Avec le discours d’Edouard Philippe, la «bataille» est engagée
Un puissant mouvement de grève et de manifestions a balayé le pays le jeudi 5 décembre, puis s’est poursuivi de manière inégale et différenciée jusqu’au lundi 9 décembre. Une nouvelle vague de grèves et manifestations a eu lieu le mardi 10. Puis deux nouveaux «temps forts» ont été annoncés pour le jeudi 12 et le mardi 17 décembre tandis que la grève massive et continue paralyse les chemins de fer et les transports parisiens.
Cette politique de «temps forts» s’est chronologiquement articulée avec les manœuvres du gouvernement qui a tenté de fissurer la mobilisation en organisant de nouvelles réunions avec les syndicats le lundi 9, puis en exposant son projet le mercredi 11 décembre avant de proposer… de nouvelles concertations.
En décidant d’exposer l’architecture de son projet de réforme des retraites et en fixant le calendrier, Macron fait ainsi le choix d’engager la «bataille» (au sens premier du terme), et de jouer l’avenir de son gouvernement.
Tout dépend désormais de la capacité du mouvement profond à durer, à se renforcer donc à surmonter les manœuvres, à imposer en particulier à l’intersyndicale une vraie rupture avec le gouvernement, et à s’organiser sur cette base. (Cet article fait suite à un précédent article publié par Alencontre, qui abordait notamment le début de la mobilisation – 5 au 7 décembre – et les conditions de sa préparation.)
Mardi 10 décembre: une détermination inentamée
Après l’exceptionnelle journée de grève du jeudi 5, le nouveau «temps fort» décidé par l’intersyndicale (CGT, FO, Solidaires et FSU) avait valeur de test, de même que le niveau de la grève à la SNCF et à la RATP, ininterrompue depuis le 5 décembre.
Certes le mouvement fut moins exceptionnellement massif. Il n’en reste pas moins que la journée du 10 décembre prouva encore la puissance du mouvement.
La grève? Elle demeura massive à la SNCF et à la RATP. Elle rebondit de manière importante dans l’enseignement. Et elle toucha, de manière inégale mais réelle, bien des entreprises et nombre d’administrations. Mais dans le privé, la grève se réduisit souvent à de simples débrayages.
Les manifestations? Elles furent massives et nombreuses. Moins importantes? Sans doute. En général, d’importance moitié moindre: 5000 à Saint-Nazaire, par exemple, au lieu de 10’000 le 5 décembre; 20’000 à Lyon au lieu de 40’000. Au total, les syndicats annoncèrent près de 900’000 manifestant·e·s dans tout le pays. Même le nombre de participants indiqué par les préfectures (qui minorent la participation réelle) est encore à un niveau très élevé: 7000 à Rennes, 5000 à Limoge, 12’000 à Toulouse et à Marseille.
Néanmoins, les cortèges étaient massifs, et souvent plus dynamiques que le jeudi précédent.
À cela se sont ajoutés des blocages de lycées et de quelques universités.
Entre cette seconde journée massive du 10 décembre et la précédente se sont intercalées quatre jours d’actions.
Entre deux «temps forts»: continuité, et reconductions du 6 au 9 décembre
Le vendredi 6 décembre eurent lieu nombre de «reconductions» de la grève, en particulier dans les établissements scolaires. De même le lundi 9, ces grèves reconductibles étant «soutenues» (verbalement) et encouragées par les directions syndicales (avec une impulsion plus forte donnée par Solidaires). Pour ces grévistes (souvent minoritaires dans leur établissement) il s’agit souvent de maintenir une continuité entre deux «temps forts», parfois d’espérer engager un processus allant vers la grève générale, ou tout simplement de combattre une politique jugée intolérable.
De telles grèves reconduites jour après jour, et à l’échelle locale, exige de la part des militant·e·s qui les organisent une dépense d’énergie considérable. D’autant que le temps «libéré» par la grève est alors mis à profit, souvent, pour aller dans d’autres établissements et entreprises afin d’étendre la grève. Le risque est alors de s’épuiser dans «l’activisme» (au détriment parfois de la réflexion).
Simultanément, se développe en continu la grève à la RATP et à la SNCF. Dans ces deux secteurs, quel que soit le rôle que peuvent jouer les Assemblées générales quotidiennes (dans les dépôts, centres, etc.), la mobilisation est «cadrée» nationalement par les syndicats qui, dans ces deux secteurs, ne sont pas dans une logique de «temps forts». Cela contribue à la puissance et à la ténacité de la grève.
Il n’en reste pas moins que, dans ces deux entreprises, de même que dans l’enseignement, ou d’autres secteurs, il manque un outil (du type coordination nationale de délégués mandatés par les travailleurs) permettant aux grévistes de contrôler leur lutte… et leurs syndicats.
Cela s’avère particulièrement utile quand on combat un gouvernement qui ne cesse de promouvoir le «dialogue» avec les syndicats, et multiplie les offres de rencontre comme ce fut le cas le lundi 9 décembre.
Lundi 9 décembre: nouvelles concertations
Ce jour-là, le haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, reçoit les «partenaires sociaux», afin de «tirer les conclusions» de la concertation relancée en septembre. Tous les syndicats sont représentés.
À l’issue de cette réunion, peu d’informations sont données.
Un communiqué CGT alors publié indique cependant, en creux, le rôle de cette rencontre: «Avec la séance d’aujourd’hui, ce sont 24 réunions qui se sont déroulées. 24 réunions auxquelles la CGT a participé et durant lesquelles elle n’a eu de cesse de présenter ses propositions pour un régime de retraite solidaire». Et la CGT déplore «l’absence de réponse à ses propositions».
En clair: cette réunion a permis au gouvernement de constater que la grève en cours n’empêche pas de poursuivre le dialogue social mené antérieurement.
Et elle permet au gouvernement de procéder aux derniers ajustements avant que l’architecture de la réforme soit exposée le 11 décembre par le Premier ministre Édouard Philippe.
Mercredi 11 décembre: Macron droit dans ses bottillons
Macron s’est-il senti encouragé par la tenue (et la teneur) de ces discussions? Puis par l’apparent fléchissement des mobilisations le 10 décembre? N’a-t-il pas compris, lui et son équipe déconnectée de la réalité sociale, que les directions syndicales étaient soumises à une forte pression de la base, de l’ensemble des salarié·e·s?
Le fait est que le Premier ministre fut envoyé au front par Macron comme s’il était acquis que les organisations syndicales favorables au système universel à points, la CFDT et la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) notamment, pouvaient ne pas réagir, ou que le gouvernement pouvait se passer de leur soutien. De fait, dans le discours prononcé par Édouard Philippe devant le Conseil Économique et Social, qu’il appelle la «chambre des corps intermédiaires et du dialogue social», non seulement l’essentiel était maintenu mais quasi rien n’était concédé à ces organisations.
Sur l’essentiel, tout restait en place, avec un système universel qui fusionne les régimes des salariés avec les caisses diverses des indépendants (notaires, pharmaciens, etc.). Cela gomme un peu plus la frontière de classe et la solidarité entre salariés.
En outre, le système à points dénature ce que sont les cotisations sociales (dites «salariales et patronales») qui sont toutes une part mutualisée du salaire. Avec le système à points, on acquiert obligatoirement un certain nombre de points en fonction de son salaire ou de sa contribution (indépendants, notaires, etc.). Avant de pouvoir les utiliser 20 ou 45 ans plus tard. Quant à la «valeur» de ces points, aucun texte ne peut la garantir sur une telle échelle de temps.
Or le dispositif Macron inscrit dans le marbre que le volume total des retraites ne doit pas dépasser 14 % du PIB… même si le nombre de retraités augmente de moitié (passant de 18,6% de la population active aujourd’hui à 26,2% en 2050).
Un projet de réforme sans concessions
Sur les mesures annexes qu’espéraient les syndicats conciliateurs, même intransigeance:
- aucune concession pour les travailleurs de la SNCF et de la RATP qui sont renvoyés au «dialogue avec les présidents» de ces entreprises publiques alors que ces entreprises sont asphyxiées financièrement. Pas question de concéder pour ces régimes spéciaux «la clause du grand père» qui mettrait à l’abri de la réforme les salarié·e·s déjà embauchés. Dans le discours de Philippe, ces entreprises ne sont même pas nommées.
- aucune concession non plus pour les enseignants à qui ont fait la promesse qu’ils ne perdront pas «le moindre euro de pension»… mais qui, en réalité, perdront beaucoup même s’ils acceptent de re-négocier leur statut avec le Ministre de l’enseignement pour véritablement repenser le métier d’enseignant», discuter «des carrières et des organisations du travail».
En clair: pour que les enseignants puissent compenser (un petit peu) l’effondrement prévu de leur pension de retraite, il leur faudrait en plus accepter une augmentation du temps de travail et une aggravation de leurs conditions de travail.
À cela s’ajoute une mesure annexe, une pièce rapportée sur le projet de réforme: l’exigence du retour à l’équilibre financier, au plus tard en 2027, du régime actuel des retraites. Cette mesure dite «paramétrique» (que par avance la CFDT qualifiait de «ligne rouge») est destinée à combler les prétendus déficits du régime des retraites (déficits provoqués par la politique gouvernementale).
Ce retour à l’équilibre financier passerait par un départ plus tardif à la retraite: certes, l’âge légal de 62 ans serait inchangé, mais tout serait fait pour «inciter» les travailleurs à partir plus tard, à un âge dit «d’équilibre» (ou âge pivot) fixé à 64 ans. Le moyen utilisé serait un système de bonus-malus incitatif. Pour le Premier ministre, ce serait «la seule solution».
Et qui déciderait de ces mesures de bonus et malus? Ce devrait être les représentants syndicaux…
«Gouvernance» et co-gestion de la politique anti-sociale
La dangerosité de cette mesure n’a pas été assez soulignée. Pourtant, Édouard Philippe enfonce le clou, insistant sur le fait que les partenaires sociaux gérant ce système devront se soumettre à l’objectif: « Sur le retour à l’équilibre: À terme, je l’ai dit, ce sera la responsabilité des partenaires sociaux. (…). Il leur reviendra donc de fixer une trajectoire de retour à l’équilibre, puis de maintenir celui-ci. Si les partenaires sociaux s’entendent sur une telle trajectoire, le Gouvernement la prendra à son compte. Mais nous devons être prêts à prendre nos responsabilités. (…)
Les responsables de la nouvelle gouvernance auront à définir le bon système de bonus-malus pour aller vers ces 64 ans. Dans l’hypothèse où les responsables de la nouvelle gouvernance ne présenteraient pas une trajectoire d’équilibre, ou les moyens de la garantir, la loi-cadre aura prévu ces mécanismes.»
On a ici l’aboutissant de tout un processus. Rappelons qu’à l’origine, la Sécurité Sociale (Assurance maladie et Retraites) aurait dû être gérée par les seules organisations syndicales ouvrières puisque son financement provenait exclusivement des cotisations sociales qui sont une part mutualisée du salaire (qu’elles s’appellent cotisations «salariales» ou «patronales»). Le compromis passé avec la bourgeoisie après la Seconde Guerre mondiale conduisit à une gestion paritaire (syndicats de salariés et représentants patronaux). Puis avec de Gaulle fut introduite la gestion «tripartite», l’État s’invitant dans cette gestion. L’emprise de l’État se renforça ensuite avec le financement d’une partie de la caisse d’assurance maladie par l’impôt (la CSG-Contribution sociale généralisée) qui compensait les cadeaux faits au patronat (par les exonérations de cotisations). Et enfin, fut imposé un contrôle général par le vote annuel de la loi de finance de la sécurité sociale.
Avec le projet Macron, la branche retraite passe totalement aux mains du gouvernement (et de son Parlement obéissant) : les représentants syndicaux sont transformés en serviteurs du pouvoir, en simples exécutants de la politique dictée par la bourgeoise.
L’enjeu n’est donc pas simplement financier, il est aussi très politique.
Pour ces raisons, Macron doit désormais aller vite. Ainsi, le projet de loi devrait être présenté en conseil des ministres le 22 janvier, et mis en discussion au Parlement à partir de la fin février 2020.
Des réactions syndicales hostiles au projet Macron
Comme cela était prévisible, les directions syndicales (CGT et FO, Solidaires et FSU) se montrèrent hostiles à au projet présenté ce 11 décembre.
Moins attendue fut la réaction des organisations dites «modérées», en particulier celle de la CFDT favorable au système universel à points et n’ayant participé ni aux grèves ni aux manifestations, sauf exception telle que la fédération CFDT-Cheminot qui avait dû se rallier au dernier moment à la grève. Le dirigeant de cette fédération particulière de la CFDT, Didier Aubert, fut d’ailleurs le premier responsable syndical à réagir, dans la minute qui suivit le discours gouvernemental.
Ce dirigeant expliquait la veille encore: «si le gouvernement nous accorde la clause du grand-père, on sort du conflit tout de suite». En même temps, il s’inquiétait: «La CFDT cheminots ne jouera pas au pompier pendant que le gouvernement joue au pyromane. (…). Et, attention, on est en train d’arriver à un moment – au bout de six-huit jours de conflit – où les gens ont trop perdu pour reprendre le travail avec rien ou trois fois rien. J’ai connu 1995 et j’ai vu arriver ce point de bascule où la grève prend une dimension qui peut devenir irrationnelle».
Après la présentation du projet de réforme, sa réaction est à la hauteur de ses inquiétudes: « le compte n’y est clairement pas». Négocier avec le patron de l’entreprise? « Il n’a pas de marge de manœuvre budgétaire». Un âge pivot à 64 ans? «Cela ne me satisfait pas», et «Je ne me vois pas entrer dans les dépôts et dire que la CFDT accepte les dispositions et lève le préavis», même si «certaines dispositions vont dans le bon sens».
Un moment plus tard, la position confédérale tombe: «la ligne rouge est franchie» déclare Laurent Berger. Puis la CFDT appelle à participer aux manifestations prévues la semaine suivante (mais non aux grèves).
À la base de toutes ces réactions, celles des syndicats regroupés dans l’intersyndicale mais aussi, pour une part, celles des syndicats conciliateurs, il y a l’hostilité profonde des salarié·e·s au projet, la puissance de la mobilisation qui se réfracte jusqu’au sommet des appareils syndicaux.
En témoignent les réactions immédiates d’institutrices du 18e arrondissement parisien et interrogées par des journalistes: «on n’attendait pas grand-chose et on ne s’est pas trompé». C’est «un discours d’enfumage (…) Je suis encore plus déterminée».
Mais si l’hostilité des salarié·e·s demeurait entière à ce projet, la réponse pratique de l’intersyndicale (CGT, FO, Solidaires, FSU et UNEF) demeura dans les rails qu’elle avait tracés antérieurement: poursuite des actions «saute-mouton», avec des actions délocalisées le jeudi 12 et un temps fort national le mardi 17 décembre, tout en continuant de soutenir les «reconductions» décidées localement. Avec, toujours, une exception: la grève massive et continue à la SNCF et à la RATP.
Cette position générale inchangée reste néanmoins plus difficile à tenir en ce qui concerne la question des concertations avec le gouvernement, avec des évolutions parfois nettes pour quelques syndicats.
On ne se concerte pas avec l’ennemi
Au début de la grève comme dans la phase antérieure à la grève engagée le 5 décembre, bien peu nombreux étaient les militants à défendre l’exigence que les syndicats cessent de se concerter avec le gouvernement, et plus rares encore ceux qui faisaient prendre position dans leur AG et dans leur syndicat. Cette exigence étant souvent incomprise du fait que, depuis des décennies, s’est institutionnalisée une pratique de «dialogue social» et que se sont multipliées les instances de «dialogue», de «concertation» de «participation». De ce fait, bien des militants même radicaux évitaient soigneusement ce combat, disant ne pas trop en comprendre l’intérêt.
Pourtant, la situation d’affrontement et le mûrissement politique ont conduit à l’expression de cette nécessité.
Déjà l’Union Départementale CGT94 s’était prononcée en ce sens (cf. l’article précédent). Mais le 9 décembre, cette exigence devient unitaire dans ce département. Le communiqué de l’intersyndicale du Val-de-Marne (94) est alors titré en gros caractère: «Plus que jamais: Ni négociable, ni amendable, retrait du projet Macron-Delevoye».
Fait notable: ce communiqué est signé par la CGT 94 mais aussi par quatre autres organisations départementales : FO 94, Solidaires 94, FSU 94 et UNEF. C’est là un point d’appui.
Mais le communiqué ne va pas pour autant jusqu’à conclure sur la nécessité de boycotter tout dialogue avec le gouvernement.
Après le discours gouvernemental du mercredi 11, cette nécessaire rupture avec les concertations prit davantage de force.
Conviées le jeudi matin par la direction de la SNCF à une réunion prévue pour évoquer des questions propres à l’entreprise, la CGT-Cheminots, l’UNSA ferroviaire et SUD-Rail découvrirent que la question des retraites avait été mise à l’ordre du jour. SUD puis la CGT claquèrent alors la porte. «Cette rencontre ne visait qu’à permettre à la direction de l’entreprise et au gouvernement de pouvoir déclarer que les organisations syndicales cheminotes étaient autour de la table de la concertation» déclarait SUD-Rail. «Il n’y a rien à négocier sur ce dossier avec la direction», ajouta la CGT.
À la RATP, le PDG voulut recevoir jeudi matin (le 12 décembre) les syndicats. La CGT refusa de venir, en déclarant: «Nous demandons l’abandon du projet de réforme et pas son aménagement à la RATP». Par contre, l’UNSA et la CFE-CGC de la RATP ont accepté la rencontre. Les concertations contribuent ainsi à diviser les syndicats.
Après le discours d’Édouard Philippe, l’exigence qu’il faille rompre le dialogue avec le pouvoir est aussi exprimée dans diverses AG de base. Ce dont témoigne la position adoptée le 12 par l’Assemblée générale du lycée Berthelot (Saint-Maur 94), qui déclare en particulier: «Nous exigeons le retrait pur et simple de la réforme des retraites. Ce projet est ni amendable ni négociable. Nous appelons l’ensemble des directions syndicales:
– à exiger, dans l’unité, le retrait de la réforme des retraites dans son intégralité,
– à refuser toutes les concertations et négociations avec le gouvernement, sur n’importe quel sujet, tant que la réforme des retraites ne sera pas retirée».
Le même jour, un communiqué national de SUD éducation est titré: «Rendez-vous avec les syndicats: SUD éducation ne se rendra pas à la mascarade de Blanquer», le ministre de l’enseignement.
« SUD éducation, ainsi que l’Union syndicale Solidaires, ne se rendront à aucun rendez-vous ni dans aucune instance dans la période de mobilisation d’ampleur, et boycotteront notamment le Conseil Supérieur de l’Éducation du 18 décembre prochain.
L’heure n’est pas la négociation avec un gouvernement fébrile et discrédité.»
Le même jour, Solidaires (dont fait partie SUD) affirme: «nous ne sommes pas dupes des appels à la négociation. Nous ne nous laisserons pas enliser dans des rencontres dans les salons des ministères pour négocier la régression sociale secteur par secteur. Nous n’avons qu’un mot d’ordre: NI AMENDABLE, NI NÉGOCIABLE, RETRAIT DU PROJET ». (Bulletin des luttes n° 7 du 12 décembre). Mais il n’est pas fait grande publicité à cette position.
Les directions sous pression maintiennent leur cap
Mais de telles positions sont encore bien minoritaires. Pour l’essentiel des directions syndicales, la même stratégie demeure: l’exigence du «retrait» n’est pas toujours clairement affirmée; on poursuit l’enchaînement des «temps forts» deux fois par semaine (en «soutenant» ceux qui reconduisent la grève entre deux temps forts); et on persiste à demander des négociations sur la question des retraites.
En témoigne le communiqué de l’intersyndicale (CGT, FO, FSU, Solidaires, et de quatre organisations de jeunesse) publié le 11 décembre après la présentation du projet de réforme. Ce communiqué, qui inclut en outre la signature et le logo de la CFE-CGC (qui syndique les cadres) est d’une grande modération. Il appelle le gouvernement «à renoncer à un tel projet pour ouvrir des négociations immédiates pour améliorer le système par répartition actuel». Il n’est donc pas question de boycotter les discussions annoncées par le gouvernement. Les signataires vont donc pouvoir poursuivre les concertations. C’est ce que va faire la CFE-CGC. C’est ce que la FSU se prépare à faire.
C’est sur cette base que les signataires appellent à se mobiliser: «Plus que jamais, les organisations syndicales réaffirment leur appel à renforcer la mobilisation par la grève et sa reconduction quand les salariés le décident et par les manifestations notamment les 12 et 17 décembre prochains».
Une telle position fragilise grandement le mouvement.
La «bataille» est engagée
Édouard Philippe avait introduit son discours en disant: «cette réforme n’est pas une bataille. (…). Je ne veux pas de la rhétorique guerrière, je ne veux pas entrer dans ce rapport de force.»
Pourtant, c’est bien d’une guerre de classes dont il s’agit et, après plus de 18 mois de concertation, après 6 jours de grève massive à la RATP et à la SNCF, et après le déferlement des manifestations le 5 décembre et encore le 10, c’est bien la «bataille» que vient d’engager, le 11 décembre, le gouvernement: le conflit est ouvert, frontal, et derrière le Premier ministre, c’est Macron qui se lance dans la mêlée.
Au sens fort du mot, la bataille est donc engagée, et avec elle l’avenir du gouvernement. De ce fait, le combat prend toute sa dimension politique.
Mais ce combat ne se réduit pas à celui de deux camps. Dans ce combat, Macron ne compte pas seulement sur l’usure du mouvement (et, si nécessaire, sur une plus brutale répression policière et judiciaire). Il compte beaucoup sur la division du mouvement, et donc sur les concertations au cours desquelles il pourrait remplacer l’âge pivot par un dispositif analogue.
Du côté des opposants à la réforme, il y a donc le combat entre les travailleurs qui veulent le retrait de la réforme et les dirigeants qui cherchent le compromis: non seulement les directions syndicales dites «modérées», prêtes à tourner casaque si le gouvernement reculait sur l’âge pivot, mais aussi les directions «classiques» (dont la CGT, FO et la FSU) qui persistent à discuter avec le gouvernement.
Tout dépend donc désormais de la capacité du mouvement profond à submerger ces obstacles et ces manœuvres, et du possible surgissement d’un mouvement spontané. Et dans ce combat, les militant·e·s ont un rôle important à jouer. (14 décembre 2019)
Serge Goudard anime la publication L’Insurgé (https://insurge.fr/bulletins)
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