Par China Labour Bulletin
La nouvelle loi chinoise sur la sécurité au travail (Work Safety Law) entre en vigueur le 1er septembre 2021. Cette troisième révision de la loi témoigne des efforts continus du gouvernement pour améliorer la sécurité au travail, mais révèle également tout ce qu’il reste à faire pour que la «sécurité avant tout» devienne une réalité plutôt qu’un simple slogan.
La loi révisée augmente les amendes et les sanctions administratives pour les entreprises contrevenantes et permet même au Parquet populaire (People’s Procuratorate) d’intenter des procès dans l’intérêt public. Il est important de noter que la loi inclut désormais dans son champ d’application les millions de travailleurs et travailleuses employés par des plateformes en ligne – tels que les livreurs d’aliments – et les travailleurs intérimaires.
La loi clarifie les droits et obligations des employeurs, des travailleurs et du syndicat officiel chinois. Les employeurs sont tenus de veiller à ce que tous les travailleurs connaissent et respectent les règles de sécurité et utilisent des vêtements et des équipements de protection. Toutes les mesures de sécurité, y compris l’assurance contre les accidents du travail, doivent être stipulées dans les contrats de travail officiels.
Les travailleurs ont le droit de signaler les problèmes de sécurité au travail et de refuser tout ordre de la direction qui contrevient à la loi ou met en danger leur santé et leur sécurité. Si les travailleurs découvrent un danger évident et présent sur le lieu de travail, ils ont le droit d’arrêter la production et d’évacuer les lieux selon les procédures d’urgence.
Le syndicat de l’entreprise a des droits et des responsabilités supplémentaires, notamment le droit d’être consulté sur la mise en œuvre de toute nouvelle mesure de sécurité. Le syndicat peut exiger la rectification des dangers qui menacent les droits et les intérêts des travailleurs. Il a le droit de participer aux enquêtes sur les accidents, de soumettre des avis aux autorités locales sur ses conclusions, et de demander que les responsables rendent des comptes.
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Nombre de ces dispositions sont en place depuis l’entrée en vigueur de la loi en 2002, mais la dernière version fait apparaître clairement la responsabilité des syndicats en matière de sécurité au travail. Dès lors, il convient de se poser la question suivante: comment le syndicat va-t-il réagir? Les responsables syndicaux saisiront-ils l’occasion de jouer un rôle plus proactif dans la sécurité au travail ou continueront-ils à se cacher dans l’ombre?
Le bilan des responsables syndicaux locaux en matière de sécurité au travail n’est pas encourageant. A maintes reprises, lorsque les animateurs du China Labour Bulletin ont contacté des responsables syndicaux locaux à la suite d’un accident du travail survenu dans leur circonscription, ceux-ci se sont montrés évasifs et ont cherché à éluder toute question relative à leur inaction. Souvent, ils affirment qu’ils n’ont pas l’autorité administrative pour intervenir dans les questions de sécurité au travail et que seul le gouvernement local peut le faire.
Après la mort de 23 travailleurs par empoisonnement au monoxyde de carbone dans la mine de charbon de Diaoshuidong, à Chongqing, le 4 décembre 2020, le directeur du China Labour Bulletin, Han Dongfang, a contacté les syndicats à tous les niveaux administratifs de Chongqing, depuis les syndicats municipaux et de district jusqu’au sous-district et au canton de Ji’an. Même une simple question, comme celle de savoir s’il existe un syndicat d’entreprise à la mine de charbon, a suscité une réponse paniquée. Les responsables de la fédération des syndicats du district de Yongchuan ont renvoyé les demandes de renseignements au syndicat municipal supérieur ou au département de propagande du Parti du district, qui supervise techniquement le syndicat.
Finalement, lorsque Han Dongfang s’est adressé au département de la propagande, on lui a répondu: «Nous ne maîtrisons pas ce genre de choses ici. Nous sommes le Département de la propagande. Comment dès lors pourrions-nous connaître l’organisation des syndicats dans les entreprises d’extraction du charbon?»
Une autre fois, en mai 2020, des responsables syndicaux de la ville-district de Guanghan, dans le Sichuan, ont complètement ignoré les dangers liés à la production de feux d’artifice dans l’usine proche, alors même qu’un inspecteur principal de la fédération provinciale leur faisait la leçon sur l’importance de la sécurité au travail. «Partout où il y a de la production, le syndicat doit s’impliquer pour assurer la sécurité au travail», leur a-t-on dit.
La ville-district de Guanghan abrite l’usine de feux d’artifice de Jinyan, dont les résultats en matière de sécurité sont catastrophiques depuis plusieurs années. Mais personne au sein du syndicat du district n’a établi de lien entre l’insécurité régnant dans cette entreprise et les risques d’accident. Au lieu de cela, les responsables se sont concentrés sur l’organisation de la célébration du 30 juin 2020 pour le 99e anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois.
Une semaine seulement après cet événement, le 8 juillet, un stock de nitrocellulose hautement inflammable entreposé dans l’usine s’est spontanément enflammé sous la chaleur de l’été, provoquant un incendie qui a nécessité l’évacuation de 7100 villageois. Des pompiers de dix casernes locales ont été envoyés pour lutter contre l’incendie, mais avant qu’il ne puisse être totalement maîtrisé, une autre énorme explosion a gravement blessé deux pompiers et quatre résidents. L’un des pompiers est décédé plus tard des suites de ses blessures.
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La loi sur la sécurité au travail n’est pas le seul texte de loi qui souligne la responsabilité du syndicat en matière de sécurité des travailleurs. La loi sur les syndicats et la charte syndicale précisent également les obligations du syndicat, mais les responsables syndicaux continuent de fuir leurs responsabilités et prétendent que la sécurité au travail ne les concerne pas.
La All-China Federation of Trade Unions (ACFTU-Fédération nationale des syndicats de Chine) affirme avoir participé à la rédaction de la loi sur la sécurité au travail, mais rien ne prouve qu’elle soit disposée à donner suite aux dispositions qu’elle contient. L’ACFTU considère toujours son rôle comme un travail de propagande, consistant à «éduquer» les travailleurs sur la sécurité plutôt que de les mobiliser pour qu’ils participent activement à la sécurité au travail.
Un autre point important à noter ici est que si la loi révisée donne effectivement au syndicat et aux travailleurs la possibilité d’agir, son objectif premier est de renforcer le contrôle et la supervision administratifs par le biais d’inspections rigoureuses et de sanctions plus sévères en cas de transgression. Cette approche verticaliste est la procédure de fonctionnement standard depuis des décennies maintenant. Et bien que la Chine ait connu une baisse constante du nombre d’accidents et de décès liés au travail (selon les statistiques officielles), les accidents du travail sont toujours quotidiens dans le pays.
L’accent disproportionné mis sur le contrôle administratif n’a réussi qu’à créer un cycle sans fin de tragédies; les accidents sont suivis d’enquêtes, qui sont suivies de campagnes de rectification, qui sont le plus souvent ignorées par les entreprises locales, ce qui entraîne un nouvel accident.
La seule façon de sortir efficacement de ce cycle est de s’assurer que les dispositions de la loi sur la sécurité au travail qui permettent la participation des travailleurs et des syndicats à la supervision de la sécurité au travail sont pleinement réalisées. Cela signifie que les responsables syndicaux devront quitter leurs confortables bureaux, se rendre sur les lieux de travail à risque, organiser les travailleurs et prendre des mesures rigoureuses contre les employeurs qui violent la loi et menacent la santé et la sécurité des travailleurs. (Article publié sur le site China Labour Bulletin, le 9 août 2021; traduction rédaction A l’Encontre)
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