Catalogne-Etat espagnol. Cette maison est en ruine. Ce roi est un danger. Ce président un obstacle

1978, Juan Carlos et Adolfo Suarez: enserrer le procès démocratique

Par Manuel Garí

Le 1er octobre Rajoy a perdu la première bataille contre le mouvement populaire indépendantiste. Il a affirmé que l’on ne verrait pas une seule urne; il y en a eu. Il a affirmé que cela serait un divertimento (un théâtre) et cela a été un acte de désobéissance civile massif et pacifique. Il a cru à son propre mensonge: tout cela, à ses yeux, était l’œuvre d’une poignée de dirigeants politiques sécessionnistes qui manipulent la société. Il s’est retrouvé face à un mouvement social en voie de croissante auto-organisation. Il a réduit anti-démocratiquement la démocratie à ce qui est légal et l’exercice de cette dernière à l’espace confiné des salons des institutions. Il s’est retrouvé face à la rue créant une nouvelle légitimité source d’une légalité à venir.

Rajoy a puisé dans la violence policière et judiciaire [1], ce qui n’a servi à rien face à la volonté de voter en faveur d’une République catalane. Il a affirmé que l’indépendantisme ne bénéficiait pas d’un écho international et il s’est retrouvé devant une communauté internationale touchée par les agissements de la police qui convoquent les images de Rentería [2] ou, plus éloigné, celles du franquisme tardif [3]. Il a affirmé qu’il n’y aurait pas de référendum et il s’est tenu – dans des conditions très difficiles et c’est le Oui qui l’a emporté.

La tactique du Parti populaire (PP) a consisté à esquiver les aspirations démocratiques, à considérer la question dans une perspective d’ordre public, à limiter et à cerner le mouvement par une attaque de la périphérie vers le centre: calomnier, mentir, manipuler, menacer la population si elle collaborait au procés, imputer des maires, perquisitionner des imprimeries, séquestrer des urnes, frapper des gens, poursuivre en justice le chef des Mossos d’Escuadra, Josep Lluis Trapero, ou ceux des organisations de la société civile. Nous ne doutons toutefois pas du fait que l’objectif est d’en finir avec la souveraineté catalane, à la racine, et, pour cela, le PP n’hésitera pas à poursuivre la répression: contre les moyens de communication, les dirigeants politiques et en mettant un terme à l’autonomie.

La ligne de fracture la plus profonde du régime de 1978 a été la décision du mouvement populaire catalan. Le régime de 1978 est un artefact qui est parvenu à amnistier (à vie?) le franquisme, qui est le produit d’une combinaison toxique – un accord des principaux partis de gauche [PSOE et PC recyclé] avec les anciens franquistes sous les menaces de l’armée – et qui a frustré les espoirs en une démocratie républicaine non limitée permettant de décider du modèle économique et social ainsi qu’autorisant l’autodétermination des nations. Rajoy n’est pas parvenu à arrêter le «perturbateur» catalan.

Le pétrolier Prestige se brise en deux le 19 novembre 2002. Pour Mariano Rajoy, alors vice-président, l’une des pires marées noires de l’histoire avait diffusé dans l’océan des «petits fils» semblables à de la «pâte à modeler».

Rajoy en tant que dirigeant d’une droite héritière du franquisme n’explique pas; il conspire, réglemente et se dissimule. Il semble, au dire de certains de ses vieux camarades proches de José Maria Aznar [président du gouvernement de 1996 à 2004 et président d’honneur du PP de 2004 à 2016], que cette attitude lâche est illustrative de son action au sein du parti. En dehors de ce dernier, nous avons été témoin de cette couardise lorsqu’il s’est exprimé sur les «hilillos» du Prestige [4]. Il a désormais fait tout son possible pour éviter son érosion dans l’incendie catalan avant et après le 1er octobre. Il a impulsé à cette fin des changements législatifs ad-gentem [concernant la nation] pensés par et pour une nation: la Catalogne. Des changements qui ont pour résultat un instrument diabolique qui donne aux procureurs et aux juges un pouvoir politique exorbitant et incontrôlable qui ne leur reviendrait pas dans une conception démocratique du gouvernement de la société. Au même titre où il avait posé des pièges malveillants pour liquider l’Estatut catalan, en mobilisant les ressources du Tribunal constitutionnel, institution ultraconservatrice, manipulée et superflue. Obtenant grâce aux juges ce qu’il n’avait pas obtenu par les votes.

Rajoy a toutefois gagné des batailles. Je ne me réfère pas ici à celles dont nous avons rendu compte dans nos articles en ce qui concerne son œuvre contre les classes laborieuses et populaires de l’Etat espagnol: contre-réformes de la législation du travail, réductions salariales, loi muselière, perte des droits sociaux, privatisations de biens publics, vol du trésor public par son parti-famille mafieux, destruction systématique de l’enseignement et du système de soins publics ou encore abandon des personnes dépendantes. Je fais référence à des batailles en lien avec la situation actuelle.

Au cours de la semaine passée, tout l’effort rajoyien a visé à se faire accompagner par le PSOE pour intervenir contre le droit à décider. Il faut, malheureusement, constater que cela a été un succès. Le parti de Pedro Sánchez a fait la démonstration d’être un parti dirigé par PRISA [5] et Felipe González [6], bénéficiant de l’aide inestimable de bandits comme Alfonso Guerra [7] ou de défenseurs du régime de 1978 comme Susana Díaz [présidente de la Junte d’Andalousie, artisane du «coup interne» contre Pedro Sánchez] et Fernández Vara [président de la Junte d’Estrémadure depuis 2015]. Il est parvenu à subordonner son parti au PP, alors qu’il se prétendait en être l’alternative. Le Parti socialiste en payera toutefois le prix, à commencer par une nouvelle crise et la distanciation du PSC [Parti socialiste catalan, en chute libre depuis plusieurs mois] ou des Jeunesses socialistes et, espérons-le, cela conduira à se réveiller ceux et celles qui faisaient confiance dans la rénovation et la régénération de ce parti suite, aux élections primaires qui aboutirent à la victoire de Pedro Sanchez.

Ce qui est pire et qui devrait nous préoccuper et occuper nos réflexions: le PP a remporté la bataille en faisant resurgir le nationalisme excluant espagnoliste dans l’ensemble de la société d’Espagne sans aboutir, pour l’instant, à une mobilisation correspondante dans les rues. Prenons garde: pour l’instant.

En disant «pour l’instant», je pense à deux choses. D’un côté, l’effet espagnolisant est limité et nous ne devons pas considérer que soit perdue la possibilité de construire un discours qui permette à des millions de personnes de s’éloigner des idées excluantes du PP et d’une partie importante du PSOE, sans parler de celles du parti de la vengeance, Ciudadanos. Cela afin que nombreux soient ceux et celles qui pourront se diriger vers une orientation démocratique. Mais, de l’autre, ne concluons pas que la faible mobilisation de droite actuelle aurait atteint son plafond. Ce d’autant plus lorsque la polarisation va s’accroître dans les prochains jours et mois. Tout dépendra de la configuration des alliances sociales et politiques ainsi que du monde des idées et propositions qui s’élaborent dans tout l’Etat espagnol.

Décision royale d’imposer le castillan
à «toute la couronne d’Aragon» (1768)

Rajoy, et lorsque je dis Rajoy je fais référence au PP dans son ensemble, a préparé depuis des années, d’une manière constante et patiente, la haine anticatalane. Pour mémoire et de façon résumée: préjudices budgétaires inventés, boycott du cava [le «champagne» catalan], récolte de signatures contre l’Estatut, appel de Wert [8] à espagnoliser les enfants catalans par l’usage du castillan.

Au cours de ces derniers jours, avec la collaboration et le contrôle des principaux moyens de communication, le PP a imposé un discours et un récit visant à culpabiliser l’indépendantisme, recourant de manière mythique à l’histoire et occultant les griefs que la répression a provoqués en Catalogne (et, de manière évidente pas uniquement en Catalogne). Deux exemples suffisent: la langue par excellence c’est le castillan et le mythe des 500 ans en paix de la nation espagnole [9].

Ce deuxième aspect est passé dans de nombreux secteurs de la population, mais il fera rougir toute personne informée et, bien sûr, les professionnels de l’histoire. Durant des siècles, il y a eu ce que l’on pourrait appeler une coalition de royaumes – des proto-Etats en devenir – dont les monarques durent également faire face à des conflits, des résistances populaires et territoriales, en particulier à partir de Charles V [10]. Ce n’est que plusieurs siècles plus tard que s’est opéré ce que l’on pourrait qualifier communément d’unification/uniformisation avec les Bourbons au cours des premières décennies du XVIIIe siècle qui, après trois siècles, mirent un terme aux constitutions propres en Catalogne et au Pays de Valence (outre d’autres lois des royaumes existants [mais pas au Pays basque et en Navarre, qui purent conserver leurs «foros», car ces régions avaient pris le parti des Bourbons lors de la Guerre de Succession d’Espagne].

La main exécutrice fut l’ancêtre de Felipe VI, Philippe V [roi d’Espagne entre 1700 et 1746, de manière incontestée en 1716 après la victoire française lors de la guerre de Succession], dont le portrait est fixé à l’envers au musée L’Almodi de Xátiva, en punition pour son attitude brutale contre la ville [du Pays valencien, brûlée en 1707] [11].

Ils ont avivé l’esprit «expéditionnaire» au sein de la Police nationale et de la Guardia Civil, l’esprit conquistador/occupant. Pour nombre de leurs membres, il en fallait déjà peu pour cela étant entendu que la «nature» de ces corps répressifs favorise une telle conception et du fait que l’extrême droite a pris soin d’y manifester son influence. Mais si des doutes et des fissures n’apparaissent pas, les difficultés pour l’impulsion d’un mouvement démocratique dans les conditions actuelles seront encore plus grandes. Cela signifie de nouveaux défis et de nouvelles tâches pour ceux qui souhaitent éliminer les obstacles qui s’opposent à l’ouverture de nouveaux processus constituants qui nous libèrent des fléaux et des poids du passé.

Pour les libertés et la démocratie, le front constitutionnel hégémonisé par le PP est un obstacle. Il peut favoriser la fermeture de la crise du régime de 1978 sur un mode conservateur et restaurationniste. Pour cela, il est important de faire échouer la consolidation de ce bloc conservateur au moyen de l’impulsion d’initiatives, de mobilisations et de la création d’espaces de rencontre pour ceux qui, pour des raisons différentes, déçus par le PSOE et qui s’affrontent au PP, ont des comptes en souffrance face à un régime qui prétend attacher et bien attacher (à nouveau – la formule d’origine est de Franco) un modèle politique, territorial, économique et social inspiré du mensonge de la nation espagnole, du néolibéralisme et de la restriction des libertés.

Le roi et son ancêtre: Carlos III porte l’armure et le bâton de commandement

Suite au 1er octobre, un nouveau pas a été franchi. Pour préparer la société avant d’adopter de nouvelles mesures répressives. Celles déployées le 1er octobre ont été un échec. La police nationale et la Guardia civil apparaissent comme une troupe d’occupation et non comme les garants théoriques des libertés; sur twitter, la police utilisait le slogan #Estamos por ti, nous sommes là pour toi, ce qui n’a eu aucun impact. Une autre mesure peut être l’application de l’article 155 ou 116 de la Constitution, à laquelle a fait allusion Felipe de Borbón [12]. Son discours au soir du 3 octobre relevait d’un manuel d’autoritarisme espagnoliste. Il a fait sienne la narration du PP suite à l’accord coupable du PSOE. Le roi a uni son avenir à celui du PP comme rempart et défense du régime de 1978. Les lamentations de bien-pensants sont donc ridicules lorsqu’ils regrettent le rôle d’arbitre et de modérateur qu’aurait dû avoir le discours du roi; ou encore lorsqu’ils pensent qu’il aurait dû adopter une attitude réceptive respectueuse du mouvement catalan ou en faveur d’une issue politique négociée [13]. Le Bourbon a fait le Bourbon. Le Bourbon a utilisé ses prérogatives constitutionnelles. Il a rempli son rôle.

Paradoxalement, le roi a, par ses propos, rendu évident le fait que la monarchie est un danger pour la démocratie et il a mis à l’ordre du jour la nécessité de lutter pour une nouvelle Constitution, qui serait le résultat d’un/de processus qui mettent fin aux liens [entre monarchie et constitution]. Une Constitution qui aujourd’hui, sous la forme d’une boucle, empêche sa modification dans une direction de démocratisation. C’est la Constitution même qui nous place sur le sentier de la nécessité d’une rupture afin de modifier le cadre légal.

Il est temps. Nous avons une Constitution vieille, votée il y a 40 ans par ceux qui alors, eu égard au fait que l’âge légal pour voter, avaient plus de 21 ans. Si l’on se base sur les données de la population de l’Institut national de la statistique et des pourcentages de participation au référendum de 1978 [ratifié le 6 décembre par 87,78% des électeurs et une participation de 67,11% – avec toutefois diverses irrégularités], aujourd’hui vivent quelque chose comme 3’300’000 personnes qui participèrent au vote et, sur ce nombre, 2,9 millions votèrent oui.

Dès lors, l’immense majorité du pays de 2017 n’a pas pris la décision constitutionnelle; il est donc ridicule de faire allusion à la «Grande charte dont nous nous sommes tous dotés». Pour des raisons politiques (pour nombre d’entre nous) et même générationnelles (ce qui n’est pas mon cas, mais celui de la majorité), il convient de déclarer: cette Constitution ne nous représente pas. Ce n’est pas la nôtre. (Article publié le 4 octobre sur le site de la revue Viento Sur, traduction A L’Encontre)

____

[1] L’armée espagnole a envoyé des militaires à Barcelone pour qu’ils soutiennent la police nationale, a rapporté la TV belge, de langue flamande (VRT). Du matériel logistique a également été acheminé. Deux convois sont arrivés le matin du 5 octobre, à quelques kilomètres de la capitale catalane. De nombreux hôtels de la région refusent d’héberger des policiers espagnols, en protestation aux violences qui ont émaillé la Catalogne, ce dimanche. (Réd. A L’Encontre)

Renteria: les forces de l’ordre se conduisent comme une armée d’occupation au Pays basque (1978)

[2] Cité «dortoir» de San Sebastián (Donostia en basque), Rentería (Errenteria) a été le théâtre, le 13 juillet 1978, d’une décente de détachements de la police armée. Dans le contexte de la fin d’une série de grèves et de blocage d’autoroutes dans la région, ces détachements commirent des actes d’une grande violence, attaquant les habitants, détruisant des vitrines et pillant des commerces, tirant des balles caoutchouc, etc. (Réd. A L’Encontre)

[3] Le terme de «franquisme tardif» désigne les dernières années de la dictature de Franco. Ces années sont marquées, d’un côté, par des discussions à l’intérieur du régime pour une transformation de ce dernier qui, en se modernisant (dans le contexte d’évolutions sociales et économiques massives tout au long des années 1960), pourrait conserver ses structures fondamentales (Manuel Fraga est l’une des figures de ces élaborations de modernisation du régime), une ouverture très relative dans certains domaines culturels et intellectuels. De l’autre, l’émergence de mouvements de masse dans les universités, les quartiers populaires (suite à près de deux décennies d’exode rural et de croissance désordonnée et sous-équipée d’agglomérations à la périphérie des plus grandes villes) ainsi que sur les lieux de travail – sans oublier les activités des divers mouvements nationalistes basques. L’«ouverture» contrôlée – et toute relative – se combinait ainsi avec des phases de renforcement de la répression, laquelle culmina à diverses reprises dans la proclamation de l’état d’urgence au Pays basque. Ainsi, ce terme distingue les deux autres «grandes phases» de la dictature franquiste: celle de l’immédiat après-guerre civile (dans le cadre d’un processus révolutionnaire) caractérisée par les relations avec les puissances de l’axe, par une situation économique désastreuse (et une misère sociale très répandue) ainsi que par une répression brutale (travail forcé de milliers de républicains, exécutions très nombreuses, etc.); et, la seconde, la période de la fin des années 1940 et des années 1950 au cours desquelles le régime se réorganise dans le contexte de la guerre froide (établissement de bases américaines, entre autres) et finira par lancer des transformations économiques de grande ampleur. Un témoignage littéraire remarquable de ces évolutions reste le roman de Miguel Delibes Cinq heures avec Mario (1966). (Réd. A L’Encontre)

[4] Allusion à une déclaration de Rajoy qui a fait date. Elle a été émise devant la presse le 5 décembre 2002. Elle fait référence au Prestige – un pétrolier libérien appartenant à une société d’armateurs grecque battant pavillon des Bahamas affrété par une société russe basée à Zoug et transportant du pétrole russe (cette longue incise résumant à elle seule des pratiques courantes dans le transport maritime) – qui lança des signaux de détresse le 13 novembre après l’ouverture d’une brèche d’une cinquantaine de mètres sur son flanc, lors d’une tempête. Les autorités espagnoles, plutôt que de tenter que le navire soit conduit dans un lieu plus ou moins abrité pour effectuer le transvasement du pétrole, ordonnèrent qu’il soit dirigé vers la haute mer. C’est là qu’il se brisa en deux, le 19 novembre, déversant des milliers de tonnes de fioul lourd au large de la Galice. C’est dans ce contexte que le vice-président du gouvernement d’Aznar (PP), Mariano Rajoy, déclara que des ouvertures du navire ne se répandaient que des «petits fils» (hilillos) semblable à de la pâte à modeler (plastilina). Ces propos furent tenus quatre jours seulement après une manifestation de 200’000 participant·e·s sous le slogan Nunca maís (plus jamais, en galicien). Début d’un mouvement d’ampleur qui demandait des comptes à un PP majoritaire en Galice (et dont l’exécutif, entre 1989 et 2005, était aux mains de l’ancien ministre de «l’information» et du tourisme de Franco entre 1962 et 1969 et ministre de l’Intérieur dans les mois qui ont suivi la mort du dictateur, Manuel Fraga). (Réd. A L’Encontre)

[5] Groupe de presse et de médias propriétaire notamment du quotidien El País, lequel est engagé dans une guerre idéologique associant le mouvement en Catalogne à la tentative de coup d’Etat de février 1981 et réduisant la démocratie à la défense de la Constitution de 1978 telle quelle. (Réd. A L’Encontre)

[6] Figure historique du PSOE, à la tête du gouvernement espagnol entre 1982 et 1996; membre du conseil d’administration pendant plusieurs années d’Endesa Gas Natural. (Réd. A L’Encontre)

[7] Alfonso Guerra a été vice-président de 1982 jusqu’en 1991, député PSOE pendant 37 ans, jusqu’en 2015, mouillé au début des années 1990 dans des affaires de corruption. (Réd. A L’Encontre)

[8] José Ignacio Wert a été ministre de la Culture et de l’Education entre 2011 et 2015; actuel ambassadeur de l’Espagne auprès de l’OCDE; il fut à l’origine d’une «réforme» conservatrice de l’éducation et d’importantes coupes budgétaires, contestées en 2012 par les marées vertes. (Réd. A L’Encontre)

La révolte des «segadors» (faucheurs) en 1640: épisode de 500 ans
de relation de paix dans la péninsule Ibérique?

[9] De manière résumée, rappelons que l’épisode historique de la formation de «l’Espagne» fut l’association des couronnes de Castille et d’Aragon (incluant le comté de Barcelone) lors du mariage desdits Rois catholiques (Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon qui sera couronné roi d’Aragon en 1479) en 1469. Il s’agit bien d’une «association» de royaumes puisque chacune des entités la composant (c’est-à-dire avec leurs dépendances propres) conservait ses spécificités juridiques, administratives, fiscales, etc. Pour ne citer qu’un exemple les nouvelles colonies d’Amérique étaient des possessions de la Couronne de Castille alors que le Royaume de Naples dépendait de celle d’Aragon. Les 500 ans de paix du discours sont d’autant plus une construction mystifiante de l’histoire, puisqu’elle gomme des épisodes de guerres. Il faut en mentionner les principales: le soulèvement de la Catalogne entre 1640 et 1652 (appelé aussi «guerre des moissonneurs» ou des «faucheurs» en raison de sa dimension paysanne, épisode qui inspirera l’hymne catalan actuel, composé à la fin du XIXe siècle), aux causes complexes; à la guerre dite de Succession d’Espagne (entre 1701 et 1715), qui mit aux prises les principales puissances européennes autour de deux prétendants au trône d’Espagne: un Habsbourg et le futur Philippe V de Bourbon, la Catalogne prenant parti pour le Habsbourg qui sera vaincu et étant transformée en champ de bataille (avec le siège de plusieurs mois et la prise de Barcelone le 11 septembre 1714, date qui sera choisie pour la Journée de la Catalogne) et sans oublier la Guerre civile de 1936-1939. A cela il faut ajouter les tentatives diverses «d’unification nationale» en matière éducative et linguistique aux XIXe et XXe siècles. Naturellement, il existe une «mystification» qui voudrait faire de la Catalogne une «essence» selon un processus caractéristique de nombreux nationalismes. Il ne faut pas oublier que la Catalogne, région relativement industrialisée d’Espagne avec le Pays basque depuis le XIXe siècle, a aussi été la destination de millions de migrant·e·s venant d’Andalousie, de Murcie, etc. La polarisation a souvent pour effet d’effacer la complexité, les nuances et les processus réels au profit d’une opposition binaire. Il importe de garder cela à l’esprit. (Réd. A L’Encontre)

[10] 1500-1558, empereur du Saint Empire et roi d’Espagne sous le nom de Charles Ier entre 1516 et 1556; au commencement de son règne plusieurs villes se sont soulevées contre le pouvoir royal, cet épisode est connu comme la guerre des communautés de Castille, entre 1520-1522. (Réd. A L’Encontre)

[11] En matière de symbole, il faut en relever un autre. Lors de son discours belliqueux au soir du 3 octobre, jour qui a vu une mobilisation énorme en Catalogne, le roi Felipe VI avait derrière lui une peinture d’un roi en armure et tenant un bâton de commandement. Il s’agissait de Charles III (roi entre 1759 et 1788). Ce roi a été choisi en 1988 par le PSOE pour, à l’occasion du bicentenaire du Bourbon, marquer son rattachement, de plus d’une décennie, à la monarchie au mépris de son «républicanisme» antérieur. Une fastueuse exposition itinérante, de Madrid à Barcelone, permit de mettre en scène la relation de Charles III aux «Lumières» – relation discutable mais utile aux desseins du PSOE. C’est aussi ce roi qui a interdit la publication de livres en catalan et exigé que l’enseignement se fasse exclusivement en castillan. (Réd. A L’Encontre)

[12] Voici le texte de ces deux articles, dans leur traduction française officielle (www.congreso.es):

Article 116

1. Une loi organique réglementera l’état d’alerte, l’état d’exception et l’état de siège, ainsi que les compétences et les limitations correspondantes.

L’état d’alerte. 2. L’état d’alerte sera déclaré par le Gouvernement par un décret pris en Conseil des Ministres pour une période maximum de quinze jours. Il en sera rendu compte au Congrès des députés qui se réunira immédiatement à cet effet et sans l’autorisation duquel ce délai ne pourra être prorogé. Le décret déterminera le territoire auquel s’appliquent les effets de la déclaration.

L’état d’exception 3. L’état d’exception sera déclaré par le Gouvernement par un décret pris en Conseil des Ministres, après autorisation du Congrès des députés. L’autorisation et la proclamation de l’état d’exception devront déterminer expressément les effets de celui-ci, le territoire auquel il s’applique et sa durée, qui ne pourra pas excéder une période de trente jours, renouvelable pour la même durée et dans les mêmes conditions.

L’état de siège. 4. L’état de siège sera déclaré à la majorité absolue du Congrès des députés sur la proposition exclusive du Gouvernement. Le Congrès déterminera le territoire auquel il s’applique, sa durée et ses conditions.

5. On ne pourra procéder à la dissolution du Congrès aussi longtemps que sera en vigueur l’état d’alerte, l’état d’exception ou l’état de siège. Les Chambres seront automatiquement convoquées au cas où elles ne seraient pas en session. Leur fonctionnement, ainsi que celui des autres pouvoirs constitutionnels de l’Etat, ne pourra pas être interrompu tant que seront en vigueur les états mentionnés.

Lorsque le Congrès aura été dissous ou que son mandat aura expiré et que se produit l’une ou l’autre des situations donnant lieu à l’un des états indiqués, les compétences du Congrès seront assumées par sa Députation permanente.

6. La déclaration de l’état d’alerte, de l’état d’exception et de l’état de siège ne modifiera pas le principe de la responsabilité du Gouvernement et de ses agents reconnus dans la Constitution et dans les lois.

Article 155

1. Si une Communauté autonome ne remplit pas les obligations que la Constitution ou d’autres lois lui imposent ou si elle agit de façon à porter gravement atteinte à l’intérêt général de l’Espagne, le Gouvernement, après avoir préalablement mis en demeure le président de la Communauté autonome et si cette mise en demeure n’aboutit pas, pourra, avec l’approbation de la majorité absolue du Sénat, prendre les mesures nécessaires pour la contraindre à respecter ces obligations ou pour protéger l’intérêt général mentionné.

2. Les Communautés autonomes pourront agir comme délégués ou collaborateurs de l’Etat pour le recouvrement, la gestion et la liquidation de ses ressources fiscales, conformément aux lois et aux statuts.

[13] A l’extérieur de la péninsule, les déclarations de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale sont à cet égard sidérantes. Extrait d’une déclaration vidéo du «leader maximo», Jean-Luc Mélenchon sur la Catalogne: «Le gouvernement de la généralité de Catalogne a décidé de procéder à un référendum sur l’autonomie catalane. Evidemment ce référendum, disent les juristes espagnols est contraire à la constitution. Cela ne peut pas être ce gouvernement qui déclenche ce référendum. Si c’est cela, il n’y a plus aucun Etat possible en Europe. On peut décider cela… Il y en a qui ont cela en tête… Une Europe où l’on reviendrait à la période du Saint Empire Romain Germanique, avec des petites principautés, des duchés, des baronnies… et au-dessus de tout cela le fric pour tout le monde, le libre-échange, le marché et le moins d’Etat possible. Quoi qu’il en soit, nous sommes en situation de conflit, le gouvernement espagnol et la grande partie de la population espagnole ne veulent pas qu’on mette le doigt dans le cycle des référendums pour l’indépendance. » Source : https://www.youtube.com/watch?v=1XiIzDICv-Y (Réd. A L’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*