Occupy: “Prêts à occuper nos maisons!”

Marche de Occupy au 702 Vermont Street, New York

Par Blair Ellis et Laura Durkay

Les trois coups ont sonné pour l’ouverture de la pièce «élections présidentielles» aux Etats-Unis. Le mouvement Occupy, qui se développe de façon logiquement inégale, va devoir faire face à des initiatives venant de la «gauche» du Parti démocrate, d’autant plus le candidat républicain va affirmer un profil virulent anti-Obama. Il ne s’agit pas de «gonfler» la dynamique du mouvement Occupy. L’important est de capter les divers types d’initiatives et d’objectifs sociaux et, de fait, politiques que ce mouvement a mis à l’ordre du jour. Les divers articles traduits et publiés sur ce site le sont dans cet esprit. Après voir insisté sur les actions d’une relativec envergure qui se sont déroulées sur la côte Ouest, il nous semble important d’éclairer une action, certes limitée, contrecarrant la politique de saisie des logements. (Rédaction A l’Encontre)

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Le 6 décembre 2011, le mouvement Occupy s’est engagé dans une nouvelle étape lorsque des manifestant·e·s ont occupé des maisons saisies lors d’actions et de résistance aux expulsions qui se sont déroulées dans plus de 25 villes à l’occasion d’une campagne nationale en cours.

Beaucoup d’activistes du mouvement Occupy voient cette campagne comme ne se limitant pas seulement à une journée d’action, mais comme un nouveau front du mouvement. Un manifestant l’expliquait ainsi à New York au travers du «people’s microphone» [1] sur le quai de la ligne 2/3 du métro aérien de Brooklyn: «Aujourd’hui, le mouvement Occupy va venir dans les quartiers et les régions qui ont le plus besoin de ce mouvement. Occupy Wall Street va rentrer à la maison.»

Les activistes d’Occupy Wall Street se sont associés avec des groupes de quartiers actifs dans l’est new-yorkais, une région à dominante noire et latino de Brooklyn, dont le taux de saisie des logements est cinq fois plus élevé que la moyenne de l’Etat. La journée a commencé avec une manifestation présentée comme une sorte d’alternative à une véritable «tournée immobilière», soulignant que les «maisons disponibles» ou inoccupées étaient possédées par des banques et qu’elles pouvaient donc être récupérées.

La marche s’est arrêtée devant quatre maisons dans le quartier, mais des cartes qui ont été distribuées montraient qu’il y avait 45 maisons inoccupées dans le rayon de 10 blocs où la marche est passée. A chaque arrêt, les habitant·e·s du quartier expliquaient la signification de cette journée pour eux et pourquoi ils/elles étaient là.

Un ancien sans-abri, maintenant animateur du groupe de défense des sans-abri Picture the Homeless, a déclaré: «Il a fallu des années avant que je puisse me loger. Il y a plus de maisons vides à New York que de personnes sans abri. Aujourd’hui, nous sommes en train de récupérer nos maisons. Nous ne nous arrêterons pas tant que nous n’occuperons pas chaque quartier de New York.»

Il y a eu des manifestations dans plus de deux dizaines d’autres villes. A Los Angeles, les manifestant·e·s se sont dirigés vers une maison où Wells Fargo [groupe financier américain, quatrième banque américaine en termes d’actifs] essaie d’expulser une personne souffrant d’une paralysie cérébrale, Ana Casas Wilson, son mari, son fils et sa mère âgée de 72 ans. «Ma fille m’a dit: ne te décourage pas, maman», a déclaré à un journaliste la mère, Becky Casas.

Dans la région de la baie [de San Francisco], environ 1000 manifestant·e·s ont marché vers une maison située dans l’ouest de la ville d’Oakland. Ils y ont réinstallé Gayla Newsome, une mère célibataire ayant trois filles. La maison de Newsome est restée inoccupée pendant six mois. «J’espère donner une visibilité à cette question et obtenir que la banque discute avec moi», a-t-elle déclaré.

A Atlanta, les manifestant·e·s Occupy se sont rassemblés devant un palais de justice et ont essayé de perturber une vente aux enchères de maisons.

Les manifestations, qu’elles aient été importantes ou petites, ont montré comment le mouvement Occupy pouvait continuer à défier les banques qui font des ravages dans la vie des 99%. L’une des manières les plus évidentes est de contester la frénésie de saisies en cours: plus de 6 millions de maisons ont été saisies par les banques depuis 2007, selon un rapport de la banque Merrill Lynch. Huit autres millions sont susceptibles de l’être dans les quatre prochaines années.

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La manifestation de New York a eu un important impact sur les habitant·e·s. Lors d’un autre arrêt de la marche, un habitant du quartier, Quincy, a annoncé qu’il devait être expulsé durant l’après-midi. Environ 100 manifestant·e·s ont quitté la manifestation pour occuper cette maison, résistant avec succès à au moins une tentative de la police de les faire partir.

Malgré la pluie intermittente, le nombre de participant·e·s à la manifestation est rapidement passé de 200 à plus de 1000. Elle était vivante, multiraciale. Elle a envahi la rue dans des blocs entiers alors que les habitant·e·s du quartier se penchaient au-dessus des fenêtres, agitaient leurs mains et souvent criaient leur soutien.

Akhenaton Burgess n’avait pas entendu parler de cette journée d’actions avant que la manifestation s’arrête devant une maison saisie en face de la sienne. Après avoir entendu plusieurs intervenant·e·s, il a déclaré: «Je pense que c’est génial, que c’est excellent! J’espère que vous poursuivrez des actions comme celle-ci. Quelqu’un doit essayer de trouver un logement pour les gens plutôt que de les jeter dehors!»

Lors du dernier arrêt de cette tournée, une femme s’est adressée à Jamie Dimon, chef exécutif de la banque JPMorgan Chase, qui a saisi sa maison et celle de sa famille: «Eh! Jamie Dimon! Sors et vient marcher avec nous! Tu pourras voir les maisons saisies. Les maisons d’où tu as foutu dehors les gosses. Les maisons d’où tu as foutu dehors les enfants et les personnes âgées… Nous t’invitons donc, Jamie Dimon, à venir au Queens. A venir à Brooklyn. A venir au Bronx. A venir à Harlem. A venir à Staten Island.»

Les manifestant·e·s portaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire: Des maisons à un prix abordable maintenant! et Saisissons les banques, pas les gens! Le membre du Conseil municipal de New York Charles Barron, ancien militant des Black Panther, animateur de quartier qui représente l’est new-yorkais, était présent ainsi qu’un autre conseiller municipal de la ville, Ydanis Rodriguez, qui a été frappé et arrêté par la police la nuit  de l’évacuation du Parc Zuccotti [2/voir la vidéo à la fin de l’article].

Lorsque la manifestation s’est arrêtée en face du lycée Jefferson, les manifestant·e·s ont acclamé les lycéen·nes qui leur faisaient des signes depuis la fenêtre du dernier étage et qui se sont joints au slogan «Nous sommes les 99%».

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Bien que le lieu exact de la destination finale de la marche soit demeuré secret pour toutes et tous, connu seulement de la petite équipe des organisateurs, tout le monde devinait que le dernier arrêt serait une fête de quartier où l’on fêterait l’occupation d’une maison vacante, saisie, par une famille de sans-abri qui y ont emménagé avec l’aide de militant·e·s.

Lorsque nous avons tourné au coin de l’avenue Vermont et que nous avons vu que le numéro 702 était décoré de ballons et d’une immense banderole fixée sur le toit sur laquelle on pouvait lire «Saisissons les banques, pas les gens!», les applaudissements ont éclaté.

Il a été annoncé que la maison occupée du 702 de l’avenue Vermont était la nouvelle maison d’une mère célibataire, Tasha Glasgow, ainsi que de ses deux enfants. Le père des enfants, Alfredo Carrasquillo, était également présent et s’est engagé à risquer d’être arrêté en restant dans la maison. Il a été ému aux larmes alors qu’il s’adressait, au moyen du «people’s microphone», depuis une échelle à la foule des centaines de personnes présentes.

Alors qu’une fête de quartier vivante débutait, une équipe de nettoyage s’est rapidement mise au travail pour rendre la maison – qui est restée inoccupée pendant trois ans – adaptée à une habitation humaine. Un générateur électrique a rapidement été mis en marche. Des lumières de Noël ont été fixées à la porte d’entrée. La cuisine d’Occupy Wall Street a distribué de la nourriture et des bénévoles de la bibliothèque populaire d’OWS sont arrivés avec des caisses de livres pour les enfants.

Une équipe d’intervention rapide s’est mise en place, prête à défendre la maison d’une intervention policière, utilisant de grands boucliers sur lesquels étaient collées des photos de la famille. Au moins pour le temps que la foule et les médias étaient présents, la police a gardé ses distances. Environ une douzaine de militant·e·s avaient toutefois décidé de dormir à l’intérieur de la maison avec Alfredo cette même nuit pour défendre cette propriété «dé-saisie». Les militant·e·s se sont engagés à développer un soutien permanent pour la famille, des juristes les aidant pour les démarches légales en vue de faire en sorte que cette maison soit la leur.

La journée du 6 décembre à New York a été une grande réussite. Elle est parvenue à unir l’esprit et l’énergie du mouvement Occupy avec des groupes de quartier qui travaillent sur les questions de logement et la résistance aux expulsions à Brooklyn depuis de nombreuses années, souvent de manière non rendue publique.

Des militant·e·s de New York Communities for Change, Organizing for Occupation, VOCAL New York, Make the Road New York, FUREE (familles unies pour une égalité raciale et économique) ont uni leurs forces à un sous-comité du groupe de travail d’actions directes d’Occupy Wall Street pour planifier et réaliser cette action, ainsi que la construction du soutien à celle-ci lors de deux jours de tractage durant lesquels plus de 500 personnes du quartier se sont engagées à aider, d’une manière ou d’une autre, à l’occupation.

Tout le monde espère que cette action sera la première de nombreuses autres occupations, «dé-saisies» de maisons ainsi que de campagnes de défense contre les expulsions à venir dans les quartiers. Ainsi qu’un habitant de l’est new-yorkais le disait: «Nous sommes le 99%. Faisons reculer les 1%. Allez-vous-en, nous sommes ici et nous sommes là pour rester.»

(Traduction A l’Encontre – cet article a été publié sur le site socialistworker.org de l’ISO; photos: http://newspaper.occupybk.org/2011/12/16/updates-from-702-vermont-street/)

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[1] Le «people’s microphone» est une technique d’expression inventée par les militant·e·s du mouvement Occupy. Comme il est interdit aux militant·e·s d’utiliser un microphone classique, les propos des intervenant·e·s sont répercutés tout le long des rassemblements par ceux qui parlent fort. De nécessité, cette technique est devenue une nouvelle forme d’expression, obligeant les intervenant·e·s à aller à l’essentiel. Pour une description de cette technique, en anglais: http://www.correntewire.com/the_peoples_microphone_in_zuccotti_park (réd).

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