits bibliques, de l’Armée de défense d’Israël (Tsahal) comme l’armée la plus morale du monde, de David contre Goliath, des Arabes israéliens comme une cinquième colonne, du monde entier qui est contre nous et du fait que quiconque nous critique est un antisémite. Que pensions-nous qu’il ressortirait de tout cela? Ben-Gvir, en fait, a pris son temps. Il aurait pu faire son grand tabac il y a longtemps. C’est ce qui arrive quand vous avez un Bolsonaro et pas de Lula en face de lui. C’est ce qui arrive lorsque les cris de «Mort aux Arabes», qui seront désormais répétés dans les écoles lors de la réunion matinale, n’ont pas été accueillis par un seul cri de «Liberté pour les Arabes». C’est là que ça a commencé, c’est là que ça se termine. (Article publié sur le site du quotidien Haaretz, le 3 novembre 2022 à 03h50; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Divers analystes ont qualifié l’évolution politique d’Israël comme étant marquée par un «ethno-nationalisme» dominant. (Réd. A l’Encontre)
[2] Une des facettes de la réalité de l’occupation est aujourd’hui décrite ainsi, y compris par un quotidien tel que 24 heures, le 1er novembre 2022. Nous ne citerons que ce passage: «Des attaques aux formes très variées, parfois coordonnées entre différentes colonies ou avant-postes, avec la police et l’armée israéliennes à proximité, comme l’a confirmé un rapport de l’ONG israélienne Breaking the Silence publié l’été dernier. Sans compter les menaces des colons armés sur les Palestiniens et le harcèlement moral et psychologique au quotidien qui les poussent à partir.» (Réd. A l’Encontre)
[3] Selon le Jerusalem Post du 2 novembre, selon des sources issues d’Otzma Yehudit, la formation d’Itamar Ben-Gvir et de Bazalel Smotrich, ce dernier veut «expulser par bateau et par avion ceux qui agressent des soldats de Tsahal», autrement dit tout Palestinien manifestant une résistance quelconque à l’occupation ou à une discrimination au sein de l’Etat hébreu, tout cela présenté sous l’angle d’une «lutte contre le terrorisme». Ben Gvir a ajouté qu’il fallait expulser Ayman Odeh, Arabe israélien, dirigeant du Parti communiste et président de la coalition électorale Liste arabe unie. Parmi ses autres cibles, on retrouve les membres d’ONG «étrangères» qui analysent la réalité israélienne et dénoncent les diverses formes de répression touchant les Palestiniens. Ben Gvir vise le ministère de l’Intérieur et un ou deux ministères liés au secteur de «la sécurité». (Réd. A l’Encontre)
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