France. L’EI et l’islamophobie

des-nouvelles-de-l-islamophobie-en-france-actu189Par Hanane Karimi, Thomas Vescovi,
Nadia Henni-Moulai et Fatima Khemilat

Pas en mon nom, ou #notinmyname, lit-on sur Twitter. La formule lancée, le 10 septembre, par l’Active Change Foundation, basée en Grande-Bretagne, cherche à répondre aux crimes de l’Etat islamique (EI). Le succès est immédiat. Mais, après l’ignoble assassinat d’Hervé Gourdel par un groupuscule lié à cette organisation, une partie de la presse s’emballe. Le Figaro n’a pas hésité à lancer sur son site un sondage dont la question était: «Assassinat d’Hervé Gourdel: estimez-vous suffisante la condamnation des musulmans de France?»

Invités à s’exprimer pour se désolidariser

Pour démontrer leur indignation, les musulmans sont donc (fermement) invités à s’exprimer pour se désolidariser de cet islam barbare. L’initiative britannique est sans doute louable, mais la lecture journalistique qui en est faite révèle les mécanismes d’assignation identitaire qui sont à l’œuvre dans nos sociétés. Pourtant, le 27 août, l’Union mondiale des oulémas, spécialisés dans l’exégèse religieuse, rejoignait les voix d’autres érudits musulmans à travers le monde pour condamner les actes «criminels» de l’Etat islamique en Syrie et en Irak. Un positionnement clair, mais qui a échappé à de nombreux médias.

En France, la mobilisation est au rendez-vous, avec, d’une part, l’Appel de Paris, signé le 9 septembre par des hauts responsables musulmans en solidarité avec les chrétiens d’Orient, et l’Appel des musulmans de France, publié le 25 septembre par un collectif sur le site du Figaro pour dire leur émotion après la mort d’Hervé Gourdel. Pour autant, chaque musulman doit-il rappeler explicitement son rejet de crimes dont il n’est ni responsable ni solidaire? Ne soyons pas dupes. Cette injonction sous-entend qu’il existerait bel et bien un lien entre l’EI et les musulmans. Ainsi, les musulmans absents du rassemblement organisé par la Mosquée de Paris, le 26 septembre, sont-ils complices?

Racisme insidieux

Non, sauf à postuler que tout musulman est coupable a priori. Son individualité serait alors niée au profit du collectif «musulman». Nous assistons à une banalisation d’une culpabilité ontologique qui exprime un racisme insidieux et décomplexé. Tout comme «l’antisémitisme combat la supposée perversité radicale et raciale des juifs» comme le dit Edgar Morin, l’islamophobie combat la prétendue barbarie radicale et raciale des musulmans.

Le pamphlet d’Edouard Drumont La France juive, écrit en 1886, dénonçait le danger que les juifs représentaient pour la société française. Aujourd’hui, dans notre pays, le juif a été remplacé par le musulman. Il ne s’agit pas d’introduire une concurrence nauséabonde entre minorités. Mais plutôt de tirer les leçons d’un passé qui ne passe pas.

#Notinmyname vient paradoxalement apporter une caution morale aux actions actuelles et passées commises ça et là par les puissances coalisées. On ne retient que la dimension religieuse de ce conflit, et l’on ignore les autres causes à l’œuvre, qu’elles soient économiques, géographiques, démographiques, voire impérialistes. Les musulmans se doivent de montrer qu’ils ont intégré les principes civilisationnels occidentaux.

Cette campagne s’inscrit dans ce rapport inégal, où l’un est dit «civilisé» tandis que l’autre doit dissoudre le soupçon qui pèse sur lui. A l’heure où la parole et les actes islamophobes connaissent une rapide croissance en France, les Français musulmans seraient responsables de leur propre sort. Ce n’est plus aux racistes qu’il revient de lutter contre les catégorisations et les raccourcis qu’ils opèrent, mais aux «racisés» eux-mêmes de montrer plus que jamais «patte blanche».  (Pour information, Le Monde, p. 19, 28-29 septembre 2014)

Hanane Karimi, doctorante en sociologie du fait religieux; Thomas Vescovi, étudiant-chercheur en Histoire; Nadia Henni-Moulai, journaliste; Fatima Khemilat, doctorante.

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