Réponse d’Henri Sterdyniak
L’économie est une science sociale qui utilise une grande variété de méthodes et on ne peut pas considérer qu’une seule est valable [voir à ce propos l’ouvrage récent Le négationnisme économique et comment s’en débarrasser, par Pierre Cahuc et Pierre Zylberberg (Flammarion) et la réponse argumentée de Michel Husson mise en ligne sur le site alencontre.org: «Négationnisme économique : quand la «science» économique pète les plombs»].
Il ne saurait y avoir une vérité imposée, car c’est cela qui est dangereux. Avant la crise financière de 2008 par exemple, l’idée dominante martelait que les marchés financiers étaient rationnels, que leur fonctionnement permettait la meilleure distribution des ressources financières et qu’ils pouvaient s’autoréguler, rendant toute intervention publique inutile. La crise est passée par là et a mis en lumière l’instabilité des marchés et la nécessité d’une intervention publique forte…
L’observation permet d’analyser les phénomènes et d’en tirer des conclusions. Par exemple, c’est l’observation qui révèle que le capitalisme financier à l’œuvre aujourd’hui fonctionne sur des mécanismes conduisant les entreprises à rechercher le profit pour le distribuer aux actionnaires. Cette obsession de la rentabilité aboutit à des crises économiques, voire écologiques. Il ne s’agit pas de verser dans la théorie du complot. C’est un constat. De même, l’observation historique et économique conduit à constater que la mondialisation est source de problèmes dans les pays développés.
L’expérimentation prônée par les auteurs du livre Le négationnisme économique occupe une part extrêmement faible dans la recherche économique, car elle s’applique seulement à certains phénomènes. Elle pose aussi la question du caractère généralisable des expériences menées. Des économistes prestigieux comme le prix Nobel Joseph Stiglitz, ou Paul Krugmann mais aussi Michel Aglietta, en France, n’utilisent pas la méthode expérimentale et ils disent pourtant des choses intéressantes. D’autres méthodes de travail existent: la modélisation, l’économétrie ou tout simplement le suivi de l’actualité, pour les macro-économistes et les conjoncturistes.
Il existe des travaux très formalisés et d’autres davantage sociologiques, qui s’intéressent aux interactions entre l’économie et la société, tout comme il y a des mathématiques pures et des mathématiques appliquées. Pourquoi en écarter certains? Le risque serait de voir le débat public tronqué et appauvri.
Les économistes dits « hétérodoxes », parmi lesquels je me situe, sont critiqués au motif qu’ils auraient une approche militante, et non scientifique. A mes yeux, aucun économiste ne peut se revendiquer pur esprit, dénué de toute sensibilité. Il n’y a pas d’un côté les scientifiques et de l’autre ceux qui n’en sont pas.
Moi-même, je suis un économiste et comme tous mes confrères «hétérodoxes», j’ai suivi le parcours universitaire, j’ai soutenu une thèse et j’en encadre aujourd’hui, je publie mes travaux dans des revues… Et j’interviens dans le débat public parce que c’est légitime. D’ailleurs, les auteurs du livre controversé en font autant. Il faut du débat, en économie comme en politique, même si je suis conscient que pour le citoyen, il peut être difficile de s’y retrouver. (Propos recueillis par Marie Dancer, publiés dans La Croix en date du 19 septembre 2016)
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Henri Sterdyniak? est directeur du département Economie de la mondialisation à Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE).
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