Israël va «occuper Gaza» après que le gouvernement a approuvé l’extension de la guerre

Par Mera Aladam

Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a déclaré que son pays allait «enfin» occuper la bande de Gaza, le gouvernement de Benyamin Netanyahou ayant ordonné un élargissement de la guerre contre l’enclave palestinienne.

Le ministre d’extrême droite a déclaré qu’Israël ne se retirerait pas de Gaza, même si les prisonniers israéliens étaient libérés en échange, soulignant que leur libération n’était possible que si le Hamas était «maté».

«Nous allons enfin occuper la bande de Gaza. Nous allons cesser d’avoir peur du mot “occupation”», a déclaré Bezalel Smotrich au journaliste Amit Segal de Channel 12 lors d’une conférence de presse.

«Nous allons prendre enfin le contrôle de toute l’aide humanitaire, afin qu’elle ne serve pas à approvisionner le Hamas. Nous séparerons le Hamas de la population, nous nettoierons la bande de Gaza, nous ramènerons les otages et nous vaincrons le Hamas», a-t-il ajouté.

Le plan d’Israël pour étendre son offensive à Gaza diffère des opérations précédentes. Une source politique a déclaré à Ynet (Yedioth Ahronoth) que Netanyahou avait déclaré à ses ministres: «Nous passons de la méthode des raids à celle de l’occupation des territoires et de notre maintien sur place.»

Selon le plan annoncé, les Palestiniens seront contraints de se déplacer vers le sud de Gaza, et Israël est en pourparlers avec d’autres pays concernant le projet d’expulsion de la population de Gaza promu par le président Donald Trump.

«Netanyahou a souligné lors de la discussion qu’il s’agissait d’un bon plan, car il permettait d’atteindre les objectifs de vaincre le Hamas et de libérer les otages», a déclaré la même source à Ynet.

Cependant, «l’opinion publique israélienne» et d’autres officiels affirment le contraire.

Le Forum des familles des otages et des disparus, un groupe qui se consacre au retour des otages israéliens de Gaza, a riposté en qualifiant cette opération de «plan Smotrich-Netanyahou» (Haaretz, 5 mai 2025), qui, selon lui, vise à «abandonner les otages, la sécurité et la résilience nationale d’Israël».

Dans le même temps, le chef d’état-major Eyal Zamir [occupant cette fonction depuis le 5 mars] a averti que ce plan pourrait mettre en danger la vie des otages restants à Gaza. «N’oubliez pas que dans le cadre d’une vaste manœuvre, nous pourrions perdre les otages», aurait déclaré Eyal Zamir à Netanyahou.

«L’avertissement du chef d’état-major devrait priver de sommeil tous les citoyens israéliens. Une écrasante majorité de la population est unie autour de l’idée qu’une victoire israélienne ne peut être obtenue sans le retour des personnes enlevées», a répondu le Forum des familles des otages et des disparus.

«Perdre les personnes enlevées signifie une perte pour Israël. La sécurité nationale et la cohésion sociale dépendent du retour de toutes les personnes enlevées, jusqu’à la dernière.»

Contrôle militaire de la distribution de l’aide

Israël refuse toute aide humanitaire à Gaza depuis qu’il a rompu unilatéralement le cessez-le-feu avec le Hamas il y a deux mois.

Lors des discussions du cabinet sur le contrôle de la distribution de l’aide, le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a souligné qu’aucun produit de première nécessité ne devait être acheminé dans l’enclave, malgré les niveaux critiques de famine enregistrés à Gaza et l’effondrement de son secteur médical. «Nous devrions bombarder les réserves alimentaires du Hamas», aurait déclaré Itamar Ben Gvir lors des réunions.

Eyal Zamir a fait remarquer que ce type de suggestions était «dangereux pour nous», ce à quoi Itamar Ben Gvir a répondu: «Nous n’avons aucune obligation légale de nourrir ceux que nous combattons, il y a suffisamment de nourriture.»

La famine imposée et les punitions collectives constituent des crimes de guerre. Vendredi 2 mai, Amnesty International a appelé Israël à mettre fin à son blocus de Gaza, qu’elle a qualifié d’«acte génocidaire, de forme flagrante de punition collective illégale et de crime de guerre consistant à utiliser la famine des civils comme méthode de guerre».

En outre, les Nations unies et des organisations humanitaires ont dénoncé ces nouveaux plans, car la distribution de nourriture et de produits de première nécessité à plus de deux millions de personnes à Gaza sera dirigée par l’armée israélienne.

Dans une déclaration commune publiée dimanche, les agences des Nations unies et les ONG ont déclaré que ce plan «contrevient aux principes humanitaires fondamentaux et semble conçu pour renforcer le contrôle sur les articles de première nécessité comme moyen de pression, dans le cadre d’une stratégie militaire».

Elles ont ajouté que les responsables israéliens s’efforçaient de «mettre fin au système actuel de distribution de l’aide géré par les Nations unies et ses partenaires humanitaires», ce qui pourrait signifier qu’une grande partie de la bande de Gaza n’aurait plus accès à l’aide humanitaire. «Il est dangereux de pousser les civils dans des zones militarisées pour collecter des rations, mettant ainsi en danger des vies, y compris celles des travailleurs humanitaires, tout en renforçant encore les déplacements forcés», ajoute la déclaration.

Les agences des Nations unies et les organisations de défense des droits humains ont déclaré qu’elles ne participeraient à «aucun programme qui ne respecte pas les principes humanitaires mondiaux d’humanité, d’impartialité, d’indépendance et de neutralité».

«L’action humanitaire répond aux besoins des populations, où qu’elles se trouvent… Nous exhortons les dirigeants mondiaux à user de leur influence pour que cela se produise. C’est maintenant ou jamais», ont-elles déclaré.

Selon Munir al-Bursh, directeur général du ministère de la Santé à Gaza, le blocus, qui est aujourd’hui le plus sévère depuis le début de la guerre il y a 18 mois, a plongé près de 91% de la population, soit environ deux millions de personnes, dans une crise alimentaire.

Le nombre d’enfants traités pour malnutrition a augmenté de 80% en avril par rapport à mars, en raison du blocus, a rapporté le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA).

Selon l’OCHA, 92% des enfants âgés de six mois à deux ans – et leurs mères – ne reçoivent pas l’alimentation minimale requise, tandis que 65% de la population de Gaza n’a pas accès à l’eau potable.

Les forces israéliennes ont tué plus de 52 500 Palestiniens dans l’enclave assiégée, dont plus de 15 000 enfants, et blessé 118 600 autres. Au moins 10 000 personnes supplémentaires sont portées disparues. (Article publié sur le site Middle East Eye le 5 mai 2025; traduction rédaction A l’Encontre)

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La population de Gaza étranglée. Gaza occupée. Le NRC interroge les Occidentaux

Extraits de l’entretien avec Jan Egeland par Krishnan Guru-Murthy, secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés (Norwegian Refugee Council-NRC) sur la chaîne britannique 4 News le 5 mai. Le NRC affirme son opposition au projet israélien de prendre en charge la distribution de l’aide humanitaire à Gaza.

Jan Egeland: Pour nous, en tant qu’humanitaires, il est fondamental que l’aide soit distribuée de manière impartiale, indépendante et neutre à ceux qui en ont le plus besoin, là où ils en ont le plus besoin. Et ce nouveau plan israélien est en réalité un ultimatum qui dit: «Nous autoriserons l’entrée d’une aide minimale, et nous déciderons qui la recevra, où et quand.» Et il semble qu’ils ne la fourniront qu’à un petit nombre de points de concentration dans le sud de Gaza, de sorte que les personnes qui ne peuvent pas se rendre à ces endroits seront privées d’aide. Nous ne pouvons pas nous associer à une décision dictée par une partie à un conflit armé sur l’attribution de l’aide humanitaire.

Krishnan Guru-Murthy: Cela ne va-t-il pas permettre à Israël de dire: «Nous sommes prêts à laisser entrer l’aide, mais ce sont les agences humanitaires qui refusent de la distribuer»? [1]

Jan Egeland: Non, cela rendrait Israël moralement et légalement responsable de toute l’aide fournie et de toutes les personnes qui en seront exclues, et nous ne pouvons pas prendre part à cela. On ne nous demande pas de faire cela ailleurs dans le monde. Nous n’avons jamais accepté cela nulle part ailleurs dans le monde au cours des 100 dernières années.

Krishnan Guru-Murthy: Dans quel contexte cela s’inscrit-il? Car nous entendons également aujourd’hui l’annonce par Israël d’une possible occupation totale de Gaza. La situation est très floue, mais pensez-vous que ces événements sont liés?

Jan Egeland: C’est possible. Il semble qu’ils ne suivent désormais qu’une logique militaire impitoyable qui ne ramènera pas les otages, qui souffrent depuis longtemps, dans leurs familles en Israël et empêchera les femmes et les enfants, les innocents de Gaza, de recevoir de l’aide. Je ne comprends pas pourquoi ils agissent ainsi. Cela reviendra poursuivre aussi bien Israël que le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l’Allemagne, qui peuvent influencer Israël. Ils doivent le faire. Sinon, ils auront leur part de responsabilité dans cette catastrophe. [Et de même la Suisse avec son conseiller fédéral Ignazio Cassis – réd.]

Krishnan Guru-Murthy: Je veux dire, s’ils cherchent à faire passer la population de Gaza vers le sud, je suppose que cela leur donne la possibilité de poursuivre le plan Trump visant à faire sortir les gens, à les faire passer la frontière vers l’Egypte. Pensez-vous que c’est ce qui se passe?

Jan Egeland: Eh bien, je crains que les frontières avec Israël et l’Egypte restent fermées et que de plus en plus de personnes soient concentrées dans une sorte de camp d’internement où l’on dira à un membre de la famille qu’il peut aller chercher une boîte de 20 kg une fois par semaine, sans eau, sans huile de cuisson, sans rien, pour à peine survivre. Si l’on peut identifier visuellement un membre de cette famille, cela revient à exercer un contrôle total sur la population civile et à décider qui souffrira, qui recevra de l’aide et qui n’en recevra pas.

Krishnan Guru-Murthy: Cela fait deux mois qu’Israël a cessé de laisser entrer l’aide à Gaza, et cela affecte évidemment les otages ainsi que la population de Gaza. Que vous disent vos collaborateurs sur le terrain concernant la situation actuelle?

Jan Egeland: J’ai près de 100 collègues sur le terrain à Gaza, et ils disent que la famine se propage, que les maladies se propagent. Il n’y a pas d’eau potable… Le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) fournit de l’eau potable à des dizaines de milliers de personnes. Nous avons assez de carburant pour continuer pendant une semaine. Ensuite, ce sera l’effondrement. Toutes les boulangeries ont fermé. Les points de distribution ont cessé de fonctionner, il n’y a plus d’aide à Gaza, car le blocus dure depuis deux mois. Je me souviens quand Assad a fait la même chose en Syrie. C’était incroyable, le tollé à Londres, à Washington, à Berlin, à Paris, et Assad a été soumis à des sanctions massives pour avoir agi ainsi. Où est l’indignation aujourd’hui, alors que Netanyahou fait exactement la même chose? (Traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Le gouvernement israélien veut prendre en charge la distribution de l’aide humanitaire à Gaza, avec des points de distribution dans le sud de l’enclave,  impliquant des entreprises de sécurité privées et des agences humanitaires, précise El Pais Internacional du 5 mai. Le tout «entouré de barbelés», écrit Haaretz du 5 mai. Les troupes israéliennes contrôleraient qui peut entrer ou non. Et, dans le cas où la distribution serait aux mains de firmes américaines, les forces armées seraient censées les protéger. Haaretz souligne que cela ressemblerait à l’époque où, en Irak, «les entrepreneurs américains opéraient sous la direction de l’armée américaine». (Réd.)

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