Aux Etats-Unis, sous des formes diverses, le mouvement «Occupy Wall Street» se développe dans des centaines de villes, grandes et petites, comme sur des campus universitaires. Au cours des quatre dernières semaines, les participant·e·s ont dû faire face à des nombreuses questions. Comment s’organiser démocratiquement? Comment assurer la participation effective la plus large? Comment faire face aux attaques et provocations de la police? Mais d’autres surgissent. Elles ressortent des récits et intervenants du mouvement.
Ainsi, Aroun Gupta, un des animateurs du nouveau périodique The Occupied Wall Street Journal, constate: «On ne peut jeter la population dans une situation désespérée et dans la misère et ne pas s’attendre à une révolte sociale.» Il souligne que d’un point de vue de gauche – où il se situe – il s’agit d’articuler des thèmes relavant de l’éducation, de la santé, de l’emploi, du logement, des transports avec ceux qui ont trait à l’occupation permanente d’espaces publics bien déterminés. Ce qui donne une dimension nouvelle à la contestation du système et doit permettre d’éclairer «que presque tous les problèmes de notre société découlent de l’extrême concentration de richesse et de pouvoir dans cette couche supérieure de 1%». Ce type d’action exige aussi d’écouter avec attention et précaution les personnes présentes et au travers de ces échanges de faire mûrir des perspectives allant à la racine du système.
Penny Lewis, professeur assistant à la City University of New York – département du Murphy Institute for Worker Education an Labor Studies –, met, lui, l’accent sur la nécessité de consolider la jonction entre ce mouvement contre la politique d’une kleptocratie, avec ses conséquences, et des secteurs de la population durement affectés par la crise dans leur quartier. A cela s’ajoute l’injection de l’esprit de Occupy Wall Street (OWS) dans le mouvement syndical; cela afin d’accentuer le caractère d’indépendance d’un mouvement social réel face à l’administration Obama.
D’autres activistes soulignent qu’OWS doit être aussi partie prenante de batailles conduites par des enseignants, par des salarié·e·s du secteur de la santé, par des personnes qui luttent, avec l’appui de leurs concitoyens, contre la saisie de leurs maisons.
Des défis à la hauteur d’une dévastation sociale qui a fait surgir massivement et brutalement la figure du «nouveau pauvre»: chômage de longue durée, perte du logis et difficulté à se nourrir. Les dimensions cumulatives de ce ravage font du terme «la Grande Récession» – adopté depuis 2008 – un cadre pertinent de compréhension de ce qui est en jeu aux Etats-Unis. (Rédaction)
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Le mouvement «Occuper Wall Street» (OWS) a mis le maire de New York, Michael Bloomberg – fortune nette: 19,5 milliards de dollars – en difficulté.
Etre à la fois le maire de la ville et son habitant le plus riche fait de lui un excellent candidat pour représenter la tyrannie des «Un pour cent». [L’un des slogans principaux du mouvement OWS est «We are the 99%», «Nous sommes les 99%» de la population, en opposition à la gigantesque appropriation privée effectuée à l’autre pôle de la société, qui traduit «la tyrannie des 1%» sur les divers plans: économique, social et politique.]
En fait, comme Bloomberg figure en 12e position des personnes les plus riches des Etats-Unis. Il fait techniquement partie des 0,0000001 pour cent, mais c’est assez difficile de le mettre en slogan. Lorsque ce type traîne avec les Un pour cent, il s’encanaille.
Ainsi, inévitablement, le maire n’est pas dans sa meilleure forme lorsqu’il essaie de verser dans le populisme, ainsi qu’il l’a fait lors de son émission de radio la semaine dernière [1]. Toutefois, il aurait pu tenter de concocter quelque chose de mieux que de prétendre que «les manifestants protestent contre des gens qui gagnent 40’000, 50’000 dollars par année et qui ont des difficultés à joindre les deux bouts».
Et dire que l’on parle tellement du fait que ce mouvement n’a pas d’exigences claires. Comment avons-nous pu rater les slogans «Nous ne voulons pas plus d’emplois!» ainsi que les pancartes dénonçant la ploutocratie à 20 dollars l’heure?
Bloomberg a poursuivi en disant que ces gens luttant contre les personnes gagnant 40’000 et 50’000 dollars par année «étaient des personnes qui travaillent à Wall Street et dans le secteur financier» –la transcription n’indique pas s’il a attendu d’avoir achevé cette phrase pour éclater de rire!
Mais le maire n’est pas le seul à avoir des difficultés à trouver un moyen efficace pour clouer le bec aux protestations.
Rush Limbaugh [2] a dénoncé les protestations comme étant menées par «99 pour cent d’enfants blancs» – ce qui n’est pas vrai, mais j’apprécie l’idée qu’il serait dans la rue si seulement il y avait plus de frères [de Noirs] dans le parc. Je pense que si OWS réunissait 99% de jeunes noirs et «foncés» [arabes] Rush Limbaugh ferait appel à des frappes aériennes.
Il y a aussi Herman Cain [d’origine afro-américaine, symbolisant le succès de l’ascension sociale], l’espoir républicain à la présidentielle, qui a fait monter en flèche les sondages en sa faveur avec son franc-parler et son discours ferme. «Ne blâmez pas Wall Street, ne blâmez pas les grandes banques », a-t-il déclaré. «Si vous n’avez pas de travail et que vous n’êtes pas riche, ne vous en prenez qu’à vous-mêmes.»[3] Ne pourrait-on pas juste inscrire ceci sur les boutons [pin’s] de campagne électorale: «Blâme-toi! Vote Cain en 2012 »?
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Les défenseurs idéologiques des «Un pour cent» se bousculent parce qu’ils n’ont rien (parce qu’ils ont tout). Le mouvement OWS est comme un petit garçon criant: «L’empereur nous a pris tous nos vêtements!» Et, finalement, tout le monde aux Etats-Unis est en train d’en parler ouvertement.
Jusqu’à maintenant, ce type de colère populaire était supposé être canalisé dans le Tea Party, la tentative de la classe dominante de diriger non seulement notre économie et notre gouvernement, mais même nos protestations contre leur contrôle de notre économie et de notre gouvernement.
Le Tea Party était principalement une opération de relations publiques, de communication- Par exemple, l’année dernière, des dizaines de médias couvraient jusqu’à l’essoufflement une «convention» du Tea Party qui réunissait 600 personnes [4]. Par comparaison, le mois prochain, beaucoup plus de gens vont assister à des conférences à travers le pays sur le marxisme, organisée par l’International Socialist Organization (ISO). Si je plaçais la barre de la couverture de presse à hauteur de 50% de possibilité, quelqu’un choisirait-il un taux de couverture médiatique dépassant cette limite ?
Il est donc amusant de voir le «stratège» du Tea Party, Sal Russo, se plaindre que OWS obtient une trop grande couverture médiatique [5].
L’une des plus grandes différences entre le Tea Party et le mouvement OWS est celle-ci: alors qu’il y a des centaines de personnes qui se réunissent tous les jours sur la Place de la liberté [le nom donné à New York au parc Zuccotti] pour parler de stratégie, je n’ai entendu aucune d’entre elles se considérer comme un «stratège» ; ce qui, dans le cas de Russo, est un nom de code pour «républicain bien payé responsable des relations publiques». [6])
Malgré tous ces «futés en marque déposée », la classe dominante américaine trouve qu’il est difficile de contrer le simple slogan: «Nous sommes le 99 pour cent!»
(Pour la petite histoire, il y a quelque temps, j’ai suggéré [7] qu’une occupation de Wall Street devrait utiliser le slogan, «Rendez-nous notre argent, fils de p…» Cela pourrait expliquer pourquoi personne ne me paie pour être un stratège.
Mais les «Un pour cent» ont un vieux dicton : si vous ne pouvez pas les battre, passez les à tabac. Les occupants à Boston [8] sont en train d’apprendre ce que ceux de New York ont déjà découvert: faire ami avec des officiers de police est aussi facile que de faire ami avec leurs matraques lorsqu’ils obtiennent l’ordre d’attaquer.
Des milliers d’activistes à travers le pays sont en train de sortir de l’enfance en regardant des spectacles où les vedettes sont des «flics durs mais au bon cœur». Toutefois, il faut noter qu’il n’y a jamais eu un spectacle portant le titre de: « L’ordre et la loi: Unité de protection des droits fondamentaux» [en référence à plusieurs séries télévisées mettant en scène la police new-yorkaise, intitulées Law and Order, dont l’une d’entre elles est diffusées en français sous le nom de New York, unité spéciale].
Toutefois, jusqu’ici, chaque cas de répression policière n’a eu pour seul résultat que de rendre le mouvement encore plus fort, c’est l’une des raisons pour lesquelles Bloomberg a récemment annoncé qu’il laisserait le camp de la Place de la liberté se poursuivre indéfiniment [9]. Cela ne va probablement pas le rendre populaire lors des soirées cocktails de l’Upper East Side [quartier de Manhattan, souvent appelé le «district des bas de soie», dans lequel réside des personnes très fortunées, telles que George Soros et Rupert Murdoch].
Mais les «Un pour cent» disposent d’un atout dans leur jeu alors que les «99 pour cent» commencent à devenir trop chahuteur: le Parti démocrate, lequel, maintenant que le mouvement OWS a montré qu’il pouvait exister et grandir sans l’aide de personne, accourt offrir son aide [10].
Nancy Pelosi [11] a déclaré qu’elle soutient le «message» d’OWS «à l’establishment […] que le changement doit arriver». On pourrait penser qu’en tant que leader de la minorité [démocrate] à la Chambre des représentants, Pelosi aurait été en bonne place pour adresser elle-même ce message.
Même le président de la Réserve fédérale [la Fed, la banque centrale américaine], Ben Bernanke, s’est mis de la partie, déclarant devant une commission du Congrès qu’il «ne pouvait pas blâmer» les manifestants d’avoir été mis en colère contre les banques et le gouvernement [12].
Pour les manifestants qui ont résisté aux pulvérisations de poivre, aux arrestations massives, au silence des médias et au ridicule, tout cela doit sembler un peu comme la fin d’un film d’action lorsque le héros repousse des hordes de mercenaires, surgit dans le repaire du méchant et qu’il le trouve assis dans un fauteuil avec deux verres de scotch lui disant: «Entrez, je vous attendais.»
Nous savons tous qu’elle est la scène suivante: l’offre [de démocrates] d’unir les forces. Pour que tout continue comme avant ! (Traduction A l’Encontre; article publié le 13 octobre 2011)
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[1] http://gothamist.com/2011/09/30/bloomberg_implies_wall_street_prote.php
[2] Rush Hudson Limbaugh, né en 1951, anime une émission radiophonique parmi les plus écoutées des Etats-Unis. Lié au Parti républicain, il développe des positions très néo-conservatrices (réd.).
[3] http://thinkprogress.org/economy/2011/10/05/336423/her-cain-jobless-blame-yourself/
[4] http://www.nytimes.com/2010/02/07/us/politics/07teaparty.html
[5] http://dailycaller.com/2011/10/11/tea-party-groups-criticize-media-coverage-of-occupy-wall-street/
[6] http://www.sourcewatch.org/index.php?title=Sal_Russo
[7] http://socialistworker.org/2011/06/09/weve-been-bloomberged
[9] http://blogs.wsj.com/metropolis/2011/10/10/bloomberg-occupy-wall-street-can-stay-indefinitely/
[11] Députée démocrate, elle a été présidente de la chambre des représentants entre 2007 et 2011 (réd.).
[12] http://nymag.com/daily/intel/2011/10/ben_bernanke_on_occupy_wall_st.html
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