Italie. Un accord entre patronat et appareils syndicaux qui vise les salarié·e·s et délégués syndicaux de lutte

    Susanna Camusso, secrétaire générale de la CGIL. Giorgio Squinzi, président de la Confindustria depuis 2012.  Non au Pacte de la honte.
Susanna Camusso, secrétaire générale de la CGIL. Giorgio Squinzi, président de la Confindustria depuis 2012.
Non au Pacte de la honte.

Par Charles-André Udry

Les chiffres officiels (ISTAT) du chômage en Italie, en avril 2013, viennent d’être publiés fin mai. Le nombre de chômeurs officiels est de 3,830 millions. C’est une augmentation de 23’000 par rapport au mois de mars. Sur une année, 373’000 travailleuses et travailleurs de plus sont officiellement au chômage. Cette augmentation du chômage concerne aussi bien les hommes que les femmes.

Parmi les jeunes de 15 à 24 ans, 656’000 recherchent un travail. Le taux de chômage par rapport à cette tranche d’âge est de 40,5%; c’est une augmentation de 5,9% depuis début mars. Ces chiffres ne reflètent pas la réalité, comme dans tous les pays. Ne sont pas pris en compte les centaines de milliers de femmes qui sont contraintes à un travail à temps partiel, avec un salaire de 500 à 600 euros par mois, que ce soit dans les grands magasins, le nettoyage, les hôpitaux, l’éducation, etc. Ne sont pas pris en compte des dizaines de milliers de travailleurs au chômage technique (Cassa integrazione) qui ne travaillent pas ou quelques jours par mois, et qui reçoivent durant un certain temps leur salaire au travers d’un fonds constitué par des versements patronaux et des salarié·e·s. Pour avoir une idée de l’importance de cette précarisation qui annonce un futur chômage, un chiffre suffit. Dans la région de Turin, les travailleurs de l’automobile et de la métallurgie ont cumulé, en 2012, 143 millions d’heures de chômage technique! Cela indique l’explosion encore à venir du chômage et donc de la pauvreté.

Prenons un exemple concret concernant l’historique province de Turin où se trouve encore une petite partie de l’industrie automobile sous le sigle du groupe Fiat. En 2008, au début de la crise, étaient répertoriées 406 entreprises en difficulté. En fin 2012, 31,7% d’entre elles avaient fermé leurs portes; 12’000 postes de travail étaient perdus. Dans l’entreprise Fiat de Mirafiori, depuis juillet 2012, les travailleurs ne sont «occupés» que trois jours par mois pour produire un seul modèle de Fiat, la Mito. La direction du groupe, symbolisée par l’Italo-Canadien Sergio Marchionne qui a opéré la fusion Chrysler-Fiat, propose comme solution pour l’emploi la création d’un pôle de voitures de luxe: la Maserati à 160’000 euros le prix le plus bas. Les chômeurs pourront voyager à l’aise. C’est une vraie provocation et un acte d’arrogance assumée pour des travailleurs qui, avec le chômage technique, reçoivent pour une très grande partie moins de 800 euros par mois, dans une ville où le coût de la vie est identique à celui de Paris ou de Genève.

«Non à l’accord de la honte, non à l’accord des patrons»

Dans ce contexte, dans la nuit du vendredi 31 mai au samedi 1er juin, les directions des trois confédérations syndicales – la UIL (Unione Italiana del Lavoro), la CISL (Confederazione Italiana Sindacati dei Lavoratori) et le syndicat formellement le plus à gauche la CGIL (Confederazione Generale Italiana del Lavoro) – ont signé un accord portant sur ladite représentation syndicale avec la Confindustria (l’organisation patronale italienne). Y compris la fédération des mécaniciens et métallurgistes, la FIOM, considérée historiquement comme la colonne vertébrale du syndicalisme tradionnel de classe, a signé cet accord. Cet accord a été signé sans avoir été discuté dans aucune assemblée, en particulier de la CGIL, contrairement à tous les statuts. Sans entrer dans les détails techniques, cet accord institue le système suivant: les conventions collectives de travail à l’échelle nationale adoptées par la majorité des trois syndicats doivent être appliquées dans chaque branche industrielle ou de services et dans chaque usine ou bureau. Les délégués d’entreprise élus par la base ouvrière n’ont pas le droit de s’opposer à ces accords, d’organiser des assemblées dans l’usine, même si 45% des travailleurs refusent l’accord. S’ils le font, leur statut de délégué sera supprimé et ils seront sur une liste noire pour le patronat. En fait, cet accord a pour but de casser le secteur des délégués syndicaux combatifs qui sont le relais de travailleurs de plus en plus exaspérés et qui sont très distants des appareils syndicaux. En éliminant cette couche, la Confindustria et les appareils syndicaux – de vrais «Labor lieutenants in the army of capital», selon la formule du syndicalisme de lutte de classe aux Etats-Unis dans les années 1930, se réclamant, en partie, de la tradition et de l’expérience de l’IWW (Industrial Workers of the World) dont un des animateurs fut Daniel De Leon, qui créa aussi le Parti ouvrier socialiste d’Amérique (SLP) –  cherchent à briser l’anneau qui assurerait une jonction entre une toujours possible révolte populaire, face aux plans d’austérité de la Troïka, et une mobilisation dans les lieux de travail. L’éditorial du quotidien financier Il Sole 24 Ore, signé par son directeur Roberto Napoletano, porte-parole de la Confindustria, en date du 1er juin 2013, affirme: «L’accord sur la représentation conclu entre la Confindustria et les syndicats, y compris la CGIL, est un signal fort qui laisse espérer une nouvelle reconstruction du pays. Beaucoup d’autres tabous [comprenez: ce qui reste du Code du travail gagné après les luttes de 1969-70], évidemment, devront tomber… Cela quand chacun aura fait sienne et cela tous ensemble la reconstruction de l’Italie.» C’est de l’unité nationale avec une tonalité de Mussolini soft.

Face à cette provocation des appareils syndicaux, le Réseau du 28 avril, animé par l’ancien dirigeant de la FIOM, Giorgio Cremaschi, et de très nombreux syndicats de base (USB, CUB, etc.), organise le 28 juin une assemblée nationale pour riposter immédiatement à cet accord et construire une alternative.

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