Par Rédaction de Frontier
Cette semaine, la crise du Covid-19 a continué à échapper à tout contrôle, les patients luttant pour avoir accès à l’oxygène supplémentaire. Par ailleurs, le cessez-le-feu dans la région de Kayah a commencé à se rompre. Le procès grotesque d’Aung San Suu Kyi s’est poursuivi. Un groupe d’économistes a émis un pronostic sombre pour le secteur de l’électricité. (Rédaction de Frontier)
La pénurie d’oxygène exacerbe la crise du covid
Une fois de plus, notre sujet principal cette semaine est la terrifiante crise du Covid-19, qui continue de s’aggraver sans qu’on puisse en voir la fin. La situation a été exacerbée par la pénurie d’oxygène, l’entêtement des autorités, la grève du personnel de santé du gouvernement et la profonde méfiance du public envers l’armée. Mais d’abord, les données chiffrées.
La junte a fait état de 32 490 cas supplémentaires cette semaine [du 8 au 15 juillet] – y compris le nombre record de 7083 cas mardi 13 juillet – et de 725 décès, dont un maximum de 165 jeudi 15 juillet. Ces chiffres ne semblent toutefois qu’effleurer la gravité réelle de l’épidémie, puisque les organisations caritatives affirment que 600 personnes sont mortes dans la seule ville de Yangon, le 13 juillet. Nous observons également des taux de positivité stupéfiants, avec un taux de 37,9% jeudi 15 juillet.
Compte tenu de l’ampleur de l’épidémie, il n’est pas surprenant qu’il ait rapidement submergé un secteur des soins de santé déjà paralysé suite au coup d’État. Les médias sociaux et traditionnels ont été inondés cette semaine d’informations ayant trait à des patients désespérés cherchant, sans grand succès, des bouteilles d’oxygène.
La réponse initiale de la junte a semblé être double: obstruction et politique de l’autruche. Tout d’abord, le ministère de la Santé a interdit la vente d’oxygène au secteur privé, affirmant que la forte demande du public faisait grimper les prix et que les personnes non formées ne pouvaient pas administrer en toute sécurité l’oxygène qui sauve des vies. Le problème est qu’avec des hôpitaux submergés, de nombreux patients gravement malades n’ont d’autre choix que de se soigner chez eux. Cette situation a été aggravée par la grève massive des travailleurs de la santé (suite au coup d’Etat). A quoi s’ajoute le manque de confiance dans les services publics sous ce régime. Ensuite, le chef de la junte, Min Aung Hlaing, a nié l’existence d’une quelconque pénurie d’oxygène, rejetant la responsabilité du problème sur les personnes qui achètent plus d’oxygène que nécessaire et sur l’agitation politique.
Alors même que le dictateur niait la réalité, son ministère de la Santé racontait une histoire complètement différente, se démenant pour importer de l’oxygène de Thaïlande et de Chine. Mercredi, le ministre de la santé, Thet Khaing Win, a discuté des plans visant à «prévenir le manque d’oxygène» lors d’une réunion à Nay Pyi Taw (la capitale politique). L’article des médias officiel mentionne également que la Food and Drug Administration (des Etats-Unis) a «assoupli les restrictions sur l’importation de générateurs d’oxygène», l’oxygène liquide devant arriver de Thaïlande par Myawaddy et de Chine par la ville frontière de Muse. Un autre article est intitulé «La ville de Kalay est confrontée à une grave pénurie d’oxygène car l’usine d’oxygène autonome ne peut fonctionner à plein régime». Il cite un ancien de la ville qui qualifie de «crise» la «pénurie dévastatrice d’oxygène».
Le jour suivant, 820 tonnes d’oxygène auraient été livrées depuis la Thaïlande via Myawaddy (dans l’Etat Karen). La majeure partie de l’approvisionnement semble avoir été destinée aux hôpitaux de Yangon, auxquels le ministre adjoint de la Santé a déclaré que la priorité serait accordée. Bien que Thet Khaing Win ait déclaré que l’oxygène sera «destiné à la consommation du grand public», on ne sait toujours pas s’il sera réservé aux hôpitaux publics ou si la junte assouplira les restrictions relatives à l’utilisation personnelle. Les 11 hôpitaux prioritaires énumérés par l’adjoint du ministre semblent tous être des hôpitaux publics, ce qui signifie que de nombreux patients continueront probablement à mourir chez eux, ce qui contribue également à la sous-estimation (officielle) du nombre de morts.
Sur les conflits armés
Le cessez-le-feu controversé dans l’Etat de Kayah risque de s’effondrer, après que des combats ont éclaté, près de la capitale de Loikaw, lundi matin entre la Tatmadaw (forces armées de la june) et l’Armée karenni (KA), le groupe armé le plus puissant de l’Etat. Un habitant a déclaré à The Irrawaddy qu’une colonne de la Tatmadaw était tombée dans une embuscade tendue par des combattants de l’Armée karenni. Le Parti national progressiste karenni (KNPP), l’aile politique de la KA, a déclaré que sept soldats de la Tatmadaw avaient été tués dans les combats, qui ont consisté en quatre affrontements distincts sur une période de 12 heures près des villages de Dawtahe et Tee Lon.
Ces affrontements ont fait suite à un cessez-le-feu informel conclu le mois dernier par les forces de la junte et les forces de défense des nationalités karenni, une coalition de groupes armés basés à Kayah. Ce cessez-le-feu a été controversé dès le départ et rejeté par certains groupes. Il n’est pas certain que le KNPP l’ait soutenu, d’autant que l’accord semble avoir été négocié en partie par des groupes armés rivaux plus proches de la Tatmadaw. Selon The Irrawaddy, l’affrontement de lundi est le deuxième de ce mois, la KA ayant également combattu les forces de la Tatmadaw, assistées par des milices pro-militaires locales, le 2 juillet. Curieusement, l’une des milices qui aurait combattu aux côtés de la Tatmadaw est le Front de libération des peuples des nationalités karenni, qui aurait également aidé à négocier le cessez-le-feu.
Dans la région de Sagaing, où la Tatmadaw a récemment effectué un raid dans le district de Kani, les habitants ont fait la macabre découverte de 15 corps gisant dans les bois, accusant les militaires de massacrer des civils. Les rapports et les photos publiés par Myanmar Now et Radio Free Asia montrent clairement que les victimes n’ont pas toutes été tuées au cours des combats: de nombreux corps avaient les yeux bandés, étaient attachés et portaient des traces de torture. «Les deux premiers corps que nous avons trouvés avaient le visage tailladé avec des couteaux. Nous en avons trouvé avec des membres cassés et d’autres avec le cou tranché. Certains étaient presque décapités et d’autres avaient les membres mutilés. Nous pouvons supposer qu’ils ont tailladé le visage des victimes avec des couteaux pendant qu’ils les interrogeaient», a déclaré à Myanmar Now un habitant de la région, qui faisait partie du groupe ayant trouvé les corps. Un autre a affirmé qu’il y avait des mines placées près des corps.
La farce du procès continue
L’équipe juridique d’Aung San Suu Kyi a déclaré que quatre nouvelles accusations de corruption avaient été portées contre elle, cette fois à Mandalay. Deux visent Aung San Suu Kyi, alors que les deux autres concernent des coaccusés, dont Min Thu, ancien membre du conseil de Nay Pyi Taw, qui est en état d’arrestation peu après le coup d’État.
Elle doit maintenant répondre de dix chefs d’accusation à Yangon, Nay Pyi Taw et Mandalay, ce qui semble un peu excessif étant donné que ces «affaires» sont clairement motivées par des considérations politiques et qu’elles sont assorties de peines d’emprisonnement suffisantes pour qu’elle reste en prison jusqu’à la fin de sa vie. Et qu’il est peu probable que ces accusations convainquent le public qu’elle a fait quelque chose de mal. Jeter encore un peu plus de boue ne va faire tenir son image.
Son avocat principal, Khin Maung Zaw, a déclaré que le contre-interrogatoire de l’équipe juridique, lundi, a révélé que la première descente au domicile d’Aung San Suu Kyi, le matin du coup d’État, était illégale car aucun mandat n’avait été émis. Ce qui est surprenant, ce n’est pas qu’ils n’aient pas suivi les règles – après tout, tout le coup d’État était illégal – mais qu’ils l’aient admis devant le tribunal.
Les avocats ont également déclaré à The Irrawaddy que les membres du personnel de sécurité chargés, par le ministre de l’Intérieur, de garder Aung San Suu Kyi – un fidèle de Min Aung Hlaing – étaient «tous absents» lorsque les soldats ont fait irruption à son domicile. Cela souligne la position précaire dans laquelle se trouvaient les dirigeants civils avant le coup d’État. Ils ont également soutenu devant le tribunal que les talkies-walkies ont été trouvés dans les locaux du personnel de sécurité et ont exigé que les procureurs présentent des preuves concrètes qu’ils appartenaient à Aung San Suu Kyi, tel un reçu pour leur acquisition.
Le procès s’est poursuivi mardi, avec un incident étrange qui semble souligner à quel point l’ensemble du procès relève de la farce. L’avocate Min Min Soe a raconté à Frontier que l’équipe de défense a fait objection lorsqu’un homme en civil a commencé à prendre des photos des accusés pendant le procès. Au lieu de dire à l’homme d’arrêter, le juge a déclaré qu’il était «autorisé à prendre des photos» parce que les procureurs l’avaient «demandé» au tribunal, affirmant qu’ils avaient besoin des images pour un «rapport à soumettre à l’échelon supérieur». Le juge a ajouté que l’affaire serait réglée lors de la prochaine audience. En plus d’être bizarre, l’incident semble suggérer que l’accusation a une influence «inappropriée» sur le juge. Encore une fois, ce n’est pas une grande surprise, mais on pourrait penser qu’ils essaieraient de le cacher un peu.
Luttes de pouvoir
Un groupe se faisant appeler «Independent Economists for Myanmar» a publié une analyse du secteur de l’électricité du pays après le coup d’Etat, avertissant que la prise de pouvoir par les militaires et la résistance populaire ont créé une double crise.
La première est un déficit de financement à court terme qui se chiffre en milliards de dollars, car les clients ne paient pas leurs factures d’électricité, un sujet sur lequel Frontier a également écrit précédemment. Les chiffres sont accablants: le rapport indique que seuls 3% des clients de Mandalay et 2% de ceux de Yangon paient leurs factures. Si le régime ne parvient pas à contraindre les gens à payer, il pourrait être confronté à des pertes pouvant atteindre d’ici la fin de l’année plusieurs milliards (ce chiffre inclut également les pertes antérieures au coup d’Etat dues aux réductions de factures liées au covid). Cela pourrait entraîner une forte inflation si la junte est obligée d’augmenter la masse monétaire pour couvrir le déficit de financement.
Les autorités tentent de forcer les gens à payer leurs factures en coupant l’approvisionnement de certains ménages, mais les groupes de guérilla ont répondu en bombardant les bureaux d’électricité et, à Mandalay, en tuant des employés de l’électricité.
La deuxième crise est de longue durée et concerne l’approvisionnement en électricité. Est en déclin la production des champs de gaz existants, qui fournissent à la fois des devises étrangères grâce aux exportations de gaz et du gaz pour la production nationale d’électricité. Les renouvellements prévus risquent d’être fortement retardés en raison de la prudence des investisseurs, des boycotts et des difficultés de mise en œuvre. Min Aung Hlaing n’a cessé de parler d’hydroélectricité et d’énergie solaire, mais le développement de projets hydroélectriques prend de nombreuses années et de nombreuses centrales proposées (comme Hatgyi) se trouvent dans des zones où les conflits sont en augmentation.
L’appel d’offres de l’année dernière concernant l’énergie solaire a été annulé, et presque tous les projets ont été abandonnés. Un appel d’offres récemment annoncé non seulement fournira beaucoup moins d’électricité, mais sera probablement attribué à des entreprises privilégiées par la junte, ayant peu d’expérience, ce qui pourrait nuire à l’exécution. La principale conclusion pour les utilisateurs est qu’ils doivent s’attendre à ce que les coupures de courant deviennent plus fréquentes et durent plus longtemps. (Traduction de la lettre Frontiers Fridays du 16 juillet 2021; traduction par la rédaction de A l’Encontre)
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