Est-ce l’approche des élections européennes? En tout cas, les différents partis politiques français semblent avoir perdu leur boussole. Prenons le dossier de la fusion avortée entre Alstom et Siemens. La Commission européenne s’est opposée à ce rapprochement, qui aurait selon elle bafoué les règles de la concurrence – vous l’avez entendu dans les journaux de France Culture.
Or, suite à cette décision de la Commission européenne, que s’est-il passé? Le gouvernement français et la République en Marche ont vivement dénoncé le choix de Bruxelles. «Une mauvaise décision» prise sur de «mauvais fondements», a tonné le Premier ministre Edouard Philippe. «Une décision à côté de la plaque», a même lâché la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher.
Des mots qui vont à rebours de toute la doctrine professée depuis des mois par la République en marche et par Emmanuel Macron: le respect pour les institutions européennes. Et même la volonté d’une plus grande intégration, dans une optique fédéraliste. Si le fédéralisme est l’objectif, alors pourquoi s’opposer à la Commission, garante du respect des règles et de l’intérêt général européen? Que ce type de contestation vienne de l’Italie de Salvini, de la Hongrie de Orban, rien d’étonnant. C’est plus curieux quand cela vient d’un pays dont le président a fait campagne en faisant flotter la bannière aux douze étoiles dans ses meetings. Autrement dit, Emmanuel Macron n’achète plus ce qu’il a lui même vendu.
Mais dans cette affaire, il n’est pas le seul à pratiquer la contorsion…
Non, observez la réaction de Marine Le Pen: elle se félicite de la décision de la Commission européenne! Voici une personnalité politique qui dénonce depuis des années «l’emprise de l’Europe sur les peuples», «le pouvoir de la commission sur les nations souveraines», et voilà qu’elle se mue en avocate enflammée de l’administration Juncker.
Le projet de fusion était pourtant soutenu par deux Etats souverains, la France et l’Allemagne. Mais Marine Le Pen, opposée à ce rapprochement industriel, se met donc à trouver des vertus au «pouvoir technocratique bruxellois» qu’elle dénonçait hier. En résumé dans cette affaire: la critique anti-Bruxelles vient d’Emmanuel Macron, le soutien à la commission vient de Marine Le Pen. Il faut avoir le cœur bien accroché face à ces montagnes russes idéologiques.
Comment expliquer ces confusions?
L’approche des élections européennes, cruciales, hystérise sans doute un peu tous les partis politiques. La République en marche craint d’apparaître comme «eurobéate», elle se risque donc à un petit coup de semonce contre Bruxelles. A l’inverse Marine Le Pen sait qu’elle doit affronter un procès en irresponsabilité politique. Elle essaye donc de jouer davantage la nuance.
Et puis, le débat n’est plus franco-français. Les lignes de clivage, les alliances, les mutations idéologiques parcourent tout le continent. Les pro-Union européenne cherchent à se rassembler; les forces eurosceptiques aussi. D’où une couche supplémentaire de confusion. Elle est fort bien illustrée par Nicolas Dupont-Aignan. Le patron du parti Debout la France – qui se revendique comme patriote, souverainiste – a pris parti hier soir dans la brouille entre la France et l’Italie. Pour Rome contre Paris.
Nicolas Dupont Aignan accuse Emmanuel Macron de «diviser l’Europe» et de «créer un chaos sans précédent». Est-ce vraiment patriote que de soutenir des attaques venues de l’étranger? Chacun en jugera… Mais Nicolas Dupont-Aignan pourrait sans doute reprendre la chanson de Joséphine Baker et la réactualiser: «j’ai deux amours, mon pays… et Rome». (Billet publié le 8 février sur France culture à 8h35)
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PS. Nous publierons deux articles sur Huawei et la place des processus de centralisation ainsi que des rapports interimpérialistes et géopolitiques (politiques et militaires); ainsi que sur la fusion «bloquée» Alstom-Siemens (Réd. A l’Encontre)
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