Grèce. Un rapport alarmant du Conseil de l’Europe et sa précaution inquiétante

Des membres d'Aube Dorée «faisant la police»
Des membres d’Aube Dorée «faisant la police»

Par A l’Encontre et Okeanews

Le 1er février 2013, Nils Muiznieks (Lettonie), le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (qui réunit 47 Etats), après un bref séjour en Grèce, déclarait: «Les crimes racistes qui se multiplient en Grèce ne doivent plus rester impunis. Il est nécessaire que policiers, juges et procureurs connaissent bien, et appliquent, la législation en vigueur contre le racisme, notamment la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, par laquelle la Grèce est liée.» Ce constat, réaliste, conduisait le Commissaire à affirmer qu’il était convaincu que le gouvernement de la Nouvelle Démocratie dirigé par Antonis Samaras – et soutenu par le PASOK d’Evangelos Venizelos et la Gauche démocrate (Dimar) de Fotis Kouvelis – et les autorités allaient «renforcer leur volonté de combattre et d’éradiquer le fléau des crimes racistes et des autres infractions motivées par la haine contre un groupe». Au-delà des formules propres au langage diplomatique, les déclarations du Commissaire du Conseil de l’Europe laissaient entendre que le gouvernement grec allait mener à bien une action déterminée devant aboutir à «mettre hors d’état de nuire toute personne ou organisation qui tient un discours de haine ou commet des infractions inspirées par la haine» et à créer «au sein de la police, de 70 unités de lutte contre le racisme».

Quiconque a une connaissance, même réduite, des liens existant entre des secteurs de la Nouvelle Démocratie et l’organisation Aube Dorée, ainsi que de la présence de longue date des connexions entre ce parti néonazi, présent dans le parlement depuis juin 2012, et des secteurs significatifs des forces de police (depuis les MAT – les CRS grecs – jusqu’à la police municipale d’Athènes) peut difficilement placer un espoir quelconque dans une volonté politique affirmée des forces et autorités gouvernementales grecques de combattre le racisme et les discriminations systématiques à l’égard des migrant·e·s. Ce d’autant plus que, en dernière instance, racisme et discriminations constituent une des facettes de la brutalité multidimensionnelle qui porte le nom de plans d’austérité à répétition.

imagesL’inhumanité de ces politiques peut être illustrée de manière quotidienne. Le vendredi 12 avril, plus de 100 personnes sans domicile ont manifesté devant le parlement, avec une banderole affirmant: «Nous n’avons pas de slogan, nous avons une revendication: celle de disposer d’un logement, d’un abri». Cette action, la première de ce type, était organisée par une ONG, Klimaka. Dans son tract, intitulé «Sleep out», elle demandait aux habitant·e·s d’Athènes de passer un jour entier dans la rue afin de prendre conscience de l’ampleur du drame en cours. Bien qu’aucune statistique n’existe, les organisations s’occupant des sans-abri considèrent que plus de 25’000 personnes sont condamnées à survivre dans la rue. L’explosion du chômage est la principale cause de cette situation qui est nouvelle pour la Grèce.

Le samedi 13 avril, un travailleur au chômage depuis trois ans et un homme qui n’avait plus été payé depuis vingt mois ont tenté de se suicider en public. L’un est décédé, l’autre a été sauvé.

Le lundi 15 avril, Samaras a annoncé à la télévision que la Troïka (FMI, BCE, UE) avait accepté de verser une tranche de 2,8 milliards d’euros à la Grèce, en fait à ses créanciers. Après avoir, avec un ton enthousiaste, annoncé «une prochaine sortie de crise», le premier ministre confirmait le licenciement de 15’000 fonctionnaires: 4000 jusqu’en fin 2013 et 11’000 en 2014.

Dans le même élan, il confirma que l’impôt «exceptionnel» sur la propriété foncière serait toujours collecté conjointement à la facture d’électricité durant l’année 2013, donc avec le risque de se retrouver sans électricité en cas de non-paiement de cet impôt.

C’est à la lumière de ces quelques données que l’on peut apprécier le rapport final – emblématique de la langue de bois – du Commissaire du Conseil de l’Europe ayant trait à la situation présente des droits de l’homme en Grèce. Toutefois, ce rapport peut servir à renforcer la légitimité des organisations qui, sur le terrain, mènent un travail de masse contre le racisme et contre les actions haineuses et criminelles d’Aube Dorée. En effet, a contrario, ce rapport est une confirmation de la complicité entre les autorités gouvernementales, la police, le pouvoir judiciaire et plus d’une initiative d’Aube Dorée. (Rédaction A l’Encontre)

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La classe politique est visée dans son ensemble par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe qui indique que «les partis politiques et le Parlement en particulier ont besoin d’adopter des mesures d’autorégulation pour combattre efficacement et sanctionner l’intolérance et les discours de haine de la part des politiciens» et précise, concernant le «parti néonazi Aube Dorée» que le droit grec, s’il était utilisé, permettrait «d’appliquer des sanctions ou une interdiction effective si nécessaire».

«Profondément préoccupé par les informations persistantes de mauvais traitements, y compris de torture», dans les prisons grecques le Commissaire ajoute que «le profilage ethnique par la police grecque est aussi un grave sujet de préoccupation».

Pour lui, «les agents du maintien de l’ordre qui sont motivés par le racisme ou agissent contre les principes démocratiques doivent être sanctionnés et démis de leurs fonctions» et il invite les autorités à lancer une campagne de grande envergure et des formations obligatoires à tous les agents de l’Etat contre le racisme. Concernant l’Asile et la politique actuelle du pays concernant l’immigration, le Commissaire «exhorte les autorités à mettre fin à la politique coûteuse et largement inefficace de détention des migrants».

C’est donc un rapport sans concession que délivre le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Un rapport qui remet d’ailleurs en cause toute la politique d’immigration du gouvernement actuel et qui demande une action d’urgence pour les droits de l’homme et la lutte contre le racisme.

La traduction du résumé du rapport complet du Conseil de l’Europe est à lire ci-dessous. Elle a été faite par Okeanews.

I. Les crimes racistes et de haine en Grèce – la nécessité d’une action urgente

Le Commissaire est gravement préoccupé par l’augmentation des crimes racistes et haineux en Grèce, qui visent principalement les migrants et constituent une grave menace pour l’Etat de droit et la démocratie. Un certain nombre d’attaques signalées ont été liées à des membres ou à des sympathisants, y compris des députés, du parti politique néonazi «Aube Dorée» qui a remporté des sièges au parlement en juin 2012. Tout en se félicitant du fait que les autorités grecques ont adopté de nouvelles mesures pour lutter contre la violence raciste, le Commissaire déplore que le discours stigmatisant les migrants a été largement utilisé dans la politique grecque et que les mesures de contrôle de l’immigration ont conduit à une plus grande stigmatisation des migrants.

Le Commissaire appelle les autorités à condamner fermement et sans équivoque les discours de haine et les crimes haineux. Les partis politiques et le Parlement en particulier ont besoin d’adopter des mesures d’autorégulation pour combattre efficacement et sanctionner l’intolérance et les discours de haine de la part des politiciens. Des campagnes de sensibilisation de grande envergure et systématiques sur les droits de l’homme et contre le racisme devraient également être mises en œuvre, en ciblant en particulier les jeunes et les écoles.

La réalisation et l’exécution d’un plan national d’action pour les droits de l’homme qui est envisagé par les autorités peuvent jouer un rôle de catalyseur dans ce contexte. Les autorités sont invitées à concevoir et mettre en œuvre des mesures visant à améliorer l’intégration ainsi que le dialogue interculturel, en s’appuyant sur les structures existantes à succès telles que le Conseil municipal d’Athènes pour les migrants et l’intégration des migrants. Dans ce contexte, la construction d’une mosquée et un cimetière musulman à Athènes est à noter depuis longtemps.

Enfin, le Commissaire exprime sa préoccupation face à l’évolution restrictive prévue dans la loi sur la naturalisation des enfants d’immigrés résidents de longue durée et la participation politique des migrants résidents de longue durée au niveau local, et invite la Grèce à adhérer à la Convention européenne de 1997 sur la nationalité et la Convention européenne de 1992 sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local et s’appuyer sur ses normes en matière de droits de l’homme.

II. La lutte contre l’impunité des auteurs de crimes haineux; l’accès des victimes à la justice et à la protection

Le Commissaire invite les autorités grecques à être très vigilantes et à utiliser tous les moyens disponibles pour lutter contre toutes les formes de discours de haine et les crimes haineux et de mettre fin à l’impunité pour ces crimes. Le droit international, notamment la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Convention européenne des droits de l’homme, qui sont ratifiées et ont une force supra-légale en Grèce, rendent possible l’imposition de sanctions dissuasives et des restrictions, pénales et autres sur les activités des personnes qui militent et sont impliquées dans des cas de crimes haineux ou racistes. La même chose vaut pour les activités des organisations politiques, dont les partis comme le parti néonazi «Aube Dorée», sur lequel il devrait être possible d’appliquer des sanctions ou une interdiction effective si nécessaire.

Le droit grec, bien qu’insuffisamment ou totalement inutilisé jusqu’à présent, a le potentiel de réduire et de prévenir les manifestations de discrimination raciale et d’autres formes de discrimination par les individus et les organisations politiques. Le Commissaire invite les autorités à accélérer la modernisation de la législation antiracisme et à mettre en œuvre la formation continue systématique et la sensibilisation à la loi anti-discrimination à tous les policiers, gardes côtes, fonctionnaires, avocats et juges.

En ce qui concerne l’accès des victimes à la justice et à des voies de recours efficaces, les autorités sont invitées à remédier aux graves lacunes de longue date concernant la durée excessive de la procédure judiciaire, notamment en renforçant les ressources humaines et matérielles disponibles pour les procureurs et les juges. Le poste nouvellement créé de procureur contre le racisme à Athènes nécessité notamment un renforcement et une extension à d’autres régions grecques de sorte que la loi antiracisme soit effectivement appliquée dans tout le pays.

Enfin, les pouvoirs publics sont appelés à tendre la main aux victimes de crimes haineux et racistes, et à établir des centres de conseils près des zones où ils vivent, d’exempter clairement des frais de plainte au pénal, et de leur fournir une aide juridique adéquate, si nécessaire, ainsi qu’une assistance.

III. Le rôle des autorités de police dans la lutte contre le racisme et les crimes haineux

Le Commissaire est profondément préoccupé par les informations persistantes de mauvais traitements, y compris la torture, commis par des agents de la force publique, notamment contre les migrants et les Roms. Le Commissaire invite les autorités à veiller à ce que la définition de la torture figurant dans le Code pénal soit entièrement alignée sur la définition de la Convention des Nations Unies contre la torture et que les allégations de torture soient effectivement examinées et sanctionnées.

La police grecque lors d'une opération contre des migrants
La police grecque lors d’une opération contre des migrants

Le profilage ethnique par la police grecque est aussi un grave sujet de préoccupation. En plus de condamner fortement et publiquement tous les cas d’abus ou de mauvaise conduite par des fonctionnaires de police, le Commissaire exhorte les autorités grecques à éliminer la culture institutionnelle de l’impunité et à établir un mécanisme de plainte indépendant et le bon fonctionnement couvrant tous les responsables de l’application de la loi, en s’appuyant utilement sur l’expérience d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe.

Les agents du maintien de l’ordre qui sont motivés par le racisme ou agissent contre les principes démocratiques doivent être sanctionnés et démis de leurs fonctions. En outre, le Commissaire souligne la nécessité de renforcer la capacité de la police à répondre adéquatement aux incidents de crimes racistes et de crimes haineux, et en particulier examiner et enregistrer toutes les données relatives à la motivation haineuse du crime. Les 70 unités antiracistes nouvellement créées et la hotline pour signaler les incidents racistes sont une avancée bienvenue. Cependant, ces unités devront être dotées de ressources suffisantes et de personnel qui devrait inclure des personnes ayant une connaissance des langues parlées par les plaignants et soient systématiquement et correctement formées aux droits de l’homme et à la lutte contre la discrimination.

En outre, les autorités sont appelées à élargir le mandat de ces unités afin d’y inclure toutes les formes de crime de haine.

IV. Asile et droit de l’immigration et de la pratique – certains défauts majeurs qui doivent être corrigés

Le Commissaire se félicite des mesures prises par les autorités depuis 2011 visant à la reconstruction du système national d’asile. Néanmoins, le commissaire demeure gravement préoccupé par la persistance des lacunes dans la législation et la pratique qui affectent négativement les droits humains des migrants, y compris les demandeurs d’asile et les réfugiés, et accroît leur vulnérabilité, notamment vis-à-vis des crimes racistes. Parmi ces lacunes, il souligne la capacité d’accueil des demandeurs d’asile très insuffisante de la Grèce, le système particulièrement dysfonctionnel pour les demandes d’asile des étrangers à la direction de la police, et la politique de détention systématique et prolongée des migrants irréguliers, souvent dans des conditions insalubres.

Il exhorte les autorités à mettre fin à la politique coûteuse et largement inefficace de détention des migrants et à fournir des alternatives possibles dans le droit et la pratique, en s’appuyant sur l’expérience d’autres pays européens. Dans le même temps, la nécessité est soulignée pour la Grèce de s’assurer que tous les migrants détenus aient un accès adéquat aux soins de santé. Les experts des ONG peuvent jouer un rôle important dans ce contexte.

Le Commissaire appelle également les autorités à assurer une protection efficace aux migrants mineurs non accompagnés, qui sont souvent laissées sans aucune aide et qui sont extrêmement vulnérables à la violence raciste et à diverses formes d’exploitation. L’accès à un système efficace de tutelle et de mécanismes adéquats de protection de l’enfance devrait être mis à disposition en priorité.

Le rapport complet est disponible en anglais sur le site du Commissaire pour les droits de l’homme du Conseil de l’Europe: https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=2053611&Site=COE&BackColorInternet=B9BDEE&BackColorIntranet=FFCD4F&BackColorLogged=FFC679

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Le résumé du texte du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a été publié par le site Okeanews sous le titre: «Le rapport alarmant du Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe» en date du 16 avril 2013.

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